La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision fondamentale le 26 septembre 2018 relative au contrôle juridictionnel des sanctions pécuniaires. Le litige trouve son origine dans une entente secrète au sein du marché européen des puces pour cartes impliquant plusieurs producteurs internationaux. L’institution européenne a sanctionné ces pratiques par une amende importante, retenant l’existence d’une infraction unique et continue entre 2003 et 2005. La société concernée a sollicité l’annulation de cet acte devant le Tribunal de l’Union européenne en contestant notamment la matérialité de nombreux contacts. La juridiction de première instance a rejeté le recours en validant seulement cinq contacts bilatéraux sur les onze retenus initialement par la poursuite. L’entreprise soutient devant la Cour que ce contrôle sélectif méconnaît son droit à une protection juridictionnelle effective et fausse l’appréciation de l’amende. Le problème juridique central porte sur l’obligation pour le juge d’examiner l’intégralité des griefs factuels lors de l’exercice de sa pleine juridiction. La Cour annule partiellement la décision attaquée, jugeant que le juge doit vérifier tous les faits pertinents pour garantir la proportionnalité de la sanction.
I. L’insuffisance du contrôle restreint sur la matérialité de l’infraction
A. La validation de la culpabilité par un faisceau d’indices réduit
Le Tribunal de l’Union européenne a estimé opportun de limiter son analyse à une sélection de comportements pour confirmer la qualification d’entente. Il a jugé qu’« il suffit d’examiner […] si la requérante a participé à une ou […] deux discussions anticoncurrentielles […] pour conclure à l’existence ou non d’une infraction ». Cette approche repose sur le principe qu’une manifestation de l’entente suffit à engager la responsabilité d’un membre pour une période déterminée. La Cour de justice valide ce raisonnement partiel lorsqu’il s’agit uniquement de contrôler la légalité du constat de l’infraction à l’article 101. Elle considère que la preuve d’un plan d’ensemble n’exige pas la démonstration de la participation de l’entreprise à chaque acte constitutif du cartel. Le juge peut donc légalement se fonder sur un nombre limité de contacts pour établir l’existence d’une pratique concertée par objet.
B. La défaillance dans l’examen des griefs relatifs au calcul de l’amende
L’exercice de la compétence de pleine juridiction impose des exigences plus strictes que le simple contrôle de légalité des décisions de sanction. Le Tribunal a omis de vérifier six des onze contacts contestés alors que la société invoquait leur caractère déterminant pour la peine. La Cour censure cette omission car « le Tribunal ne pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence de pleine juridiction, omettre de répondre à l’argument soulevé ». Cette erreur de droit affecte la validité du jugement en ce qu’il refuse d’apprécier la réalité de l’implication totale de la requérante. La proportionnalité du montant de l’amende dépend nécessairement de la fréquence et de l’intensité des agissements réellement prouvés contre l’auteur de l’infraction. Dès lors, le juge doit répondre à chaque grief visant à démontrer que la sanction n’est pas en adéquation avec la gravité réelle.
II. L’affirmation d’une compétence de pleine juridiction exigeante
A. Le devoir d’examen exhaustif des éléments de fait et de droit
La Cour de justice rappelle que le contrôle juridictionnel doit satisfaire aux exigences du droit à une protection juridictionnelle effective consacré par la Charte. Elle précise que « le juge de l’Union est tenu […] d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation ». Cette obligation impose au Tribunal de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission européenne en cas de contestation sérieuse. Le juge ne peut se contenter d’entériner globalement les conclusions de l’administration sans vérifier la matérialité de chaque fait contesté par le requérant. La mission de pleine juridiction implique un contrôle approfondi de la proportionnalité de la peine au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce. Par ailleurs, cette intensité de contrôle garantit l’équilibre nécessaire entre l’efficacité de la lutte contre les ententes et le respect des droits fondamentaux.
B. La nécessaire adéquation entre le comportement individuel et la sanction
La détermination du montant final de l’amende requiert une analyse personnalisée des actes reprochés à chaque entreprise membre du groupement illicite. La Cour énonce clairement que « la gravité de l’infraction doit faire l’objet d’une appréciation individuelle » tenant compte de tous les facteurs pertinents. Le nombre de contacts bilatéraux constitue un élément essentiel pour évaluer l’implication d’un participant et le degré de nocivité de son action. La juridiction de première instance doit donc s’assurer que la sanction reflète fidèlement la participation prouvée plutôt qu’une participation présumée ou globale. L’affaire est renvoyée pour que la matérialité des contacts non examinés soit vérifiée afin d’ajuster éventuellement la charge financière imposée à l’entreprise. Enfin, cette décision renforce la sécurité juridique des opérateurs économiques en exigeant une motivation rigoureuse de la part des autorités judiciaires de l’Union.