Par un arrêt en date du 26 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une pratique administrative nationale avec le principe de non-discrimination en matière de sanctions applicables dans le secteur du transport routier. En l’espèce, une entreprise de transport établie dans un État membre a fait l’objet d’un contrôle routier dans un autre État membre, la Hongrie, au cours duquel les autorités ont constaté une manipulation du tachygraphe d’un de ses véhicules. Cette manipulation visait à dissimuler une période d’activité sous l’apparence d’un temps de repos, en violation des dispositions du règlement (UE) n° 165/2014. Les autorités hongroises ont infligé une amende administrative à l’entreprise. Celle-ci a contesté la sanction, arguant qu’en tant que petite et moyenne entreprise (PME), elle aurait dû bénéficier, pour une première infraction, d’un simple avertissement en lieu et place de l’amende, conformément à une loi nationale. Cependant, les autorités ont rejeté cet argument au motif que cette mesure de clémence était réservée aux seules PME établies sur le territoire national. Saisie du litige, la juridiction hongroise a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice afin de savoir si une telle différence de traitement était conforme au droit de l’Union. La question posée portait sur la conformité d’une pratique administrative qui, pour une même infraction au règlement européen, instaure un régime de sanction différencié fondé sur le lieu d’établissement de l’entreprise. La Cour a conclu que le droit de l’Union s’oppose à une pratique nationale qui permet d’infliger une sanction allégée aux entreprises résidentes tout en excluant de ce bénéfice les entreprises non résidentes se trouvant dans une situation comparable.
La décision rendue par la Cour de justice consacre une application stricte du principe de non-discrimination en matière de sanctions (I), réaffirmant ainsi la nécessité d’une application uniforme des règles pour garantir l’intégrité du marché intérieur des transports (II).
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I. La consécration du principe de non-discrimination en matière de sanction
La Cour de justice fonde son raisonnement sur l’identification d’une rupture d’égalité de traitement au sein de la législation nationale (A), qu’elle confronte ensuite directement à l’exigence de non-discrimination expressément formulée par le règlement européen applicable (B).
A. L’identification d’une pratique nationale discriminatoire
Le litige trouve son origine dans une disposition du droit hongrois conçue pour alléger les charges pesant sur les petites et moyennes entreprises. Cette législation prévoyait la possibilité de substituer un avertissement à une amende administrative lors de la constatation d’une première infraction. Toutefois, la pratique administrative en découlant en restreignait l’application aux seules PME enregistrées en Hongrie. Une telle approche instaure une différence de traitement manifeste entre les opérateurs économiques.
Cette distinction repose exclusivement sur le critère du lieu d’établissement de l’entreprise. Ainsi, deux PME commettant pour la première fois une infraction de même nature et de même gravité sur le territoire hongrois se voyaient traitées différemment, l’une pouvant bénéficier d’un avertissement tandis que l’autre se voyait systématiquement infliger une amende. C’est cette rupture d’égalité que l’entreprise requérante a dénoncée, estimant qu’elle créait une discrimination injustifiée entre les acteurs du marché unique.
B. L’application de l’exigence de non-discrimination posée par le règlement
Face à cette situation, la Cour de justice rappelle la lettre de l’article 41, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 165/2014, qui encadre la compétence des États membres en matière de sanctions. Cette disposition exige que les sanctions prévues pour les violations du règlement soient « effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires ». La Cour souligne que cette dernière exigence vise précisément à prévenir des situations comme celle de l’espèce.
Elle énonce clairement que l’exigence de non-discrimination « vise indubitablement la situation dans laquelle une infraction aux dispositions du règlement n° 165/2014, d’un même niveau de gravité, entraîne des sanctions différentes selon que les entreprises de transport par route sont ou non établies dans l’État membre sur le territoire duquel ladite infraction a été commise ». La Cour considère que, du point de vue de l’infraction commise, ces entreprises se trouvent dans une « situation comparable ». Par conséquent, toute différenciation fondée sur le lieu d’établissement est contraire à l’objectif du texte.
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II. Le renforcement de l’application uniforme du droit des transports de l’Union
Au-delà de la seule censure de la pratique litigieuse, la décision de la Cour réaffirme la primauté des principes du droit de l’Union sur les régimes de sanction nationaux qui y dérogeraient (A), garantissant par là même les conditions d’une concurrence loyale au sein du marché intérieur des transports (B).
A. La primauté du droit de l’Union sur les régimes de sanction nationaux divergents
L’arrêt rappelle que si les États membres disposent d’une compétence pour déterminer le régime des sanctions, cette prérogative s’exerce dans le cadre strict défini par le droit de l’Union. Le règlement n° 165/2014 fixe des principes directeurs, parmi lesquels figure l’interdiction de la discrimination, qui s’imposent aux législateurs et aux autorités administratives nationales.
Une mesure nationale, même poursuivant un objectif légitime tel que le soutien aux PME, ne peut être mise en œuvre d’une manière qui contrevient aux principes fondamentaux d’un domaine harmonisé au niveau de l’Union. En l’occurrence, la Cour juge que la pratique hongroise introduit une condition non prévue par le règlement et contraire à ses objectifs. La décision illustre ainsi le contrôle exercé par la Cour sur la marge d’appréciation des États membres, assurant que leur action reste compatible avec le cadre juridique européen et ne vienne pas en saper l’homogénéité.
B. La garantie d’une concurrence loyale au sein du marché intérieur des transports
En sanctionnant une pratique qui avantage les opérateurs économiques nationaux, la Cour de justice protège un objectif fondamental de l’Union : l’établissement d’un marché intérieur où la concurrence n’est pas faussée. Permettre à un État membre de réserver un traitement de faveur à ses propres entreprises créerait une distorsion de concurrence préjudiciable aux opérateurs des autres États membres.
Une telle pratique désavantage les entreprises non résidentes, qui font face à un risque de sanction financière plus élevé pour des manquements identiques. Cette situation est de nature à entraver leur capacité à opérer sur le marché de cet État membre dans des conditions équitables. En affirmant que le régime de sanctions doit s’appliquer « sans distinction fondée sur le lieu d’établissement de l’entreprise », la Cour veille à ce que tous les acteurs économiques évoluent selon les mêmes règles. Cette solution est donc essentielle pour préserver l’égalité des conditions de concurrence et l’intégrité du marché unique dans le secteur stratégique du transport routier.