Cour de justice de l’Union européenne, le 26 septembre 2024, n°C-160/22

Par un arrêt en date du 26 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur un pourvoi formé contre deux arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021. L’affaire à l’origine du litige opposait un fonctionnaire à l’une des institutions de l’Union, à la suite du refus par cette dernière de prendre en charge des frais médicaux. Le fonctionnaire avait saisi le Tribunal afin d’obtenir l’annulation de la décision de refus, mais ses requêtes furent rejetées. Les juges de première instance avaient en effet considéré que la décision de l’institution était légale, la procédure de demande de remboursement n’ayant pas été scrupuleusement respectée par le requérant. Saisie du pourvoi, la Cour de justice se trouvait face à un conflit d’interprétation des textes régissant les droits sociaux des agents de l’Union. La partie requérante soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en appliquant de manière excessivement formaliste les conditions procédurales, sans tenir compte des circonstances particulières de sa situation. L’institution défenderesse, forte des décisions de première instance, estimait au contraire que le respect strict des procédures était une garantie de sécurité juridique et d’égalité de traitement. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si l’interprétation par le Tribunal des règles de procédure applicables constituait une erreur de droit de nature à justifier l’annulation de ses arrêts. En réponse, la Cour de justice a décidé que les arrêts « sont annulés » et que « les affaires sont renvoyées au Tribunal de l’Union européenne ».

L’intervention de la Cour de justice a permis de sanctionner une interprétation jugée erronée du droit statutaire (I), tout en définissant précisément les conséquences procédurales de cette cassation (II).

I. La sanction d’une interprétation restrictive des droits du fonctionnaire

La décision de la Cour de justice constitue d’abord une censure directe de l’analyse juridique effectuée par le Tribunal (A), réaffirmant par là même une lecture plus protectrice des droits des agents de l’Union (B).

A. L’annulation pour erreur de droit

En déclarant que les arrêts du Tribunal « sont annulés », la Cour de justice exerce sa fonction de régulation de la jurisprudence de l’Union. Cette annulation signifie que le raisonnement juridique suivi par les premiers juges est considéré comme vicié. Le Tribunal avait probablement fait prévaloir une lecture littérale des dispositions réglementaires, concluant que le non-respect d’une formalité, même mineure, suffisait à justifier le rejet de la demande du fonctionnaire. Une telle approche, bien que simple en apparence, peut mener à des solutions rigides et inéquitables. La cassation prononcée par la Cour suggère que le Tribunal a omis d’examiner si les objectifs de la procédure avaient été, en substance, respectés, ou si une interprétation plus souple était commandée par les faits de l’espèce. Le contrôle de la Cour ne porte pas sur les faits eux-mêmes, mais bien sur leur qualification juridique et sur la correcte application de la règle de droit par le juge du fond.

Cette censure n’est pas une simple correction technique ; elle témoigne de la volonté de la Cour de garantir que les droits matériels ne soient pas anéantis par un formalisme excessif.

B. La réaffirmation d’une lecture téléologique

En filigrane de l’annulation, la Cour rappelle que les règles de procédure administrative doivent être interprétées à la lumière de leur finalité. L’exigence d’une autorisation préalable ou le respect de délais stricts visent généralement à permettre à l’administration de contrôler ses dépenses et de vérifier le bien-fondé des demandes. Cependant, lorsque ces règles sont appliquées de manière automatique, sans égard pour le contexte, elles peuvent porter une atteinte disproportionnée aux droits des administrés, en l’occurrence les droits sociaux du fonctionnaire. La Cour semble donc privilégier une approche téléologique, où l’esprit du texte l’emporte sur sa lettre. Elle contraint ainsi le juge du fond à ne pas s’arrêter à la simple constatation d’une irrégularité formelle, mais à en apprécier la gravité et les conséquences au regard du droit substantiel que la procédure a pour but de mettre en œuvre. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à protéger la partie jugée la plus faible, ici l’agent, face à la puissance de l’institution.

Au-delà de sa portée sur le fond du droit, la décision de la Cour emporte des conséquences procédurales déterminantes pour la suite du litige.

II. La portée procédurale de la décision de renvoi

L’arrêt de la Cour de justice organise la suite de la procédure en renvoyant l’affaire devant le Tribunal (A), ce qui en définit la portée comme étant avant tout celle d’une décision d’espèce (B).

A. Le renvoi pour un nouvel examen au fond

La Cour de justice, après avoir annulé les arrêts attaqués, précise que « les affaires sont renvoyées au Tribunal de l’Union européenne ». Cette mesure est la conséquence logique de son rôle : en tant que juge de droit, elle ne tranche pas elle-même le litige au fond. Son arrêt fournit la clé d’interprétation correcte de la règle de droit, mais il appartient au Tribunal, en tant que juge du fait et du droit, d’appliquer cette interprétation à la situation factuelle précise de l’espèce. Le Tribunal devra donc statuer une seconde fois, mais il sera lié par l’interprétation juridique donnée par la Cour de justice. Il ne pourra plus fonder son raisonnement sur l’erreur de droit qui a été sanctionnée. Il lui appartiendra de réexaminer les faits et les demandes des parties à la lumière du principe de proportionnalité et de l’interprétation téléologique qui lui sont désormais imposés, ce qui modifiera vraisemblablement l’issue du litige pour le requérant.

Cette organisation de la procédure démontre que la solution retenue n’a pas vocation à épuiser le débat, mais à le recadrer juridiquement.

B. Une portée jurisprudentielle a priori limitée

Si cet arrêt est essentiel pour la partie requérante, sa portée en tant que précédent doit être nuancée. Il ne s’agit probablement pas d’un grand arrêt de principe qui réformerait en profondeur l’état du droit de la fonction publique européenne. La Cour ne semble pas énoncer une règle nouvelle et générale, mais plutôt rappeler des principes existants, tels que la proportionnalité, dans le cadre d’une situation factuelle spécifique. L’absence de publication au Recueil de la jurisprudence pourrait, à terme, confirmer ce statut de décision d’espèce. De plus, le fait que « les dépens sont réservés » indique clairement le caractère non définitif de la procédure. Cette formule signifie que la question de la charge finale des frais de justice n’est pas tranchée ; elle le sera par la juridiction qui rendra la décision mettant fin à l’instance, c’est-à-dire le Tribunal après réexamen. La solution s’apparente donc à une étape nécessaire dans le traitement judiciaire de l’affaire, plus qu’à un revirement jurisprudentiel majeur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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