Par un arrêt du 27 avril 2006, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La procédure concernait la transposition de la directive 92/100/CEE du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur.
En l’espèce, un État membre n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 1er et 5 de ladite directive, lesquels instituent un droit de prêt public au bénéfice des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants. À la suite de l’expiration du délai de transposition, la Commission a engagé une procédure précontentieuse. Elle a d’abord adressé une lettre de mise en demeure, puis, en l’absence de régularisation, a émis un avis motivé accordant à l’État un délai de deux mois pour prendre les mesures requises. Constatant que la situation demeurait inchangée à l’issue de ce délai, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate le manquement.
Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si un État membre manque à ses obligations en omettant d’intégrer dans son ordre juridique interne le droit de prêt public institué par une directive, après l’expiration du délai imparti à cette fin. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant que l’État membre concerné avait effectivement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er et 5 de la directive. Cette décision, bien que classique, illustre le cadre strict de l’obligation de transposition.
I. La constatation formelle du manquement par la Cour
L’arrêt met en lumière le processus rigoureux par lequel la Cour de justice établit un manquement d’État. Ce processus repose sur une procédure précontentieuse strictement encadrée (A) et sur une méthode d’appréciation temporelle précise (B).
A. La procédure précontentieuse, préalable nécessaire au recours
Le recours en manquement prévu à l’article 226 du traité CE ne peut être introduit par la Commission qu’après une phase administrative préalable. Cette phase a pour objectif de permettre à l’État membre de se conformer volontairement à ses obligations ou de présenter ses observations. Elle débute par l’envoi d’une lettre de mise en demeure, acte par lequel la Commission expose ses griefs et invite l’État à y répondre. En l’absence de réponse satisfaisante ou de régularisation, la Commission émet un avis motivé. Cet avis expose de manière détaillée les raisons de fait et de droit qui fondent la position de la Commission et fixe un délai contraignant dans lequel l’État membre doit mettre fin au manquement. Le respect de cette procédure garantit le caractère contradictoire de l’instance et la protection des droits de la défense de l’État mis en cause. La saisine de la Cour ne devient possible que si l’État ne se conforme pas à l’avis motivé dans le délai prescrit.
B. Le moment d’appréciation du manquement par le juge communautaire
Un principe fondamental gouverne l’examen au fond du recours en manquement, que la Cour rappelle implicitement en l’espèce. L’existence du manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé. Toute mesure de transposition adoptée postérieurement à cette date est sans pertinence pour apprécier le bien-fondé du recours, même si elle intervenait avant le prononcé de l’arrêt. En l’occurrence, le fait que l’État membre n’ait pas adopté les dispositions relatives au droit de prêt public à l’expiration de ce délai suffisait à caractériser le manquement. Cette jurisprudence constante assure l’effet utile de la procédure précontentieuse et incite les États membres à agir avec diligence. La Cour n’examine pas une situation future ou potentielle, mais sanctionne une défaillance passée et objectivement constatée.
II. La portée de l’arrêt : le rappel de la primauté de l’obligation de transposition
Au-delà de la solution d’espèce, cette décision réaffirme la force contraignante des directives communautaires (A) et le rôle essentiel de la Cour de justice comme gardienne de l’ordre juridique communautaire (B).
A. La force contraignante de la directive et son corollaire, l’obligation de résultat
En vertu du troisième alinéa de l’article 249 du traité CE, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique que les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la pleine effectivité des dispositions de la directive dans leur ordre juridique interne. L’absence de transposition, ou une transposition incomplète, prive les justiciables des droits que le législateur communautaire a entendu leur conférer. Dans le cas présent, la non-transposition du droit de prêt public faisait obstacle à la perception d’une rémunération équitable par les auteurs et artistes pour la mise à disposition de leurs œuvres. L’arrêt sanctionne donc directement le non-respect de cette obligation fondamentale, qui est une condition de la réalisation des objectifs du traité et du bon fonctionnement du marché intérieur.
B. Le rôle de la Cour comme garante de l’application uniforme du droit communautaire
Le recours en manquement constitue l’instrument privilégié par lequel la Commission, en sa qualité de gardienne des traités, et la Cour de justice veillent à l’application correcte et homogène du droit communautaire. En constatant le manquement de l’État défaillant, la Cour ne fait pas seulement que trancher un litige. Elle envoie un signal à l’ensemble des États membres sur l’importance de respecter leurs engagements. Une telle décision prévient la fragmentation du droit communautaire, qui surviendrait si chaque État pouvait décider discrétionnairement de ne pas appliquer certaines de ses dispositions. En garantissant que les droits et obligations issus des directives sont les mêmes pour tous les citoyens et entreprises de l’Union, la Cour assure la sécurité juridique et l’égalité devant le droit. Cet arrêt, par sa simplicité, est une manifestation pure de cette fonction régulatrice essentielle à l’existence même d’un ordre juridique intégré.