Cour de justice de l’Union européenne, le 27 avril 2006, n°C-423/04

Par un arrêt du 27 avril 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en première chambre, a précisé la portée du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. En l’espèce, une personne née de sexe masculin avait subi une opération chirurgicale de changement de sexe pour devenir une femme. À l’âge de soixante ans, elle a sollicité le bénéfice d’une pension de retraite, conformément à la législation du Royaume-Uni qui fixait à cet âge le départ à la retraite pour les femmes nées avant une certaine date, tandis que celui des hommes était fixé à soixante-cinq ans. Sa demande a été rejetée par l’autorité nationale compétente au motif qu’elle n’avait pas atteint l’âge légal de la retraite applicable aux hommes. Saisie en dernier ressort, la juridiction nationale, le Social Security Commissioner, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait pour l’essentiel de déterminer si la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978, relative à l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale, s’opposait à ce qu’une législation nationale refuse à une personne transsexuelle le bénéfice d’une pension de retraite à l’âge prévu pour les femmes, au motif que son sexe de naissance était masculin. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle situation constitue une discrimination fondée sur le sexe, interdite par la directive.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive du principe de non-discrimination, l’étendant explicitement aux situations de changement de sexe (I), tout en appliquant de manière restrictive les dérogations possibles à ce même principe (II).

I. L’extension du principe de non-discrimination au changement de sexe

La Cour de justice affirme que la protection contre la discrimination fondée sur le sexe inclut celle qui découle d’un changement de sexe (A), ce qui rend inopérante la comparaison avec les personnes n’ayant pas changé de sexe (B).

A. L’interprétation large de la notion de discrimination fondée sur le sexe

La Cour rappelle d’emblée que le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes constitue l’un des principes fondamentaux du droit communautaire. Pour asseoir sa décision, elle procède à une lecture finaliste de la directive 79/7, en se fondant sur son objet et la nature des droits qu’elle protège. Ainsi, elle juge que « le champ d’application de la directive 79/7 ne saurait ainsi être réduit aux seules discriminations découlant de l’appartenance à l’un ou l’autre sexe ». La Cour étend de manière explicite cette protection aux situations de transsexualisme, en affirmant que la directive « a également vocation à s’appliquer aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe de l’intéressée ». Cette approche confirme une jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt P./S. du 30 avril 1996, qui avait déjà reconnu qu’une discrimination liée à un changement de sexe relevait du champ de l’égalité de traitement en matière d’emploi. Par cet arrêt, la Cour transpose cette solution au domaine de la sécurité sociale, unifiant ainsi la protection accordée aux personnes transsexuelles dans différents pans du droit social communautaire.

B. L’origine de l’inégalité de traitement dans la non-reconnaissance du genre acquis

Le gouvernement du Royaume-Uni soutenait que la requérante n’était pas discriminée, car elle était traitée de la même manière que les hommes n’ayant pas subi d’opération chirurgicale. La Cour écarte cette argumentation, car elle identifie la source de la discrimination non pas dans une comparaison avec le groupe de sexe d’origine, mais dans l’impossibilité pour l’intéressée de faire reconnaître son nouveau genre. L’inégalité de traitement ne provient pas d’une simple application de l’âge de la retraite masculin, mais du refus de lui appliquer l’âge de la retraite féminin après sa conversion sexuelle. La Cour souligne que « l’inégalité de traitement en cause au principal repose sur l’impossibilité pour [l’intéressée] de se voir reconnaître, aux fins de l’application de la loi […] relative aux pensions de retraite, le nouveau genre sexuel qu’elle a acquis ». En conséquence, la discrimination ne se fonde pas sur le sexe en tant que tel, mais sur le fait de la transition. C’est bien cette transition qui la place dans une situation où elle ne peut satisfaire à la condition d’âge applicable aux femmes, la plaçant dans une situation défavorable et discriminatoire.

II. L’application stricte des dérogations au principe d’égalité de traitement

La Cour rejette l’argumentation fondée sur la faculté pour les États de fixer des âges de retraite différents (A) et réaffirme la primauté du droit communautaire dans l’exercice des compétences nationales en matière de sécurité sociale (B).

A. L’interprétation restrictive de la dérogation relative à l’âge de la retraite

Le gouvernement britannique invoquait l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7, qui autorise les États membres à exclure de son champ d’application la fixation d’âges de retraite différents pour les hommes et les femmes. Toutefois, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les exceptions au principe d’interdiction des discriminations doivent être interprétées de manière stricte. Elle juge que cette dérogation « ne vise que la fixation d’âges de la retraite différents pour les hommes et pour les femmes ». Le litige en l’espèce ne porte pas directement sur cette différence d’âge, mais sur le refus de reconnaître les conséquences d’un changement de sexe pour l’application de cette règle. La Cour considère que la discrimination subie par la requérante n’est pas nécessaire pour atteindre les objectifs de la directive autorisant temporairement le maintien d’avantages pour les femmes. En d’autres termes, la faculté de maintenir des âges de départ à la retraite distincts ne saurait justifier une discrimination fondée sur la conversion sexuelle d’une personne.

B. La primauté du respect du droit communautaire sur l’autonomie des systèmes de sécurité sociale

La Cour rappelle un principe essentiel de l’articulation entre le droit national et le droit communautaire. Si les États membres conservent la compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire. Le fait que le droit à une pension de retraite découle du seul droit national est sans pertinence dès lors que les conditions d’accès à cette prestation doivent être conformes aux principes fondamentaux de l’Union, notamment celui de non-discrimination. La Cour précise ainsi que « dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire ». La législation nationale, en créant une situation où une personne transsexuelle est empêchée de remplir les conditions d’accès à une prestation en raison de la non-reconnaissance de son nouveau genre, contrevient directement à la directive 79/7. Par ailleurs, en refusant de limiter les effets de son arrêt dans le temps, la Cour souligne la nature fondamentale du droit violé et l’absence d’incertitude juridique qui aurait pu justifier une telle limitation.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture