Par un arrêt du 27 avril 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie de deux questions préjudicielles par le Hoge Raad der Nederlanden, a précisé les contours du pouvoir d’appréciation des États membres dans la définition des professions paramédicales aux fins de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, deux litiges distincts étaient à l’origine de ces questions. Le premier concernait un physiothérapeute qui s’était vu refuser l’exonération de TVA pour des prestations de « diagnostic des champs de perturbation », au motif que cette activité n’était pas reconnue par la réglementation nationale comme relevant du domaine spécifique de sa profession. Le second litige opposait l’administration fiscale à une psychothérapeute qui, bien que dûment enregistrée, n’avait pu bénéficier de l’exonération, sa profession n’étant pas incluse, à l’époque des faits, dans la liste des professions paramédicales définie par la loi fiscale nationale.
Après avoir été déboutés de leurs réclamations puis de leurs recours devant les juridictions inférieures, les deux praticiens ont formé un pourvoi en cassation. La haute juridiction néerlandaise, confrontée à l’interprétation de l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive TVA, a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’exonération de TVA pouvait s’appliquer à des prestations de soins thérapeutiques effectuées en dehors du cadre strict des professions médicales et paramédicales tel que défini par un État membre. La question de droit posée à la Cour consistait donc à définir les limites du pouvoir d’appréciation accordé aux États membres pour définir les professions et les prestations exonérées, au regard notamment des objectifs de la directive et du principe de neutralité fiscale.
La Cour y répond en affirmant que si les États membres disposent bien d’un pouvoir d’appréciation, celui-ci doit néanmoins respecter l’objectif de la disposition, qui est de garantir la qualité des soins, ainsi que le principe de neutralité fiscale. En conséquence, l’exclusion d’une prestation ou d’une profession de l’exonération n’est justifiée que si elle ne crée pas de distorsion de traitement avec des prestations similaires et de qualité équivalente qui, elles, seraient exonérées. La Cour reconnaît ainsi une compétence de principe aux États pour définir le périmètre de l’exonération (I), tout en soumettant l’exercice de cette compétence à un contrôle strict fondé sur les principes fondamentaux du droit communautaire (II).
I. La confirmation de la compétence discrétionnaire des États membres dans la délimitation des professions exonérées
L’arrêt réaffirme la prérogative des États membres pour définir les professions paramédicales éligibles à l’exonération de TVA, une compétence qui découle du texte même de la directive (A) et qui s’étend non seulement aux professions elles-mêmes mais aussi aux activités spécifiques qui les composent (B).
A. Une compétence fondée sur le libellé de la directive
La Cour de justice fonde son raisonnement initial sur une lecture littérale de la disposition en cause. Elle rappelle qu’il « ressort clairement du libellé de l’article 13, a, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive que cette disposition ne définit pas elle-même la notion de ‘professions paramédicales’, mais qu’elle renvoie sur ce point à la définition qui est retenue par la réglementation interne des États membres ». Cette interprétation consacre le rôle premier de chaque législateur national dans la détermination des contours de l’exonération. L’harmonisation fiscale en matière de TVA n’implique donc pas une uniformisation des professions de santé reconnues à travers l’Union, mais laisse une marge de manœuvre significative aux autorités nationales. Ce renvoi au droit interne permet de prendre en compte les spécificités des systèmes de santé et de formation professionnelle propres à chaque État membre, évitant ainsi d’imposer un cadre rigide et unique. La Cour admet par conséquent qu’un État puisse légitimement établir une liste limitative des professions bénéficiant de l’exonération, comme ce fut le cas aux Pays-Bas pour la profession de psychothérapeute durant la période litigieuse.
B. Une compétence étendue à la définition des actes relevant d’une profession
Le pouvoir d’appréciation des États membres ne se limite pas à la désignation des professions exonérées ; il englobe également la définition précise du champ de leurs compétences. L’arrêt précise en effet que « ce pouvoir d’appréciation englobe non seulement celui de définir les qualifications requises pour exercer lesdites professions, mais également celui de définir les activités spécifiques de soins à la personne qui relèvent de telles professions ». Cette extension est logique, car la reconnaissance d’une profession serait incomplète sans la délimitation des actes que ses praticiens sont qualifiés pour accomplir. Ainsi, la décision de l’administration néerlandaise d’exclure les diagnostics des champs de perturbation du domaine d’activité du physiothérapeute relève, en principe, de cette compétence discrétionnaire. Un État est donc en droit de considérer que certaines pratiques, même si elles sont exercées par un professionnel reconnu, ne correspondent pas aux qualifications pour lesquelles sa profession a été réglementée et définie. Cette approche permet de garantir une application simple et correcte de l’exonération, en la réservant aux seules prestations pour lesquelles la compétence du praticien est officiellement attestée par la législation nationale.
II. L’encadrement de la compétence nationale par les principes du droit de l’Union
Si la Cour reconnaît l’ampleur du pouvoir discrétionnaire des États, elle en fixe immédiatement les bornes. Ce pouvoir n’est pas illimité et doit s’exercer dans le respect de l’objectif de la directive (A) et, surtout, du principe de neutralité fiscale, qui devient un outil de contrôle de la cohérence des réglementations nationales (B).
A. La finalité de l’exonération comme première limite : la garantie de la qualité des soins
La première limite imposée au pouvoir des États membres est d’ordre téléologique. La Cour rappelle que l’exonération prévue par la directive vise un objectif précis, celui de réduire le coût des soins médicaux et de les rendre plus accessibles, à condition que ces soins soient d’un niveau de qualité suffisant. Elle juge ainsi que la condition relative à l’exercice d’une profession définie par l’État « vise à garantir que l’exonération s’applique uniquement aux prestations de soins à la personne qui sont fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises ». Par conséquent, une exclusion de l’exonération ne peut être arbitraire ; elle doit pouvoir se justifier par des motifs objectifs liés à la protection de la santé publique et à la garantie que les services sont rendus par des personnes dont la compétence est assurée. L’appréciation de l’État membre doit donc se fonder sur des considérations relatives à la qualité des prestations, elle-même dépendante de la formation et des qualifications des praticiens. Le simple fait qu’une profession ou une activité ne figure pas sur une liste ne suffit pas, si les praticiens concernés offrent des garanties de qualification équivalentes à celles des professions exonérées.
B. Le principe de neutralité fiscale comme seconde limite : l’exigence d’un traitement équivalent
La limite la plus déterminante posée par l’arrêt réside dans le respect du principe de neutralité fiscale. Ce principe fondamental du système commun de TVA « s’oppose à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ». La Cour transpose ce principe au domaine des soins à la personne en créant un test de comparabilité. Pour déterminer si des prestations sont semblables, il ne suffit pas de regarder leur nature ; il faut aussi tenir compte de la qualification de ceux qui les fournissent. Des prestations peuvent être considérées comme étant de qualité équivalente si les praticiens disposent de qualifications professionnelles garantissant un niveau de soin comparable. Il incombe alors au juge national de vérifier si l’exclusion de l’exonération d’une profession ou d’une activité n’entraîne pas une rupture d’égalité. Par exemple, si les traitements psychothérapeutiques sont exonérés lorsqu’ils sont effectués par des psychiatres, ils doivent l’être également lorsqu’ils sont dispensés par des psychothérapeutes, à condition que ces derniers possèdent des qualifications assurant une qualité de service équivalente. Cet arrêt confère ainsi au principe de neutralité fiscale une portée concrète et en fait un instrument puissant de contrôle de la marge d’appréciation des États membres.