La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 27 avril 2017, une décision fondamentale relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale. Ce litige oppose une entreprise exploitant des navires de croisière sur le territoire français à une institution nationale chargée du recouvrement des cotisations sociales. Bien que le personnel dispose de formulaires attestant d’une affiliation étrangère, l’organisme local réclame le paiement des charges au titre du régime national. Le tribunal des affaires de sécurité sociale du Bas-Rhin rejette, le 9 février 2011, le recours formé contre le redressement notifié à l’employeur. La cour d’appel de Colmar confirme cette solution le 12 septembre 2013, en écartant les documents produits en raison d’une activité exercée exclusivement en France. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation interroge la juridiction européenne sur la force contraignante du certificat lorsque les conditions de son obtention semblent non remplies. La question posée vise à déterminer si l’autorité de l’État d’accueil peut ignorer un tel acte en cas de méconnaissance manifeste des règles matérielles applicables. Les juges luxembourgeois décident que le certificat lie les autorités et les juridictions nationales tant qu’il n’a pas été retiré par l’institution d’émission. L’étude de cette solution conduit à examiner la force contraignante du certificat de détachement avant d’analyser la primauté absolue des procédures de coopération administrative.
I. L’autorité impérative du certificat de sécurité sociale
La Cour rappelle que le certificat crée une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur au régime de l’État où est établie l’entreprise. Cette interprétation garantit que les salariés ne sont soumis qu’à une seule législation, préservant ainsi la prévisibilité du système de protection sociale.
A. Le fondement de la coopération loyale
Le principe de coopération loyale impose à l’institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles de coordination. Ce devoir de diligence assure que « les mentions figurant dans le formulaire E 101 soient bien complétées » par l’autorité compétente de l’État d’envoi. L’institution de l’État d’accueil méconnaîtrait ses obligations si elle soumettait un travailleur à son régime alors qu’un certificat valide atteste d’une affiliation étrangère. La confiance mutuelle entre les administrations nationales constitue le socle indispensable au fonctionnement du marché intérieur et à la libre prestation des services. Elle empêche chaque État membre d’interpréter unilatéralement les situations de détachement pour revendiquer la compétence de son propre système de sécurité sociale.
B. L’exclusion d’un contrôle juridictionnel national
La décision précise qu’une « juridiction de l’État membre d’accueil n’est pas habilitée à vérifier la validité d’un certificat E 101 » selon ses propres critères. Le juge interne doit respecter l’acte administratif étranger même si les conditions d’exercice de l’activité ne semblent pas correspondre aux critères du détachement. Cette solution interdit aux magistrats d’écarter un formulaire au motif que les travailleurs ne relèvent manifestement pas du champ d’application des règles dérogatoires. L’admission d’un contrôle local porterait atteinte au principe de l’affiliation à un seul régime et nuirait gravement à la sécurité juridique des opérateurs. Cette autorité absolue du certificat administratif impose de s’interroger sur les recours ouverts à l’institution nationale en cas de désaccord persistant avec l’autorité émettrice.
II. La primauté de la conciliation sur le constat d’irrégularité
Le juge européen refuse de créer une exception à la force probante du certificat, même en présence d’une erreur manifeste commise par l’État d’envoi. Il privilégie systématiquement le dialogue institutionnel pour résoudre les conflits de lois et prévenir les situations de concurrence déloyale ou de dumping social.
A. Le caractère obligatoire du dialogue administratif
L’institution de l’État d’accueil qui éprouve des doutes sur l’exactitude des faits doit solliciter une reconsidération du certificat auprès de l’autorité l’ayant délivré. En cas de désaccord persistant entre les organismes, la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants doit être saisie en vue d’une conciliation. La Cour souligne que les autorités nationales doivent « observer cette procédure, même s’il était avéré que les conditions de l’activité des travailleurs concernés n’entrent manifestement pas » dans le cadre légal. Le recours à ces mécanismes conventionnels constitue l’unique voie permettant de contester la légalité d’un formulaire sans compromettre la coopération entre les États membres. L’inefficacité supposée de cette procédure ne saurait justifier que les institutions ou les juridictions nationales s’en affranchissent de manière souveraine.
B. La protection de la sécurité juridique européenne
Le maintien de la validité du certificat, tant qu’il n’est pas retiré, assure aux entreprises une protection contre les redressements rétroactifs imprévisibles des organismes sociaux. Cette solution codifiée par le législateur de l’Union consacre la compétence exclusive de l’institution émettrice pour apprécier la validité des documents qu’elle produit. L’arrêt affirme que « le certificat E 101 s’impose dans l’ordre juridique interne de l’État membre » où le travail est effectivement accompli par le salarié. La lutte contre la fraude ne peut s’affranchir des règles de forme et de procédure sans risquer de fragmenter l’espace social européen. Le droit de l’Union offre des recours, tels que la procédure en manquement, pour sanctionner les États qui refuseraient indûment de retirer un acte erroné.