Par un arrêt du 27 février 2007, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en grande chambre, s’est prononcée sur la compétence des juridictions communautaires pour connaître d’une action en réparation des préjudices prétendument causés par l’inscription d’une organisation sur une liste de personnes et entités impliquées dans des actes de terrorisme. En l’espèce, une organisation et deux de ses porte-parole avaient été inscrits sur la liste annexée à la position commune 2001/931/PESC du Conseil, adoptée dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. S’estimant lésés, ils ont introduit un recours en indemnité devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes. Par une ordonnance du 7 juin 2004, le Tribunal a rejeté leur recours comme manifestement irrecevable, se déclarant incompétent au motif qu’aucune voie de recours indemnitaire n’était prévue par le titre VI du traité sur l’Union européenne, base juridique de l’acte litigieux. Les requérants ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que cette absence de recours portait atteinte à leur droit à une protection juridictionnelle effective. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si, en l’absence de disposition textuelle explicite, le système juridique de l’Union offrait une voie de droit pour engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union pour un acte relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. La Cour de justice a rejeté le pourvoi, confirmant l’incompétence du Tribunal pour connaître d’une action directe en indemnité dans ce cadre. Elle a cependant pris soin de préciser que cette conclusion ne privait pas les justiciables de toute forme de protection juridictionnelle, esquissant les voies de recours indirectes qui leur restaient ouvertes.
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I. Le rappel d’une compétence d’attribution strictement encadrée par les traités
La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture rigoureuse des traités, réaffirmant que sa compétence est une compétence d’attribution et ne peut être étendue au-delà de ce que les textes prévoient expressément. Elle rejette ainsi l’existence d’une voie de recours indemnitaire directe pour les actes relevant du titre VI du traité sur l’Union européenne, en se basant tant sur l’absence de fondement textuel que sur l’inefficacité de sources de droit externes au traité pour créer une telle voie.
A. L’absence de base textuelle pour une action en indemnité
La Cour constate que le régime de sa compétence pour les actes relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale est limitativement défini. Elle relève que « l’article 46 UE que les dispositions des traités CE et CEEA relatives à la compétence de la Cour ne sont applicables au titre VI du traité UE ‘que dans les conditions prévues à l’article 35 UE’ ». Or, l’analyse de cet article 35 UE révèle qu’il organise des compétences spécifiques, telles que le renvoi préjudiciel ou le recours en annulation formé par un État membre ou la Commission, mais n’attribue « aucune compétence pour connaître d’un quelconque recours en indemnité ». La Cour souligne également que l’article 41, paragraphe 1, UE n’étend pas l’application des dispositions du traité CE relatives à la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, à savoir les articles 235 et 288, deuxième alinéa, CE, aux domaines couverts par le titre VI. Par conséquent, en l’absence de toute habilitation textuelle, le juge communautaire ne peut que constater son incompétence pour statuer sur une demande de réparation. Cette approche formaliste garantit la séparation des compétences entre les différents piliers de l’Union tels qu’ils étaient structurés à l’époque et préserve l’équilibre institutionnel voulu par les États membres.
B. Le rejet des arguments fondés sur des sources externes au traité
Face à l’argument des requérants selon lequel une déclaration du Conseil annexée à la position commune litigieuse reconnaissait un droit à réparation, la Cour oppose une jurisprudence constante et rigoureuse. Elle affirme qu’une telle déclaration « ne suffit pas à créer une voie de droit qui n’est pas prévue par les textes applicables et qu’elle ne peut se voir, dès lors, reconnaître aucune portée juridique ». Cette solution réaffirme que la portée des actes de droit dérivé et des déclarations politiques qui les accompagnent ne peut excéder le cadre juridique fixé par le droit primaire. La Cour écarte ainsi toute interprétation qui reviendrait à conférer à une déclaration non contraignante la capacité de modifier le système de voies de recours défini par les traités eux-mêmes. De même, si elle reconnaît l’importance fondamentale du droit à une protection juridictionnelle effective, elle refuse d’en faire une source autonome de compétence en dehors des cas prévus par les traités. La Cour ne nie pas le principe, mais elle en circonscrit les modalités d’exercice aux voies de droit existantes, qu’elle s’emploie à clarifier dans la seconde partie de son raisonnement.
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II. La consécration d’une protection juridictionnelle par des voies de droit indirectes
Tout en fermant la porte à une action directe en responsabilité, la Cour de justice veille à ne pas créer un vide juridique qui serait contraire au principe d’un État de droit. Elle dessine alors les contours d’une protection juridictionnelle effective mais indirecte, reposant sur l’articulation des compétences entre les juridictions nationales et la Cour elle-même. Cette construction jurisprudentielle assure que les actes de l’Union, même ceux relevant de la coopération intergouvernementale, demeurent soumis à un contrôle juridictionnel.
A. L’ouverture du renvoi préjudiciel aux positions communes produisant des effets de droit
La Cour opère une avancée significative en étendant potentiellement son contrôle préjudiciel à des actes qui, en théorie, n’y sont pas soumis. Elle constate qu’une position commune, par nature, n’est pas censée produire d’effets juridiques à l’égard des tiers. Cependant, se fondant sur une approche matérielle et non formelle de la nature d’un acte, elle juge qu’« une position commune qui aurait, du fait de son contenu, une portée qui dépasse celle assignée par le traité UE à ce type d’acte doit pouvoir être soumise au contrôle de la Cour ». Empruntant au raisonnement de son arrêt « AETR », elle considère que la procédure de renvoi préjudiciel doit être ouverte à l’égard de toutes les dispositions qui « visent à produire des effets de droit vis-à-vis des tiers », quelle que soit leur dénomination formelle. Ainsi, une juridiction nationale saisie d’un litige concernant l’application d’une mesure nationale prise sur le fondement d’une telle position commune pourrait, en cas de doute, interroger la Cour sur sa validité et son interprétation. La Cour se reconnaîtrait alors le pouvoir de requalifier l’acte pour en assurer le contrôle, garantissant ainsi la primauté du droit.
B. Le renvoi aux juridictions nationales comme juges de droit commun de l’action de l’Union
En complément du mécanisme préjudiciel, la Cour réaffirme le rôle central des juridictions des États membres en tant que juges de droit commun de l’application du droit de l’Union. Elle rappelle qu’« il appartient aux États membres et, notamment, à leurs juridictions, d’interpréter et d’appliquer les règles internes de procédure gouvernant l’exercice des recours d’une manière qui permette aux personnes physiques et morales de contester en justice la légalité de toute décision ou de toute autre mesure nationale relative à l’élaboration ou à l’application à leur égard d’un acte de l’Union européenne ». Les particuliers ne sont donc pas démunis de recours. Ils doivent contester devant leurs juges nationaux les mesures prises par les autorités nationales en exécution de la position commune. C’est dans le cadre de ce contentieux national que la question de la légalité de l’acte de l’Union pourra être soulevée et, le cas échéant, transmise à la Cour de justice par la voie préjudicielle. Cette solution, tout en respectant la lettre des traités, assure que le droit à un recours effectif est préservé en obligeant les justiciables à emprunter une voie procédurale indirecte mais fonctionnelle pour faire valoir leurs droits.