La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 5 juillet 2012, s’est prononcée sur l’interprétation de la libre circulation des travailleurs. Un salarié résidant dans un État membre exerçait son activité professionnelle sur le territoire d’un autre État avant de conclure une convention de préretraite avec son employeur. Ce dispositif prévoyait le versement d’une majoration de salaire calculée selon une méthode forfaitaire intégrant la déduction fictive de l’impôt sur le revenu de l’État d’emploi. Le travailleur, dont les revenus étaient imposables dans son pays de résidence selon les conventions fiscales bilatérales, contestait ce mode de calcul réduisant le montant perçu. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a sollicité la Cour pour savoir si cette pratique méconnaissait l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité. Le juge européen affirme que ces dispositions conventionnelles s’opposent au droit de l’Union et prononce la nullité de plein droit des clauses litigieuses. L’analyse de cette décision suppose d’étudier d’abord l’identification d’une discrimination indirecte avant d’examiner la portée de la sanction prononcée par la Cour.
I. L’identification d’une discrimination indirecte liée à la fiscalité fictive
A. L’application du principe de non-discrimination à la rémunération complémentaire
Le litige porte sur la qualification juridique d’une prestation versée en complément de la rémunération accordée aux travailleurs placés sous un régime de préretraite. La juridiction précise que cette majoration « relève incontestablement, en tant qu’élément de la rémunération, du champ d’application matériel » des dispositions relatives à l’égalité de traitement. L’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit toute distinction fondée sur la nationalité entre les travailleurs des différents États membres. Cette prohibition s’impose non seulement aux autorités publiques, mais s’étend également « à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié ». Le juge refuse d’exclure les accords d’entreprise ou les contrats individuels de l’exigence de neutralité vis-à-vis de la résidence du salarié. La nature mixte du financement, impliquant des fonds publics, n’altère en rien l’obligation pour l’employeur de respecter scrupuleusement le principe de parité.
B. Le constat d’un désavantage spécifique pour les travailleurs frontaliers
La méthode de calcul litigieuse repose sur l’application d’un tableau associant aux salaires bruts des montants nets minimaux échelonnés selon les classes d’imposition. La Cour observe que cette technique « a une incidence défavorable sur la situation des travailleurs frontaliers » car elle intègre des taux fiscaux étrangers. Pour les salariés résidant dans l’État d’emploi, la situation fiscale réelle est prise en compte, permettant d’atteindre l’objectif d’un revenu net garanti. À l’inverse, l’application à un non-résident d’une « situation fiscale fictive qui n’a aucun rapport avec le revenu perçu antérieurement » crée une rupture d’égalité. Ce mécanisme empêche le frontalier de percevoir une somme correspondant approximativement au pourcentage de la rémunération nette dont bénéficient ses collègues locaux. Cette égalité de traitement de situations différentes aboutit nécessairement à une discrimination indirecte car elle défavorise particulièrement les travailleurs migrants. La reconnaissance de ce désavantage injustifié conduit logiquement la Cour à écarter les arguments de l’employeur pour restaurer la légalité européenne.
II. La sanction du dispositif conventionnel et la restauration de l’égalité
A. L’inopportunité des justifications tirées des contraintes de l’employeur
L’employeur invoque des difficultés administratives et l’autonomie des partenaires sociaux pour justifier l’usage d’une méthode de calcul uniforme applicable à l’ensemble du personnel. Le juge européen rejette fermement ces arguments en rappelant que « de telles motivations ne sauraient, en tout état de cause, justifier le non-respect des obligations » fondamentales. L’augmentation des charges financières ou la complexité de gestion ne permettent pas de déroger à l’interdiction des discriminations directes ou indirectes. Bien que l’Union respecte l’autonomie des organisations syndicales et patronales, ce droit de négociation collective « doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union ». Les clauses contractuelles ne peuvent donc pas s’affranchir des libertés de circulation sous prétexte de simplifier la procédure d’évaluation de la charge globale. La protection des droits individuels du travailleur migrant prime ici sur les impératifs de rentabilité économique mis en avant par la partie défenderesse.
B. L’invalidité des clauses discriminatoires et la marge de manœuvre des acteurs
L’arrêt tire les conséquences juridiques de la méconnaissance du droit de l’Union en s’appuyant sur le règlement relatif à la libre circulation des travailleurs. Toute clause de convention collective ou individuelle prévoyant des conditions discriminatoires à l’égard des ressortissants des autres États membres est déclarée « nulle de plein droit ». Cette sanction radicale assure l’effectivité de la protection du salarié tout en laissant aux partenaires sociaux une certaine latitude pour l’avenir. Le droit européen n’impose pas une mesure unique mais laisse la « liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif » de non-discrimination. Il appartient alors aux autorités nationales et aux employeurs de définir de nouveaux critères de calcul respectant la réalité fiscale des agents. La décision garantit ainsi que la mobilité géographique ne se traduise pas par une perte de droits sociaux substantiels lors du départ en retraite.