Cour de justice de l’Union européenne, le 27 février 2014, n°C-470/12

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 27 février 2014, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction slovaque, apporte un éclairage substantiel sur l’articulation entre la protection des consommateurs et l’autonomie procédurale des États membres. En l’espèce, un établissement de crédit a accordé un prêt à un consommateur. Suite à un défaut de paiement, le professionnel a obtenu une sentence arbitrale devenue définitive, condamnant le consommateur au remboursement des sommes dues. Le créancier a alors initié une procédure d’exécution forcée de cette sentence. C’est dans ce contexte qu’une association de protection des consommateurs a demandé à intervenir dans la procédure d’exécution afin de soutenir le consommateur, en invoquant notamment le caractère potentiellement abusif de certaines clauses du contrat. La juridiction nationale, constatant que le droit slovaque ne semblait pas autoriser l’intervention d’un tiers dans une telle procédure, a décidé de surseoir à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle exclusion avec les dispositions de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives, lues à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale qui empêche une association de protection des consommateurs d’intervenir dans une procédure d’exécution forcée diligentée contre un consommateur individuel. À cette question, la Cour de justice répond par la négative, considérant qu’une telle réglementation nationale n’est pas contraire à la directive. Elle estime que, en l’absence de dispositions spécifiques dans la directive régissant cette situation, la question relève de l’autonomie procédurale des États membres, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

Cette solution, qui délimite rigoureusement le champ d’intervention des associations de consommateurs, repose sur une interprétation stricte du texte de la directive et confirme le rôle pivot du juge national (I). Elle interroge néanmoins sur la portée concrète de la protection accordée au consommateur, en faisant dépendre son efficacité quasi exclusive de la vigilance du juge (II).

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I. La confirmation de l’autonomie procédurale des États membres face au silence de la directive

La Cour fonde sa décision sur une distinction claire entre les différents mécanismes de protection prévus par le droit de l’Union, ce qui la conduit à écarter l’application directe de la directive au cas d’espèce (A). Elle procède ensuite à une analyse classique de la réglementation nationale au regard des principes d’équivalence et d’effectivité pour valider sa conformité avec le droit de l’Union (B).

A. La distinction entre l’action collective préventive et l’intervention dans un litige individuel

L’argumentation de la Cour repose sur une lecture littérale de l’article 7 de la directive 93/13. Ce texte impose aux États membres de mettre en place des « moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives ». Le paragraphe 2 précise que ces moyens incluent des actions permettant à des organisations de consommateurs de saisir les tribunaux pour faire constater le caractère abusif de clauses rédigées en vue d’une utilisation généralisée et d’obtenir leur interdiction. La Cour rappelle ainsi que le rôle expressément dévolu à ces associations est de nature préventive et collective. Comme elle le souligne, « la nature préventive et l’objectif dissuasif des actions en cessation, ainsi que leur indépendance à l’égard de tout conflit individuel concret, impliquent que de telles actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l’interdiction est réclamée n’auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés ».

En revanche, la Cour constate que « ni la directive 93/13 ni celles qui lui ont succédé […] ne contiennent de disposition régissant le rôle pouvant ou devant être dévolu aux associations de protection des consommateurs dans le cadre de litiges individuels impliquant un consommateur ». Faute de texte régissant l’intervention dans une procédure individuelle, notamment au stade de l’exécution, la question ne peut être tranchée sur le fondement de la directive elle-même. Cette absence de réglementation spécifique renvoie la solution au droit procédural national, dans les limites traditionnelles posées par le droit de l’Union.

B. L’application des principes d’équivalence et d’effectivité à la procédure d’exécution

Dès lors que la situation relève de l’autonomie procédurale des États membres, la Cour examine si la législation slovaque respecte les principes d’équivalence et d’effectivité. Concernant le principe d’équivalence, elle constate que l’exclusion de l’intervention d’un tiers dans la procédure d’exécution s’applique indifféremment, que le litige soit fondé sur le droit interne ou sur le droit de l’Union. La règle nationale n’est donc pas discriminatoire et satisfait à cette première exigence.

Quant au principe d’effectivité, qui interdit de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, la Cour estime qu’il est également respecté. Son raisonnement s’appuie sur l’existence d’autres garanties. La protection du consommateur est assurée par l’obligation faite au juge national d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles. Cette « intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat » constitue le rempart principal contre les déséquilibres contractuels. De surcroît, la Cour note que le droit national permet à une association de représenter directement un consommateur si celui-ci lui en donne mandat. L’impossibilité d’intervenir de sa propre initiative n’entrave donc pas de manière excessive la protection du consommateur. Le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte, n’est pas violé, puisque le juge lui-même est tenu d’assurer cette protection.

II. La portée de la solution sur l’effectivité de la protection du consommateur

En validant une approche restrictive de l’intervention des associations, la décision de la Cour consacre la centralité du rôle du juge national dans le dispositif de protection (A). Toutefois, cette confiance dans le contrôle judiciaire d’office soulève des interrogations quant à ses limites pratiques et à l’opportunité d’écarter une source d’expertise complémentaire (B).

A. La centralité du contrôle d’office du juge national comme garantie primordiale

L’arrêt réaffirme avec force une jurisprudence constante : la protection effective du consommateur, considéré comme la partie faible au contrat, repose de manière fondamentale sur le pouvoir et le devoir du juge d’intervenir d’office. La Cour rappelle que la situation d’infériorité du consommateur « ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat ». Dans cet arrêt, cette intervention est clairement identifiée comme étant celle du juge saisi de la procédure d’exécution. Celui-ci est tenu, « dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires », d’apprécier le caractère abusif des clauses contractuelles, même si le consommateur ne le soulève pas.

En faisant du contrôle d’office le pivot de la protection, la Cour considère que l’intervention d’une association n’est pas une condition indispensable à l’effectivité des droits du consommateur. Le juge est perçu comme le garant ultime et suffisant de l’équilibre contractuel imposé par la directive. Cette position renforce la responsabilité des juridictions nationales, qui ne peuvent se contenter d’un rôle passif, mais doivent activement rechercher les éventuelles violations du droit de la consommation, y compris au stade tardif de l’exécution d’une sentence arbitrale.

B. Les limites d’une protection reposant exclusivement sur l’intervention judiciaire

Si la solution est juridiquement fondée sur l’état actuel des textes, elle peut être discutée au regard de son efficacité pratique. Confier la protection du consommateur au seul contrôle d’office du juge présente des limites. Un juge, souvent confronté à un contentieux de masse, peut ne pas disposer de tous les éléments factuels ou de l’expertise technique nécessaire pour déceler le caractère abusif de clauses complexes ou pour apprécier les pratiques commerciales d’un secteur économique particulier. Le consommateur, quant à lui, peut être passif, mal informé ou intimidé, et donc ne pas fournir au juge les informations pertinentes.

L’intervention d’une association de protection des consommateurs aurait pu constituer un soutien précieux. Ces organisations possèdent une connaissance spécialisée des contrats types et des pratiques abusives récurrentes de certains professionnels. Leur participation à la procédure aurait pu éclairer le juge, attirer son attention sur des points spécifiques et lui fournir une analyse technique qu’il n’aurait pas pu développer seul. En fermant la porte à cette intervention spontanée, la Cour privilégie une conception purement verticale de la protection, assurée par l’autorité judiciaire, au détriment d’un modèle plus collaboratif qui aurait pu renforcer l’efficacité du système dans son ensemble.

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Hassan KOHEN
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