Par un arrêt du 14 juillet 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’application du principe de non-discrimination dans le contexte de procédures antidumping menées en parallèle. En l’espèce, une société, filiale d’un producteur japonais, importait dans la Communauté des condensateurs électrolytiques à l’aluminium. Ces importations étaient soumises à un droit antidumping définitif depuis 1992, lequel devait expirer en 1997. Conformément à la réglementation, une procédure de réexamen a été ouverte avant cette échéance, entraînant le maintien de la perception des droits pendant la durée de l’enquête. Parallèlement, une enquête initiale a été ouverte concernant des produits similaires importés des États-Unis et de Thaïlande. Cette seconde enquête a conclu à l’existence d’un dumping préjudiciable, mais le Conseil n’a pas adopté de mesures définitives, clôturant de fait la procédure sans perception de droits. Face à cette situation, les institutions communautaires ont décidé de clore également la procédure de réexamen visant les importations d’origine japonaise, afin d’éviter un traitement discriminatoire.
Toutefois, le règlement de clôture a fixé son entrée en vigueur à la date de l’abandon des mesures contre les importations américaines et thaïlandaises, et non à la date du début de la procédure de réexamen. La société importatrice a alors formé un recours devant le Tribunal de première instance, demandant l’annulation de cette disposition au motif qu’elle créait une discrimination pour la période durant laquelle les droits avaient continué d’être perçus sur les importations japonaises, alors qu’aucune mesure n’affectait les autres. Le Tribunal a rejeté ce recours, considérant que la différence de traitement reposait sur un fondement normatif valable, tenant à la nature distincte des deux procédures. Saisie d’un pourvoi, la Cour de justice a été amenée à déterminer si le principe de non-discrimination exigeait un alignement temporel complet des effets de la clôture de deux procédures antidumping de nature différente mais portant sur des produits similaires. La Cour a rejeté le pourvoi, validant le raisonnement du Tribunal. Elle a jugé que la différence de nature entre une procédure de réexamen d’une mesure existante et une enquête initiale constituait une différence objective justifiant un traitement distinct en ce qui concerne la perception des droits pendant la durée des investigations.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une distinction claire entre les régimes procéduraux applicables en matière d’antidumping (I), ce qui conduit à reconnaître une marge d’appréciation significative aux institutions dans la gestion temporelle de leurs mesures (II).
I. La consécration d’une différence de traitement fondée sur la nature des procédures
La Cour justifie la différence de traitement subie par la requérante en s’appuyant sur la distinction objective qui sépare l’enquête initiale de la procédure de réexamen (A), une distinction qui trouve un fondement normatif direct dans le règlement de base (B).
A. La distinction objective entre l’enquête initiale et la procédure de réexamen
La Cour de justice souligne que les deux procédures, bien que menées simultanément sur des produits similaires, ne se trouvent pas dans une situation identique. La différence fondamentale réside dans leur objet et leur point de départ. Une enquête initiale vise à déterminer pour la première fois « l’existence, le degré et l’effet de tout dumping allégué ». En revanche, une procédure de réexamen ne s’ouvre que pour des importations ayant déjà fait l’objet de mesures antidumping définitives. Son but est d’établir si « la suppression de ces mesures favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice ».
La Cour affirme ainsi que cette distinction est de nature substantielle et non purement formelle. Comme elle le précise, « la différence objective existant entre ces deux procédures réside dans le fait que les importations soumises à une procédure de réexamen sont celles ayant déjà fait l’objet de l’institution de mesures antidumping définitives ». Cette antériorité d’une constatation de dumping place les importations concernées dans une catégorie juridique distincte de celles qui font l’objet d’une première investigation. Le traitement différencié n’est donc pas arbitraire, mais découle d’une situation objectivement différente au regard du droit antidumping.
B. Le fondement normatif de la perception continue des droits
Cette différence de situation est directement traduite par des dispositions distinctes au sein du règlement de base. L’article 11, paragraphe 2, du règlement prévoit spécifiquement que, lors d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures, la mesure antidumping « reste en vigueur en attendant les résultats du réexamen ». La perception des droits n’est donc pas une anomalie, mais l’application d’une règle spécifique à ce type de procédure. À l’inverse, lors d’une enquête initiale, l’institution de droits provisoires est une simple faculté et leur perception définitive est conditionnée à l’adoption de mesures finales.
Le Tribunal, dont le raisonnement est validé par la Cour, a ainsi jugé que la différence de traitement avait « un fondement normatif dans le règlement de base ». La Cour confirme que l’article 11, paragraphe 2, constitue une règle spécifique qui justifie le maintien de la perception des droits sur les importations japonaises, indépendamment du déroulement de l’enquête initiale sur les importations d’autres origines. La coexistence de ces deux régimes procéduraux au sein d’un même règlement démontre une volonté du législateur de traiter différemment des situations qu’il a lui-même jugées non comparables.
II. La portée du principe de non-discrimination face à la marge d’appréciation des institutions
En validant la solution du Tribunal, la Cour de justice propose une interprétation du principe de non-discrimination qui préserve la cohérence des cadres procéduraux (A), tout en confirmant la marge d’appréciation dont dispose le Conseil pour déterminer les effets temporels de ses actes (B).
A. L’interprétation contextuelle du principe de non-discrimination
La requérante soutenait que le principe de non-discrimination, énoncé à l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, devait prévaloir sur les dispositions spécifiques de l’article 11, paragraphe 2. Ce principe exige en effet qu’un droit antidumping soit imposé « d’une manière non discriminatoire sur les importations d’un produit, de quelque source qu’elles proviennent ». La Cour rejette cependant une application absolue de ce principe qui ferait abstraction du contexte procédural. Elle juge que le Conseil n’avait pas l’obligation d’écarter l’application de l’article 11, paragraphe 2, au nom de l’article 9, paragraphe 5.
La Cour précise que le principe de non-discrimination « n’exige pas que, lorsque le Conseil décide de clôturer une procédure de réexamen […], il rétablisse une égalité de traitement absolue en ce qui concerne la perception des droits sur les importations relevant de ces différentes situations ». Autrement dit, le principe de non-discrimination n’impose pas d’effacer rétroactivement les conséquences juridiques découlant de l’application normale de procédures distinctes, même lorsque la décision finale de clôture est motivée par une volonté d’alignement. La non-discrimination s’apprécie au regard de la comparabilité des situations, laquelle était absente pendant la période litigieuse en raison de la nature différente des procédures.
B. La confirmation d’un pouvoir d’appréciation temporel du Conseil
En dernière analyse, l’arrêt confirme que le Conseil dispose d’une marge d’appréciation pour moduler les effets dans le temps de ses règlements. La décision de faire débuter la non-application des mesures au 28 février 1999 correspond au moment où les situations sont devenues objectivement comparables. C’est à cette date qu’il est devenu certain qu’aucune mesure définitive ne serait appliquée aux importations en provenance des États-Unis et de Thaïlande. À partir de ce moment, le maintien des mesures sur les importations japonaises serait devenu discriminatoire.
En choisissant cette date, le Conseil a opéré une mise en balance entre le respect du principe de non-discrimination et la nécessité de préserver l’intégrité des régimes procéduraux applicables. La Cour estime que, ce faisant, « le Conseil n’a pas ainsi excédé la marge d’appréciation dont il dispose en la matière ». Cette solution pragmatique permet de corriger une potentielle discrimination pour l’avenir, sans pour autant remettre en cause la légalité des perceptions de droits effectuées antérieurement sur un fondement juridique autonome et valide. L’arrêt illustre ainsi la manière dont la Cour articule les grands principes du droit communautaire avec les contraintes techniques et spécifiques du droit commercial.