La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 27 janvier 2021 une décision relative à l’imputation de pratiques anticoncurrentielles au sein d’un groupe. Une société de placement financier contestait sa responsabilité solidaire pour une entente sur le marché des câbles électriques commise par sa filiale indirecte. Les juges devaient déterminer si la détention de l’intégralité des droits de vote permet d’appliquer une présomption d’influence déterminante malgré une participation minoritaire au capital.
L’entité holding détenait initialement la totalité du capital d’un groupe industriel avant de réduire sa participation tout en conservant l’intégralité des droits de vote. La Commission européenne a sanctionné ces entités pour leur participation à une infraction unique et continue à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La société mère a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation contre la décision du 2 avril 2014 lui infligeant une amende. Le Tribunal ayant rejeté ce recours par un arrêt du 12 juillet 2018, un pourvoi a été formé devant la juridiction supérieure.
La requérante soutenait que la présomption d’influence déterminante ne pouvait s’appliquer qu’en cas de détention de la quasi-totalité du capital social de la filiale. Elle contestait également l’imputation de l’infraction pour la période postérieure à l’introduction en bourse de la société, invoquant son autonomie commerciale et son statut d’investisseur financier. La question posée consistait à savoir si le contrôle total des droits de vote justifie une présomption d’influence et quels indices caractérisent l’exercice effectif d’un tel pouvoir.
La juridiction rejette le pourvoi en confirmant que le degré de contrôle découle du pouvoir de direction effectif associé aux droits de vote majoritaires. Elle valide l’analyse du Tribunal concernant la période de participation minoritaire en se fondant sur un faisceau d’indices économiques, organisationnels et juridiques précis. L’étude de cette décision s’articulera autour de la consécration d’une présomption fondée sur le contrôle des suffrages (I) puis de la confirmation de l’influence déterminante (II).
I. La consécration d’une présomption fondée sur le contrôle des suffrages
A. L’assimilation du pouvoir de vote à la détention du capital
La Cour précise que la détention de la totalité des droits de vote permet de présumer l’exercice d’une influence déterminante de la société mère. Elle considère qu’une entité disposant de tous les suffrages « se trouve, à cet égard, dans une situation analogue à celle d’une société détenant la totalité du capital ». Cette approche privilégie la réalité du pouvoir de direction sur la seule détention patrimoniale des titres sociaux pour établir la responsabilité. Le juge rappelle que la capacité de déterminer la stratégie économique de la filiale constitue le critère essentiel de l’unité économique du groupe sanctionné.
Cette solution s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence protectrice de l’effet utile du droit de la concurrence face aux structures de groupes complexes. La juridiction affirme que la détention des droits de vote implique la faculté de nommer les dirigeants et de peser sur les décisions stratégiques majeures. L’arrêt souligne que la société mère ne peut ignorer l’étendue de son influence lorsqu’elle s’est réservée l’intégralité des prérogatives liées aux votes. Cette clarification renforce la sécurité juridique en définissant les contours de la responsabilité des holdings de reprise et des fonds de placement.
B. La préservation de l’efficacité de l’action répressive
L’application de cette présomption vise à ménager un équilibre entre la répression des comportements anticoncurrentiels et le respect des principes fondamentaux du droit. La Cour de justice souligne l’importance d’empêcher le renouvellement des infractions tout en garantissant les droits de la défense et la présomption d’innocence. Elle précise que « la mise en œuvre de la présomption n’est pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence ». Cette règle dispense l’administration de prouver l’implication directe de la société mère dans les pratiques de sa filiale.
La valeur de cette décision réside dans la facilitation de la preuve de l’unité économique pour les autorités de concurrence lors des enquêtes. Le juge refuse de subordonner la présomption à une vérification comptable simpliste qui ignorerait les mécanismes réels de gouvernance au sein des sociétés. La portée de cet arrêt s’étend à tous les montages juridiques où le contrôle politique est dissocié de la propriété économique des actions. Cette rigueur probatoire incite les sociétés mères à une vigilance accrue sur les activités de leurs filiales, même en cas de désengagement partiel.
II. La confirmation rigoureuse de l’exercice effectif d’une influence déterminante
A. La pertinence d’un faisceau d’indices concordants
Pour la période où la présomption ne s’appliquait plus, la Cour valide le recours à un ensemble d’éléments prouvant l’influence réelle. Elle rappelle que « l’exercice effectif d’une influence déterminante […] peut être déduit d’un faisceau d’éléments concordants » sans qu’un seul indice soit suffisant. La juridiction retient notamment le pouvoir de nomination des administrateurs et la présence de cadres de la société mère au sein du comité stratégique. La réception régulière de rapports mensuels détaillés confirme également l’absence d’autonomie réelle de la filiale sur le marché concerné par l’entente.
Le juge écarte l’argument selon lequel les obligations de transparence liées à une introduction en bourse garantiraient l’indépendance de la gestion sociale. Il estime que les liens personnels et les contrats de conseil antérieurs maintiennent une coordination étroite entre les entités juridiquement distinctes. L’analyse souligne que l’influence déterminante n’exige pas un cumul formel de fonctions de direction au sein des deux conseils d’administration respectifs. Cette méthode d’appréciation concrète permet de saisir la réalité économique derrière les apparences d’indépendance affichées par les rapports de gouvernance.
B. L’exigence probatoire pesant sur la société mère
La décision réaffirme la difficulté pour une société mère de renverser la présomption ou de contester le faisceau d’indices une fois établi. La Cour rejette les déclarations publiques d’indépendance au motif qu’elles ne suffisent pas à établir l’autonomie comportementale effective de la structure opérationnelle. Elle précise que les liens personnels suggèrent qu’une personne « poursuit effectivement, eu égard à ses liens avec une autre société, les intérêts de cette dernière ». Cette interprétation limite considérablement la portée de la clause du simple investisseur financier souvent invoquée par les banques d’affaires.
La solution retenue consacre une vision extensive de la responsabilité pour faute des sociétés mères en matière de pratiques restrictives de concurrence. Elle impose aux holdings une charge de la preuve particulièrement lourde pour démontrer que leur filiale détermine seule sa politique commerciale. Le juge confirme que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en exigeant des éléments concrets démentant les constatations de la Commission. Cette jurisprudence assure une application uniforme du droit de l’Union européenne en prévenant toute dilution de la responsabilité au sein des holdings.