Cour de justice de l’Union européenne, le 27 janvier 2021, n°C-787/19

Par un arrêt en manquement en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié de manière significative le régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux agences de voyages. Saisie par la Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’infraction, la Cour était invitée à examiner la conformité de la législation de la République d’Autriche avec les dispositions de la directive 2006/112/CE. La législation nationale en cause excluait du champ d’application de ce régime spécifique, connu sous le nom de régime de la marge, les prestations de services de voyages fournies à des clients assujettis à la TVA agissant pour les besoins de leur entreprise. Par ailleurs, elle autorisait ces mêmes agences à calculer leur base d’imposition de manière globale, soit pour des groupes de services, soit pour l’ensemble des opérations réalisées au cours d’une période fiscale. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si le régime de la marge s’applique aux transactions interentreprises (B2B) et si une méthode de calcul globalisée de la base d’imposition est compatible avec le droit de l’Union. En réponse, la Cour de justice a jugé que la République d’Autriche, en adoptant de telles dispositions, avait manqué aux obligations qui lui incombent. Elle a ainsi affirmé que le régime s’applique indépendamment de la qualité du client et que la base d’imposition doit être déterminée pour chaque opération, interdisant toute forme de globalisation comptable.

La solution retenue par la Cour de justice conduit à préciser d’une part le champ d’application matériel du régime de la marge (I), et d’autre part à en encadrer strictement les modalités de calcul (II).

I. L’extension du champ d’application du régime de la marge aux services interentreprises

La Cour confirme une interprétation extensive du régime de la marge en l’appliquant aux clients professionnels (A), rejetant ainsi une lecture restrictive fondée sur la finalité supposée du dispositif (B).

A. La consécration d’une lecture littérale des dispositions

La Cour de justice censure en premier lieu la position autrichienne consistant à « excluant du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée (tva) applicable aux agences de voyages les services de voyages fournis à des assujettis, qui les utilisent pour le compte de leur entreprise ». En statuant de la sorte, elle s’en tient à une lecture stricte des articles 306 à 310 de la directive TVA. Ces articles visent le « voyageur » sans opérer de distinction selon que celui-ci est un consommateur final ou un assujetti agissant dans le cadre de son activité économique. L’absence de toute précision ou restriction dans le texte conduit logiquement à considérer que le régime spécial a une portée générale. Le législateur de l’Union, s’il avait souhaité limiter le dispositif aux seules opérations à destination des particuliers (B2C), l’aurait explicitement mentionné. La solution assure ainsi une application uniforme de la directive, prévenant des divergences d’interprétation entre les États membres qui seraient susceptibles de créer des distorsions de concurrence sur le marché unique des services de voyage.

B. Le rejet d’une interprétation finaliste du régime

En adoptant cette solution, la Cour écarte l’argument selon lequel le régime de la marge aurait pour seule finalité de simplifier la taxation des services fournis aux consommateurs finaux. Cet argument repose sur l’idée que le régime a été conçu pour éviter aux agences de voyages de devoir s’immatriculer à la TVA dans chaque État membre où les prestations sont matériellement exécutées. Or, cette complexité se présenterait principalement pour les services rendus à des particuliers, les entreprises assujetties disposant de mécanismes de récupération de la TVA. La Cour de justice, sans nier cet objectif de simplification, refuse d’en faire l’unique grille de lecture du dispositif. Elle privilégie la sécurité juridique offerte par le texte et garantit que des opérations économiquement similaires soient traitées de manière fiscalement identique, quelle que soit la qualité du preneur. Cette décision réaffirme donc le primat de l’interprétation littérale des textes fiscaux européens lorsque ceux-ci sont clairs et inconditionnels.

Après avoir ainsi délimité le périmètre du régime spécial, la Cour s’est attachée à en préciser les modalités de calcul, réaffirmant là encore l’exigence d’une application rigoureuse des règles communes.

II. La prohibition d’une détermination globale de la base d’imposition

La Cour de justice invalide la méthode de calcul globalisée de la marge autorisée par l’État membre (A), réaffirmant la nécessité de préserver la structure et la logique du système commun de TVA (B).

A. L’exigence d’un calcul de la marge opération par opération

La Cour condamne en second lieu la législation autrichienne pour avoir autorisé « les agences de voyages […] à déterminer la base d’imposition de la TVA de manière globale pour des groupes de services ou pour l’ensemble des services fournis au cours d’une période d’imposition ». Une telle méthode consiste à compenser les profits et les pertes issus de différentes opérations de voyage pour en dégager une marge nette globale sur une période donnée. Or, l’article 308 de la directive dispose que la base d’imposition est constituée par la marge de l’agence de voyages, définie comme la différence entre le prix total payé par le voyageur et le coût effectif des livraisons et prestations de services acquises auprès d’autres assujettis. La structure de cette disposition implique nécessairement un calcul pour chaque service de voyage distinct. La marge taxable correspond à la valeur ajoutée par l’agence pour une prestation individualisée et non à son résultat d’exploitation périodique.

B. La sauvegarde de l’intégrité du système commun de TVA

En censurant la globalisation de la base d’imposition, la Cour de justice préserve les principes fondamentaux du système commun de TVA. Ce dernier repose sur une taxation précise de chaque transaction, à chaque étape du processus économique. Permettre une compensation entre des opérations bénéficiaires et des opérations déficitaires reviendrait à dénaturer le mécanisme de la TVA, qui n’est pas un impôt sur le bénéfice des entreprises mais un impôt sur la consommation prélevé de manière fractionnée. La décision empêche ainsi un État membre d’introduire une mesure de simplification nationale qui, bien que potentiellement pragmatique pour les opérateurs, contrevient à la logique et à l’uniformité du système harmonisé. La rigueur de cette approche garantit que la charge fiscale est correctement établie et que les ressources propres de l’Union provenant de la TVA sont calculées de manière homogène sur tout son territoire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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