Par un arrêt du 11 juillet 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté le pourvoi formé par deux sociétés contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne ayant validé une décision de la Commission européenne. Cette dernière refusait l’inscription d’une substance active, la diphénylamine, utilisée notamment pour la conservation des pommes après récolte, à l’annexe I de la directive 91/414/CEE. La controverse portait sur l’existence de lacunes dans le dossier d’évaluation des risques, empêchant de garantir l’absence d’effets nocifs pour la santé humaine.
En l’espèce, deux entreprises spécialisées dans la production et la commercialisation de produits phytopharmaceutiques avaient sollicité l’inscription de cette substance. Après une évaluation initiale favorable mais conditionnelle de l’État membre rapporteur, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait identifié plusieurs sujets de préoccupation, notamment quant à « la présence et la toxicité de métabolites non identifiés » et « l’éventuelle formation de nitrosamines ». Se fondant sur ces incertitudes, la Commission européenne a adopté une décision de non-inscription et de retrait des autorisations existantes. Les entreprises ont alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation, arguant notamment d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de leurs droits de la défense. Le Tribunal a rejeté leur recours, considérant que les motifs de la Commission étaient fondés et que les droits procéduraux des entreprises avaient été respectés. Celles-ci ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice.
Les requérantes soutenaient d’une part que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas que la question des nitrosamines était le motif principal de la décision de non-inscription, et d’autre part, qu’il avait jugé à tort qu’elles n’avaient pas été privées de la possibilité effective de retirer leur demande de soutien, ce qui leur aurait permis de bénéficier d’un délai de retrait de leurs produits plus long. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le Tribunal avait correctement apprécié, d’une part, la portée des garanties procédurales offertes au notifiant dans le cadre de la procédure d’évaluation et, d’autre part, le caractère autonome et suffisant des différents motifs scientifiques justifiant la décision de non-inscription.
La Cour de justice a rejeté le pourvoi dans son intégralité. Elle a jugé que le Tribunal n’avait commis aucune erreur de droit en concluant que les entreprises disposaient d’indices suffisants pour envisager le retrait de leur soutien avant la date limite. De plus, elle a validé l’appréciation du Tribunal selon laquelle les différents sujets de préoccupation identifiés par la Commission constituaient des motifs indépendants et équivalents justifiant à eux seuls la non-inscription de la substance.
La solution retenue par la Cour de justice confirme une interprétation rigoureuse des garanties procédurales accordées aux opérateurs économiques (I), tout en validant le contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal sur l’appréciation des risques sanitaires par la Commission (II).
I. La confirmation d’une conception rigoureuse des garanties procédurales de l’administré
L’arrêt de la Cour de justice conforte une approche stricte des droits de la défense dans le contexte des procédures d’évaluation scientifique complexes. Il rejette l’idée que les notifiants auraient été privés de leur faculté de retrait (A) et consacre une interprétation restrictive des obligations d’information pesant sur les autorités de l’Union (B).
A. Le rejet d’une privation du droit au retrait du soutien
Les sociétés requérantes faisaient valoir qu’elles n’avaient pu exercer utilement leur droit de retirer leur soutien à l’inscription de la substance, faute d’avoir été informées à temps des difficultés sérieuses que présentait leur dossier. La Cour, confirmant l’analyse du Tribunal, écarte cet argument. Elle estime que la simple information de l’organisation d’une consultation d’experts par l’EFSA, communiquée aux notifiants, constituait un indice suffisant. Cette consultation, prévue à l’article 11 quater du règlement n° 1490/2002, présupposait que l’inscription n’était pas considérée comme évidente. Le Tribunal a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que les notifiants « disposaient dès le 28 septembre 2007, et donc bien avant l’expiration du délai de retrait du soutien, d’indices leur permettant d’avoir des doutes quant au fait que la décision finale leur serait favorable ». La Cour valide ainsi un raisonnement qui impose aux opérateurs une lecture attentive et proactive des étapes procédurales. Le simple déclenchement d’une phase d’examen approfondi suffit à faire naître une incertitude que l’opérateur diligent se doit de prendre en compte dans sa stratégie.
B. L’interprétation stricte des délais et des obligations d’information
En filigrane, la Cour précise la portée des obligations d’information des institutions de l’Union. Elle juge que la possibilité pour les notifiants de retirer leur soutien « ne saurait dépendre de l’achèvement de la procédure de réexamen ». Autrement dit, le droit de retrait est une faculté stratégique que l’opérateur doit exercer sur la base des informations disponibles, même parcellaires, sans pouvoir exiger d’attendre les conclusions définitives de l’évaluation scientifique. La Cour note également qu’aucune disposition n’obligeait l’EFSA à achever son réexamen avant l’expiration du délai de retrait, ni même à informer les notifiants de ses conclusions intermédiaires. Cette position souligne la prééminence de l’efficacité et de la célérité de la procédure d’évaluation. Elle place la charge de l’anticipation sur l’opérateur économique, qui doit évaluer le risque d’un refus final à partir de signaux procéduraux, plutôt que sur la base de certitudes scientifiques établies. La sécurité juridique procédurale est ainsi privilégiée par rapport à une information exhaustive du notifiant.
II. La validation du contrôle juridictionnel de l’appréciation des risques sanitaires
Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt apporte un éclairage sur l’étendue du contrôle exercé par le juge de l’Union sur les évaluations scientifiques complexes. Il confirme l’autonomie des motifs de non-inscription (A) et réaffirme la portée limitée du contrôle juridictionnel en la matière (B).
A. L’autonomie des motifs de non-inscription de la substance
Les requérantes soutenaient que l’inquiétude relative à la formation de nitrosamines était le motif essentiel de la décision de refus et que les autres préoccupations étaient secondaires. Le Tribunal avait rejeté cette thèse, et la Cour confirme son analyse. Elle relève que les trois sujets de préoccupation mentionnés dans la décision litigieuse, à savoir les métabolites non identifiés, l’éventuelle formation de nitrosamines et l’absence de données sur les produits de dégradation, étaient présentés comme d’importance équivalente. La Cour entérine la conclusion du Tribunal selon laquelle « les lacunes dans les données concernant chacun d’eux ne permettaient pas d’effectuer une évaluation complète du risque ». Cette approche signifie que, face à plusieurs incertitudes scientifiques, la Commission n’a pas à hiérarchiser les risques. L’existence de plusieurs zones d’ombre, chacune étant de nature à empêcher une évaluation fiable de la sécurité du produit, suffit à justifier légalement une décision de non-inscription. Chaque lacune constitue un motif autonome et suffisant, rendant inopérante toute argumentation visant à minimiser l’importance relative de l’une d’entre elles.
B. La portée limitée du contrôle sur l’évaluation scientifique de la Commission
En rejetant le moyen tiré de la dénaturation des éléments de preuve, la Cour réaffirme un principe fondamental du contentieux de l’Union. Le juge n’a pas vocation à substituer sa propre appréciation scientifique à celle des institutions spécialisées, comme l’EFSA et la Commission, lorsque celles-ci procèdent à des évaluations techniques complexes. Le contrôle juridictionnel se limite à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, l’exactitude matérielle des faits, le respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que l’absence de détournement de pouvoir. En l’espèce, le Tribunal a souverainement apprécié les faits en jugeant que les lettres de l’EFSA pouvaient être interprétées comme des indices de difficultés à venir, sans dénaturer leur contenu. La Cour de justice, juge du droit, ne revient pas sur cette appréciation des faits, sauf dénaturation, qui n’est pas établie. Cet arrêt illustre donc la déférence du juge à l’égard de l’expertise scientifique, surtout dans un domaine où le principe de précaution impose une approche prudente face aux incertitudes relatives à la santé publique.