Cour de justice de l’Union européenne, le 27 juin 2013, n°C-485/11

Par un arrêt en manquement du 19 septembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une taxe nationale imposée aux opérateurs de communications électroniques avec le droit de l’Union, et plus spécifiquement avec l’article 12 de la directive 2002/20/CE, dite directive « autorisation ».

En l’espèce, un État membre avait institué, par une disposition de son code général des impôts, une taxe additionnelle due par tout opérateur de communications électroniques fournissant un service sur son territoire. Cette taxe était assise sur les sommes acquittées par les usagers en contrepartie des services fournis, après déduction de certains amortissements et avec un abattement pour un seuil de chiffre d’affaires inférieur à cinq millions d’euros. L’organe exécutif de l’Union a estimé que cette taxe méconnaissait les obligations découlant de la directive « autorisation », au motif qu’elle constituait une charge administrative non conforme aux exigences de ladite directive. Après une procédure précontentieuse infructueuse, l’organe exécutif a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement contre l’État membre concerné.

La demanderesse soutenait que la taxe litigieuse relevait du champ d’application de l’article 12 de la directive, car son fait générateur était la détention d’une autorisation de fourniture de services de communications électroniques. Elle en déduisait que cette taxe, n’étant pas assise sur les coûts administratifs de gestion du régime d’autorisation, était illégale. L’État membre défendeur, soutenu par d’autres États intervenants, réfutait cette analyse en affirmant que le fait générateur de la taxe n’était pas l’autorisation administrative elle-même, mais bien l’activité économique de fourniture de services aux usagers. La taxe échapperait ainsi au champ de la directive et relèverait de la compétence fiscale souveraine de l’État.

La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si une taxe imposée aux opérateurs de communications électroniques, dont l’assiette est fondée sur leur activité économique et non sur les coûts administratifs liés à la gestion des autorisations, entre dans le champ d’application de l’article 12 de la directive « autorisation ».

La Cour de justice a rejeté le recours en manquement, considérant que la taxe en cause ne relevait pas du champ d’application de la directive. Elle a jugé que les taxes visées par l’article 12 sont uniquement celles qui ont un caractère rémunératoire pour des services administratifs spécifiques liés à la procédure d’autorisation. La taxe litigieuse, étant déclenchée par l’exercice d’une activité économique et non par l’obtention de l’autorisation, n’entrait pas dans cette catégorie.

La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte des charges pécuniaires encadrées par la directive (I), ce qui conduit à préserver une part importante de l’autonomie fiscale des États membres dans le secteur des communications électroniques (II).

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I. L’interprétation stricte du champ d’application des taxes administratives

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse des conditions d’application de l’article 12 de la directive « autorisation ». Elle retient que seules les taxes présentant un caractère rémunératoire sont concernées par ce texte (A), ce qui l’amène logiquement à exclure la taxe litigieuse, dont le fait générateur est distinct de la procédure d’autorisation (B).

A. Le caractère rémunératoire comme critère déterminant

La Cour rappelle d’emblée la finalité des taxes administratives visées par la directive. Celles-ci ont pour unique objet de financer les coûts supportés par les autorités réglementaires nationales pour la gestion du régime d’autorisation. Elle énonce clairement que « les taxes administratives visées à l’article 12 de la directive ‘autorisation’ ont dès lors un caractère rémunératoire ». Cette qualification est essentielle, car elle implique une double condition. D’une part, la taxe doit être la contrepartie d’un service administratif identifiable rendu par l’autorité publique à l’opérateur. D’autre part, son montant doit être proportionné et directement corrélé aux coûts réels de ce service.

En se fondant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour précise que ces activités administratives se limitent à « la délivrance, la gestion, le contrôle et la mise en œuvre du régime d’autorisation générale applicable ». Toute taxe qui ne correspond pas à la couverture de ces frais spécifiques ne peut être qualifiée de taxe administrative au sens de la directive. Ce faisant, la Cour établit un lien indissociable entre la taxe et le service administratif qui la justifie. Ce lien fonctionnel devient le critère principal pour déterminer si une imposition relève ou non du champ d’application de l’article 12.

B. L’exclusion de la taxe litigieuse en raison de son fait générateur

Appliquant ce critère à la taxe française, la Cour examine son fait générateur. Elle constate que l’assujettissement à la taxe n’est pas lié à l’obtention ou à la détention de l’autorisation générale. Au contraire, la taxe est déclenchée par « la fourniture d’un service en France par tout opérateur de communications électroniques ». De plus, des éléments comme le seuil d’imposition de cinq millions d’euros de revenus et l’exclusion de certaines prestations inter-opérateurs démontrent que l’imposition ne frappe pas l’accès au marché, mais bien l’activité économique qui en résulte.

La Cour en conclut que « le fait générateur de la taxe litigieuse n’est pas lié à la procédure d’autorisation générale ou à l’octroi d’un droit d’utilisation ». La taxe n’est pas due du simple fait d’être un opérateur autorisé, mais du fait d’exercer une activité économique lucrative sur le marché final. Par conséquent, elle ne présente pas le caractère rémunératoire d’une taxe administrative au sens de la directive. Cette distinction entre le statut d’opérateur autorisé et l’exercice effectif d’une activité commerciale est au cœur du raisonnement de la Cour et justifie que la taxe soit placée hors du cadre harmonisé par la directive.

Cette lecture restrictive, si elle clarifie la notion de taxe administrative, consacre surtout une approche qui préserve la souveraineté fiscale des États membres.

II. La préservation de la souveraineté fiscale des États membres

En rejetant la conception extensive de la notion de taxe administrative défendue par l’organe exécutif de l’Union (A), la Cour réaffirme l’équilibre entre l’harmonisation du marché intérieur et le maintien des compétences nationales, notamment fiscales (B).

A. Le rejet d’une conception extensive de l’encadrement fiscal

L’argumentation de la partie demanderesse reposait sur une vision large de l’article 12. Selon elle, dès lors qu’une taxe vise spécifiquement les opérateurs de communications électroniques, dont l’activité est conditionnée par une autorisation, cette taxe est perçue « au titre de l’autorisation générale » et doit respecter les contraintes de la directive. Cette approche aurait eu pour effet de limiter considérablement la capacité des États membres à imposer des charges fiscales sectorielles aux opérateurs de télécommunications.

La Cour refuse de suivre cette voie. Elle opère une distinction nette entre le redevable de la taxe (l’opérateur autorisé) et le fait générateur de celle-ci (l’activité économique). Elle juge qu’il « ne saurait être déduit de l’arrêt Mobistar et Belgacom Mobile, précité, que toute taxe imposée à un opérateur titulaire d’une autorisation générale […] relève du champ d’application de la directive ‘autorisation’ ». En écartant une interprétation qui aurait fait de l’autorisation la cause indirecte de toute imposition sectorielle, la Cour évite une harmonisation fiscale rampante qui ne ressort ni de la lettre ni de l’esprit de la directive.

B. La portée de la solution pour l’équilibre des compétences

La décision a une portée significative pour la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Elle confirme que si la directive « autorisation » vise à éliminer les barrières administratives et financières à l’entrée sur le marché des communications électroniques, elle n’a pas pour objet d’harmoniser l’ensemble de la fiscalité applicable à ce secteur. Les États membres conservent donc la prérogative d’instaurer des impôts spécifiques à un secteur économique, pourvu que ces impôts ne constituent pas une redevance déguisée pour l’accès au marché.

Cette solution établit un équilibre. D’une part, l’accès au marché est protégé par un encadrement strict des taxes liées à la procédure d’autorisation. D’autre part, une fois l’opérateur établi sur le marché, il reste soumis, comme tout autre acteur économique, à la souveraineté fiscale de l’État membre sur le territoire duquel il exerce son activité. La Cour valide ainsi la possibilité pour un État de mettre en place des politiques fiscales sectorielles pour des motifs qui lui sont propres, tels que le financement d’autres politiques publiques, sans que cela soit considéré comme une entrave contraire au droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
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