Cour de justice de l’Union européenne, le 27 juin 2018, n°C-230/17

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 27 juin 2019, précise les modalités d’octroi d’un droit de séjour au retour d’un citoyen.

Un ressortissant d’un État tiers réside ponctuellement en Suède chez son père et la conjointe de celui-ci, laquelle possède la nationalité danoise. Le couple retourne s’installer au Danemark le 24 octobre 2014 après avoir exercé son droit de libre circulation sur le territoire d’un autre État membre. Le descendant entre au Danemark le 25 juin 2015 sous couvert d’un visa de courte durée et sollicite un titre de séjour le 17 juillet 2015.

L’administration régionale rejette cette demande au motif qu’elle ne s’inscrit pas dans le prolongement naturel du retour de la citoyenne de l’Union au Danemark. L’Office de l’immigration confirme cette position le 3 juin 2016 en estimant que le droit de séjour dérivé est frappé de caducité pour des raisons temporelles. Un recours est alors formé le 15 juin 2016 devant le Tribunal municipal de Copenhague qui renvoie l’affaire devant la juridiction supérieure pour examen de la légalité.

La Cour d’appel de la région Est, au Danemark, décide de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de l’article 21 du Traité. Le juge national souhaite savoir si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation refusant un séjour dérivé faute de demande déposée lors du retour effectif. Les requérants soutiennent qu’une telle exigence temporelle viole la liberté de circulation en imposant une condition non prévue par les textes fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour juge que l’article 21 du Traité ne s’oppose pas par principe à une condition de lien temporel lors du retour du citoyen national. Cette mesure demeure valide tant qu’elle constitue un simple indice et permet une appréciation globale tenant compte de la poursuite réelle de la vie familiale. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord la reconnaissance du droit de séjour dérivé avant d’étudier les limites du contrôle temporel exercé par l’État.

I. La reconnaissance d’un droit de séjour dérivé fondé sur la libre circulation

A. L’extension par analogie des garanties de la directive 2004/38

La Cour rappelle que l’effet utile du droit de séjour garanti par le Traité impose la protection de la vie familiale constituée dans l’État d’accueil. Elle souligne que « l’effet utile des droits que le citoyen de l’Union concerné tire de l’article 21, paragraphe 1, TFUE exige que la vie de famille […] puisse être poursuivie ». Sans cette garantie, le ressortissant national serait dissuadé de quitter son pays d’origine s’il n’avait pas la certitude de demeurer avec ses proches.

L’octroi de ce droit au retour ne doit pas être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues pour un citoyen s’établissant ailleurs. Bien que la directive 2004/38 ne couvre pas explicitement le cas du retour, elle doit être appliquée par analogie pour définir les conditions de séjour. Le citoyen de l’Union constitue la personne de référence indispensable pour que le membre de sa famille puisse prétendre à un titre de séjour dérivé.

B. L’absence de condition de délai explicite dans le droit dérivé

Le droit de séjour reconnu aux membres de la famille n’est pas subordonné à l’obligation d’entrer sur le territoire national dans un délai préfixé spécifique. La Cour précise que les membres de la famille bénéficient de cette protection non seulement lorsqu’ils accompagnent le citoyen, mais également lorsqu’ils choisissent de le rejoindre. Aucune disposition textuelle n’impose une concomitance absolue entre le retour du ressortissant national et l’arrivée des membres de sa famille sur le sol étatique.

Cette souplesse garantit la protection des situations individuelles variées où un décalage temporel peut s’avérer nécessaire pour des raisons professionnelles ou purement éducatives. La liberté de circulation ne saurait être entravée par des formalités chronologiques rigides qui ignoreraient la réalité des liens familiaux développés lors du séjour effectif. Si le principe du droit au séjour est acquis, sa mise en œuvre laisse toutefois aux autorités nationales une marge de manœuvre probatoire encadrée.

II. La légitimité encadrée du contrôle temporel par l’État membre

A. Le délai de retour comme simple indice de la rupture de la vie familiale

Les autorités compétentes conservent la faculté de vérifier que la vie de famille n’a pas été interrompue avant l’entrée du ressortissant tiers sur le territoire. L’État peut valablement prendre en considération le temps écoulé depuis le retour du citoyen en tant que « simple indice » de l’inexistence d’un lien familial. Un délai important entre les deux arrivées autorise l’administration à s’interroger sur la persistance de la communauté de vie initialement établie dans l’autre État.

Cette vérification permet de lutter contre d’éventuels abus de droit tout en préservant la souveraineté nationale en matière de contrôle des flux migratoires familiaux. L’écoulement du temps ne saurait cependant créer une présomption irréfragable de rupture du lien justifiant un rejet automatique de la demande de titre de séjour. La légitimité du contrôle étatique est ainsi conditionnée par l’interdiction de transformer un critère temporel en une barrière infranchissable pour le bénéficiaire du droit.

B. L’obligation d’une appréciation globale des circonstances individuelles

Une réglementation nationale ne peut refuser le séjour au seul motif que la demande n’est pas intervenue dans le prolongement naturel du retour du citoyen. Le juge européen exige une « appréciation globale » intégrant d’autres éléments pertinents susceptibles de justifier un retard, tels que des obligations contractuelles ou des cycles d’études. Le délai constitue un élément pertinent qui ne doit pas présenter à lui seul un caractère déterminant pour conclure à l’inexistence du lien.

Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si la vie de famille développée et consolidée dans l’État membre d’accueil n’a pas effectivement pris fin. Cette approche personnalisée assure le respect de la vie privée tout en permettant à l’État de sanctionner les demandes étrangères dépourvues de lien réel. La décision d’espèce concilie ainsi les exigences de la liberté de circulation avec la nécessité d’un contrôle administratif fondé sur des preuves tangibles.

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Hassan KOHEN
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