Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application du régime de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux prestations de soins à la personne. En l’espèce, un assujetti, réalisant des prestations de nature médicale, s’est vu opposer par l’administration fiscale de son État membre une remise en cause du régime de TVA appliqué à ses opérations. Saisie du litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de déterminer, d’une part, si l’exonération de TVA pour les soins médicaux était conditionnée à la nature réglementée de la profession exercée. D’autre part, elle interrogeait la Cour sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une distinction opérée par le droit national entre les fournitures liées à des actes thérapeutiques et celles liées à des actes purement esthétiques pour l’application d’un taux réduit. Enfin, la question se posait de savoir si une juridiction nationale pouvait, en vertu de son droit interne, maintenir provisoirement les effets d’une législation jugée contraire au droit de l’Union afin d’éviter une insécurité juridique.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que l’exonération de TVA prévue par la directive n’est pas réservée aux seules professions médicales réglementées par l’État membre. Elle juge ensuite qu’un État membre peut légitimement exclure du bénéfice du taux réduit de TVA les médicaments et dispositifs médicaux fournis dans le cadre d’interventions à vocation exclusivement esthétique. Enfin, elle affirme qu’une juridiction nationale ne peut se prévaloir d’une disposition de son droit interne pour maintenir, même à titre provisoire, les effets d’une réglementation nationale incompatible avec une directive.
La Cour apporte ainsi des clarifications substantielles sur le champ d’application matériel des régimes de TVA applicables aux soins (I), tout en réaffirmant avec fermeté les obligations procédurales du juge national garantissant l’effectivité du droit de l’Union (II).
I. La délimitation du champ des régimes de TVA en matière de soins à la personne
La décision clarifie le périmètre des exonérations de TVA en adoptant une interprétation extensive de la notion de soins à la personne (A), tout en validant une approche restrictive fondée sur la finalité de l’acte pour l’application du taux réduit (B).
A. L’interprétation extensive de la notion de « soins à la personne »
La Cour de justice consacre une approche matérielle de l’exonération de TVA prévue à l’article 132 de la directive 2006/112/CE. Elle juge que l’exonération des prestations de soins ne saurait dépendre de la seule appartenance du praticien à une profession réglementée au niveau national. En effet, elle énonce que l’article 132, paragraphe 1, sous c), de la directive « ne réserve pas l’application de l’exonération qu’il prévoit aux prestations effectuées par des praticiens d’une profession médicale ou paramédicale réglementée par la législation de l’État membre concerné ».
Ce faisant, la Cour privilégie la nature de la prestation fournie plutôt que le statut du prestataire. L’objectif de cette disposition est de garantir que le coût des soins médicaux ne soit pas alourdi par la TVA, afin de rendre ces soins plus accessibles aux individus. Une interprétation qui limiterait l’exonération aux seules professions réglementées pourrait conduire à des traitements fiscaux différents pour des prestations de soins identiques ou similaires, en violation du principe de neutralité fiscale. La qualité des prestations et la protection de la santé publique, objectifs légitimes des réglementations nationales, ne sauraient justifier une restriction du champ de l’exonération fiscale qui ne serait pas expressément prévue par le texte de la directive.
B. La distinction maintenue entre finalité thérapeutique et finalité esthétique
Si la Cour adopte une vision large des prestataires éligibles à l’exonération, elle admet en revanche qu’une distinction fondée sur la finalité de l’acte puisse être opérée par les États membres pour l’application du taux réduit de TVA. Elle valide ainsi la différence de traitement entre les fournitures de biens médicaux selon qu’elles s’inscrivent dans un cadre thérapeutique ou purement esthétique. La Cour juge que l’article 98 de la directive, lu en combinaison avec son annexe III, « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui opère une différence de traitement » entre ces deux catégories d’opérations, en excluant les secondes du bénéfice du taux réduit.
Cette solution reconnaît la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la mise en œuvre des taux réduits, qui constituent une dérogation au principe du taux normal. L’annexe III de la directive vise les produits pharmaceutiques et les équipements médicaux « d’usage normalement médical ». La Cour estime qu’il est cohérent avec l’objectif de cette disposition, qui est d’alléger le coût des biens essentiels à la santé, d’exclure les produits utilisés à des fins purement esthétiques. Une telle distinction ne crée pas de distorsion de concurrence entre des produits similaires, car leur usage et leur finalité diffèrent substantiellement, justifiant ainsi une politique fiscale différenciée.
II. Le rappel des limites procédurales du juge national face au droit de l’Union
Au-delà des questions de fond relatives à la TVA, l’arrêt réaffirme avec force l’obligation pour le juge national de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union (A), ce qui implique de reconnaître la primauté de la sécurité juridique issue de l’ordre juridique de l’Union sur les considérations de droit interne (B).
A. L’impossible application d’une disposition nationale contraire au droit de l’Union
La Cour de justice censure fermement la possibilité pour une juridiction nationale de moduler dans le temps les effets de l’incompatibilité d’une loi nationale avec le droit de l’Union. Elle juge que, « dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une juridiction nationale ne peut pas faire usage d’une disposition nationale l’habilitant à maintenir certains effets d’un acte annulé pour maintenir provisoirement l’effet de dispositions nationales qu’elle a jugées incompatibles avec la directive 2006/112 ».
Cette position est une application rigoureuse du principe de primauté du droit de l’Union. Le juge national, en sa qualité de premier juge du droit de l’Union, a l’obligation d’écarter toute disposition de droit interne contraire à une norme européenne d’effet direct. Permettre au juge de maintenir, même temporairement, une loi nationale incompatible reviendrait à paralyser l’effet utile de la directive et à subordonner l’application du droit de l’Union à des règles de procédure ou à des considérations nationales. La Cour rappelle ainsi que l’obligation d’assurer le plein effet du droit de l’Union est inconditionnelle et ne saurait souffrir d’aucun aménagement qui en compromettrait la substance.
B. La primauté de la sécurité juridique issue du droit de l’Union
En interdisant au juge national de maintenir les effets d’une loi incompatible avec une directive, la Cour fait prévaloir la sécurité juridique telle qu’elle découle de l’ordre juridique de l’Union. L’argument tiré des risques d’insécurité juridique nés d’une annulation rétroactive en droit interne est écarté. De même, la Cour rejette la justification fondée sur la volonté d’éviter l’application d’un régime national antérieur, lui-même jugé incompatible avec la directive.
La solution garantit une application uniforme du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire. La sécurité juridique exige que les justiciables puissent se prévaloir de manière certaine et prévisible des droits qu’ils tirent des directives. Admettre qu’un juge national puisse déroger à cette obligation au nom de la stabilité de son ordre juridique interne créerait une application fragmentée et inégale du droit de l’Union. Seule la Cour de justice peut, à titre exceptionnel et pour des raisons impérieuses de sécurité juridique, limiter dans le temps les effets d’un de ses arrêts. En l’absence d’une telle décision, le juge national est tenu de donner un effet immédiat et complet à l’incompatibilité qu’il constate.