Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions importantes sur le classement tarifaire des fibres optiques au sein de la nomenclature combinée. Cette décision illustre la méthode d’interprétation stricte du droit douanier et la portée limitée des principes de sécurité juridique et de confiance légitime pour les opérateurs économiques.
En l’espèce, une société importatrice avait déclaré des marchandises, de juillet à décembre 2018, comme relevant de la sous-position 8544 70 00 de la nomenclature combinée, correspondant aux « câbles de fibres optiques » et bénéficiant d’une exemption de droits d’importation. En juillet 2019, à la suite de la publication de nouvelles notes explicatives, cette même société a informé l’administration douanière nationale que ses produits relevaient en réalité de la sous-position 9001 10 90, relative aux « fibres optiques », soumise à un taux de 2,9 %. Elle demandait une régularisation à compter de la date de publication de ces notes. Toutefois, après un contrôle a posteriori en 2021, les autorités douanières ont procédé au reclassement des marchandises pour l’ensemble de la période concernée et ont exigé le paiement des droits éludés ainsi que des intérêts de retard. La réclamation de la société ayant été rejetée, celle-ci a saisi une juridiction roumaine d’un recours.
Face à cette situation, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur plusieurs points. Il s’agissait de déterminer, d’une part, le classement tarifaire correct d’un produit constitué d’une fibre optique simplement revêtue de deux couches d’acrylate, sans gaine de protection extérieure. D’autre part, la juridiction nationale cherchait à savoir si les principes de sécurité juridique et de confiance légitime pouvaient faire obstacle à un recouvrement a posteriori, notamment lorsque des décisions de classement antérieures, y compris des renseignements tarifaires contraignants délivrés à des tiers ou des décisions de juridictions d’autres États membres, avaient validé le classement initial.
La Cour a jugé que le produit en cause, dépourvu de gaine protectrice, ne pouvait être qualifié de « câble » au sens de la position 8544 et devait donc relever de la position 9001. Elle a par ailleurs considéré que ni le principe de sécurité juridique ni celui de la confiance légitime ne s’opposaient au recouvrement des droits, les décisions invoquées par l’opérateur n’étant pas de nature à créer des espérances fondées à son égard. La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une application rigoureuse des critères matériels de classement (I), dont elle tire des conséquences strictes quant aux garanties invocables par l’opérateur économique (II).
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I. Une interprétation stricte des critères de classement tarifaire
La Cour de justice fonde sa solution sur une lecture littérale des libellés de la nomenclature combinée et de ses notes, réaffirmant la prévalence des caractéristiques objectives et intrinsèques des marchandises. Cette approche conduit à opérer une distinction essentielle entre une fibre individuellement gainée et un câble protégé (A), ce qui aboutit logiquement à l’exclusion du produit litigieux de la catégorie des câbles de fibres optiques (B).
A. La distinction essentielle entre fibre gainée et câble protégé
Le raisonnement de la Cour repose sur une hiérarchie claire des normes d’interprétation, rappelant que, conformément aux règles générales pour l’interprétation de la nomenclature combinée, « le classement des marchandises est déterminé selon les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres ». L’enjeu central du litige était la frontière entre la position 9001, visant les « fibres optiques », et la position 8544, couvrant les « câbles de fibres optiques, constitués de fibres gainées individuellement ».
Pour la Cour, le critère décisif réside dans une double condition cumulative pour relever de la position 8544. Il ne suffit pas que les fibres soient dotées d’un revêtement individuel, même sophistiqué. La Cour souligne en effet que, sur la base des libellés et des notes explicatives, « les fibres optiques formant des câbles doivent, à la fois, être gainées individuellement et être placées dans une gaine de protection ou une enveloppe protectrice ». L’absence de cette seconde enveloppe, destinée à conférer une résistance mécanique et une protection globale à l’ensemble, est donc dirimante. La simple juxtaposition de fibres, même enduites, ne constitue pas un câble au sens douanier du terme.
B. L’application du critère au produit litigieux
Appliquant ce critère aux faits de l’espèce, la Cour conclut sans ambiguïté au mauvais classement initial des marchandises. Le produit importé, bien que composé d’une fibre optique dotée d’une double couche d’acrylate, ne disposait pas de l’indispensable gaine de protection extérieure. Il ne s’agissait donc que d’une fibre optique perfectionnée, relevant de la position 9001, et non d’un câble achevé relevant de la position 8544.
La Cour écarte par ailleurs l’argument selon lequel les notes explicatives de 2019 auraient modifié l’état du droit. Elle estime que ces notes n’ont fait que clarifier une condition déjà implicite dans les textes antérieurs, en précisant que les fibres gainées individuellement « ne forment pas un câble de fibres optiques du n o 8544 en elles-mêmes avant d’avoir été placées dans une gaine de protection ». Cette analyse confirme que la modification d’une note explicative n’a pas, en principe, un effet novateur mais purement déclaratif, confortant l’interprétation retenue. La solution finale est donc sans équivoque : la nomenclature combinée « ne couvre pas un câble de fibres optiques composé d’une âme optique et d’un revêtement optique recouverts d’une première couche intérieure en acrylate souple, elle-même recouverte d’une seconde couche en acrylate dur coloré ».
II. La portée limitée des garanties reconnues à l’opérateur économique
Après avoir tranché la question technique du classement, la Cour se penche sur les conséquences de cette décision pour l’opérateur, en examinant les garanties qu’il tentait d’invoquer. Elle adopte là encore une position rigoureuse, en écartant la possibilité de se prévaloir d’une confiance légitime fondée sur des décisions tierces (A), affirmant ainsi la primauté de l’application uniforme du droit douanier sur les situations particulières (B).
A. Le rejet de la confiance légitime fondée sur des décisions tierces
L’opérateur économique soutenait que le recouvrement a posteriori portait atteinte au principe de protection de la confiance légitime. Il arguait de l’existence de renseignements tarifaires contraignants (RTC) délivrés à d’autres sociétés, ainsi que de décisions de juridictions d’autres États membres, qui semblaient valider le classement initial dans la position 8544. La Cour balaie cet argument en rappelant la portée strictement personnelle de ces instruments.
Elle énonce clairement qu’« un rtc ne peut être invoqué que par son titulaire ». Un opérateur ne peut donc se prévaloir d’un RTC délivré à un tiers pour fonder une espérance légitime. De même, les décisions de justice rendues dans d’autres affaires ne constituent pas les « assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables » requises par la jurisprudence pour caractériser une violation du principe de confiance légitime. En l’absence d’un RTC délivré à la société importatrice elle-même pour les produits en cause, aucune confiance juridiquement protégée ne pouvait naître.
B. La primauté de l’application uniforme du droit douanier
En filigrane, la décision de la Cour réaffirme un principe fondamental de l’union douanière : la nécessité d’une application uniforme du tarif douanier commun sur tout le territoire de l’Union. Admettre qu’un opérateur puisse se prévaloir de décisions erronées, même émises par des autorités douanières, pour échapper à l’application correcte de la loi, créerait une rupture d’égalité entre les importateurs et porterait atteinte aux ressources propres de l’Union.
Le principe de sécurité juridique, qui exige que la réglementation soit claire et prévisible, n’est pas pour autant ignoré. Cependant, la Cour estime qu’en l’espèce, les libellés de la nomenclature combinée, éclairés par les notes, étaient suffisamment précis pour permettre à un opérateur diligent de déterminer le classement correct. La complexité de la matière ou l’existence de pratiques administratives divergentes ne suffisent pas à rendre la loi imprévisible, surtout pour un professionnel. Ainsi, la Cour conclut que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime « ne s’opposent pas au recouvrement, par les autorités douanières d’un État membre, des droits et taxes dus par un contribuable au titre du classement tarifaire erroné ».