Par un arrêt rendu le 27 décembre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Cette décision traite de la licéité des transferts de valeur inversés effectués par un laboratoire de princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques.
Un laboratoire titulaire de brevets a conclu un contrat avec un producteur de principes actifs afin de clore plusieurs litiges relatifs à la propriété industrielle. L’accord prévoyait une interdiction de commercialisation et de contestation des titres de propriété en échange du versement d’une somme d’argent très importante.
L’autorité de concurrence a sanctionné ces pratiques en les qualifiant de restrictions de concurrence par l’objet et par l’effet sur le marché intérieur européen. Le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours formé par les entreprises, lesquelles ont alors saisi la juridiction supérieure d’un pourvoi en annulation.
Les juges doivent déterminer si la présence d’un brevet constitue une barrière insurmontable excluant toute concurrence potentielle entre les parties signataires de l’accord litigieux. La juridiction confirme l’arrêt attaqué en considérant que l’incitation financière constitue la véritable cause de la renonciation à l’entrée sur le marché de santé.
I. La reconnaissance d’un rapport de concurrence potentielle entre les signataires de l’accord
A. La définition prétorienne des possibilités réelles et concrètes d’entrée sur le marché
La qualification de concurrent potentiel repose sur l’existence de chances sérieuses pour une entreprise d’intégrer un marché économique malgré la présence d’obstacles juridiques ou techniques. Le juge souligne que « l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable ».
Cette analyse impose de vérifier si le fabricant de génériques dispose de la détermination ferme et de la capacité propre de franchir les seuils d’entrée du secteur. L’autorité judiciaire estime que « l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet » par l’administration.
B. L’indifférence du positionnement de l’entreprise sur le marché intermédiaire du principe actif
Une entreprise peut être considérée comme un concurrent potentiel même si son activité se limite initialement à la production de composants nécessaires au produit fini. La conclusion d’un partenariat de développement démontre la capacité de l’opérateur à peser sur la structure concurrentielle du marché situé en aval du processus.
Le droit de la concurrence privilégie une approche économique globale afin de préserver l’effet utile de l’interdiction des ententes prévues par les traités européens fondamentaux. Un accord visant à empêcher la fourniture de composants essentiels à des tiers constitue une barrière artificielle au jeu normal de la compétition entre les laboratoires.
II. La qualification de restriction par l’objet justifiée par le versement d’une incitation financière
A. Le transfert de valeur comme critère déterminant du caractère nocif de l’entente
La qualification de restriction par l’objet s’applique aux accords dont le degré de nocivité est suffisamment élevé pour dispenser l’administration de l’examen des effets réels. Le versement d’une somme importante par le titulaire du brevet vers son concurrent potentiel révèle une intention de substituer la coopération à la compétition.
Le solde net positif des transferts doit s’expliquer exclusivement par l’intérêt commercial des fabricants à ne pas se livrer une concurrence saine par les mérites. Ce paiement est « suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné » au détriment direct des consommateurs.
B. La prévisibilité de l’illicéité au regard de l’effet utile des règles de marché
Le principe de légalité des délits et des peines n’est pas méconnu lorsque les professionnels peuvent anticiper les conséquences juridiques de leurs comportements contractuels ou stratégiques. Les entreprises du secteur de la santé ne pouvaient ignorer le caractère prohibé d’un abandon de concurrence monnayé par une rémunération occulte ou injustifiée.
Cette solution garantit la protection du marché intérieur contre les stratégies de prolongation artificielle de monopoles initialement protégés par des droits de propriété intellectuelle désormais expirés. La fermeté du juge européen assure ainsi la pérennité d’un accès rapide et économique aux médicaments essentiels pour les systèmes de protection sociale nationaux.