Par un arrêt rendu le 27 juin 2024, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de licéité des accords de règlement amiable. Un fabricant de médicaments princeps avait conclu une transaction avec un producteur de génériques concernant un traitement contre l’hypertension artérielle. Cet accord comportait des clauses de non-commercialisation et de non-contestation brevetaires en échange d’un transfert de valeur monétaire de dix millions de livres. L’autorité de concurrence considéra cette entente comme une restriction par objet et infligea une amende substantielle aux entreprises concernées. Le Tribunal de l’Union européenne, par une décision du 12 décembre 2018, rejeta le recours en annulation formé par le fabricant de génériques. Ce dernier saisit alors la Cour de justice de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt rendu en première instance. Le litige pose la question de la qualification de concurrent potentiel et du caractère anticoncurrentiel par objet d’un paiement inversé significatif.
I. La reconnaissance de la concurrence potentielle malgré la protection brevetée
A. La persistance d’une pression concurrentielle exercée par le fabricant de génériques
L’existence d’un titre de propriété industrielle n’exclut pas nécessairement tout rapport de concurrence entre le titulaire et un tiers. La Cour juge qu’un fabricant de génériques est un concurrent potentiel s’il existe des « possibilités réelles et concrètes » d’intégrer le marché. Cette analyse suppose de vérifier la détermination ferme et la capacité propre de l’entreprise à accéder au marché dans un délai raisonnable. Les démarches préparatoires suffisantes permettent d’établir cette capacité malgré la présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de princeps. La perception de la menace concurrentielle par les entreprises installées constitue également un indice pertinent pour caractériser cette situation de concurrence potentielle.
B. L’absence de barrière insurmontable résultant des titres de propriété industrielle
Le brevet ne saurait être regardé comme une barrière insurmontable empêchant de qualifier de concurrent potentiel le fabricant de produits génériques. La Cour précise que cette qualification est possible si le fabricant se montre prêt à contester la validité du titre de propriété. L’appréciation ne doit pas porter sur la force du brevet mais sur l’existence de chances d’intégrer le marché au moment pertinent. Les litiges pendants entre les parties témoignent d’ailleurs de l’absence de caractère définitif de la protection conférée par le brevet concerné. En l’absence d’une décision judiciaire irrévocable constatant la contrefaçon, le risque de litige fait partie du contexte économique normal du secteur.
II. La sanction du transfert de valeur comme restriction par objet
A. L’influence déterminante du transfert de valeur incitatif
Un accord de règlement amiable assorti d’un paiement inversé important révèle un degré suffisant de nocivité pour constituer une restriction par objet. La Cour affirme que ce transfert de valeur doit être justifié par la compensation de frais liés au litige ou par une prestation réelle. Si le solde net positif n’est pas intégralement justifié, il s’explique par l’intérêt des fabricants à ne pas se livrer concurrence. Le Tribunal de l’Union européenne a souligné que l’incitation financière était déterminante pour obtenir la renonciation du fabricant de génériques à entrer sur le marché. Une telle substitution d’un paiement à la concurrence par les mérites porte une atteinte grave au bon fonctionnement du marché intérieur.
B. L’indifférence des effets potentiels sur la qualification de la pratique
La qualification de restriction par objet dispense l’autorité de concurrence de démontrer les effets réels ou potentiels de l’accord sur le marché. La Cour censure le raisonnement de première instance ayant suggéré que les effets prévisibles devaient être pris en compte lors de cet examen. Elle rappelle que « s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets ». Cette erreur de droit reste toutefois sans incidence sur la solution dès lors que le caractère intrinsèquement anticoncurrentiel est établi. Les objectifs prétendument proconcurrentiels d’une entrée comme simple distributeur ne peuvent suffire à écarter la nocivité de l’accord pour les consommateurs. Le pourvoi est ainsi rejeté au motif que l’entente visait principalement à préserver les rentes monopolistiques du fabricant de princeps.