La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 27 mars 2019, définit les limites des droits spéciaux au sein du marché postal. Un litige oppose un ouvrier agricole à un organisme de sécurité sociale concernant le versement d’une indemnité suite à un accident de travail. L’appel formé par l’autorité publique est jugé tardif car le dépôt de l’acte auprès d’un opérateur privé n’interrompt pas les délais de procédure. La juridiction suprême nationale demande si cette règle, privilégiant l’opérateur historique, constitue un droit spécial prohibé par la directive de l’année mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Elle interroge également la Cour sur la possibilité pour une émanation de l’État de se prévaloir de ce texte européen contre un simple particulier. Le juge européen considère que la réglementation nationale méconnaît le droit de l’Union mais refuse d’accorder un effet direct à la directive dans cette espèce.
I. L’interdiction d’un privilège postal discriminatoire
A. L’identification d’un droit spécial prohibé
Le droit de l’Union interdit aux États membres d’accorder des droits exclusifs ou spéciaux pour la mise en place et la prestation de services postaux. La Cour considère que l’envoi d’actes judiciaires constitue un service postal car il s’agit d’un « envoi portant une adresse sous la forme définitive ». Le mécanisme législatif contesté réserve à l’opérateur désigné un avantage procédural majeur dont les concurrents ne disposent pas sur le territoire national. Cette mesure « confère une protection à un nombre limité d’entreprises » et affecte la capacité des autres prestataires à exercer leur activité économique. Le juge précise que réputer l’acte déposé comme introduit devant la juridiction « a pour effet de soustraire ledit service de la libre concurrence ». Une telle règle nationale octroie donc un droit spécial injustifié qui entrave l’achèvement du marché intérieur des services postaux voulu par le législateur.
B. L’interprétation restrictive des dérogations d’ordre public
Les États peuvent organiser le service des envois recommandés utilisé lors de procédures judiciaires en dérogeant aux principes de libre concurrence du secteur. Cette faculté reste toutefois d’interprétation stricte car elle constitue une exception à la suppression générale des droits exclusifs au sein de l’Union. La Cour souligne que la dérogation ne s’applique qu’aux seuls envois recommandés et ne saurait être « interprétée de manière extensive » pour d’autres services. Un État membre doit impérativement « justifier d’un intérêt public » ou de raisons de sécurité publique pour maintenir un tel privilège au profit d’une entreprise. Or, les explications fournies ne démontrent pas en quoi une différence de traitement entre les opérateurs favoriserait réellement la bonne administration de la justice. La sécurité juridique s’oppose même à ce que la recevabilité d’un recours dépende uniquement du choix du prestataire postal effectué par le justiciable.
II. L’invocabilité limitée de la directive par l’État
A. L’obstacle de l’interprétation nationale contra legem
Le juge national est tenu d’interpréter son droit interne à la lumière de la finalité de la directive pour assurer la pleine efficacité du droit. Cette obligation de conformité permet d’atteindre le résultat fixé par les traités européens tout en respectant les compétences des juridictions de chaque État. Toutefois, cette exigence rencontre une limite fondamentale lorsque l’interprétation aboutit à une lecture « contra legem » de la disposition législative nationale en vigueur. La sécurité juridique empêche le juge d’écarter une règle claire en matière de délais de recours si aucune interprétation compatible n’est techniquement possible. En l’espèce, la juridiction de renvoi note que l’assimilation des opérateurs privés à l’opérateur désigné se heurterait au texte même du code de procédure. Le respect des délais de procédure vise à garantir la stabilité des situations juridiques et l’économie globale de l’instance devant les tribunaux.
B. L’exclusion de l’effet direct vertical ascendant
Une directive non transposée ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations à la charge d’un particulier et ne peut donc être invoquée contre lui. La Cour rappelle qu’une émanation de l’État ne saurait « tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union » pour écarter sa propre législation. L’autorité publique, agissant en qualité de partie au litige, ne peut revendiquer l’effet direct de la directive pour faire valoir la recevabilité de son appel. Admettre une telle possibilité reviendrait à accorder à l’État le pouvoir d’opposer aux citoyens des dispositions européennes qu’il n’a pas correctement mises en œuvre. Le juge conclut qu’une « autorité publique ne saurait invoquer la directive modifiée » pour corriger une erreur procédurale commise lors du dépôt de son acte. Cette solution protège le justiciable contre les carences de l’administration nationale tout en préservant la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique.