Cour de justice de l’Union européenne, le 27 mars 2025, n°C-217/23

Par un arrêt rendu le 27 mars 2025, la troisième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise la notion d’appartenance à un certain groupe social. Cette demande préjudicielle est introduite par la Cour administrative autrichienne dans le cadre d’un litige relatif au rejet d’une demande de protection internationale. Un ressortissant afghan de l’ethnie pachtoune allègue être menacé dans son pays d’origine en raison d’une vendetta familiale liée à un différend foncier. Son père et son frère auraient été tués par des cousins en exécution de cette vengeance privée.

L’Office fédéral pour les étrangers et l’asile rejette initialement la demande en considérant que le départ du requérant est motivé par des raisons économiques. Le tribunal administratif fédéral accueille le recours en estimant que le lien de filiation expose l’intéressé à un risque de persécution de la part d’acteurs non étatiques. Saisie d’un recours en révision, la juridiction de renvoi demande si les membres d’une famille visée par une vendetta constituent un groupe social au sens du droit de l’Union. La question porte principalement sur l’exigence d’une identité propre du groupe perçue comme différente par la société environnante dans le pays d’origine.

La Cour de justice répond qu’un demandeur visé par une vendetta en raison d’un conflit patrimonial ne peut être considéré comme appartenant à un groupe social. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’identification restrictive du groupe social avant d’envisager l’articulation de la solution avec le mécanisme de la protection subsidiaire.

I. L’identification restrictive de l’appartenance à un certain groupe social

A. La reconnaissance d’une caractéristique innée commune

La directive 2011/95 impose deux conditions cumulatives pour caractériser un groupe social dont la première concerne l’existence d’un trait d’identification partagé entre ses membres. Les juges rappellent que les membres d’une famille possèdent une « caractéristique innée » ou une « histoire commune qui ne peut être modifiée » par nature. Le lien de filiation biologique ou le mariage constituent des éléments immuables qui définissent l’identité des individus au sein de la cellule familiale. La circonstance que des hommes soient soumis à une vendetta se transmettant de génération en génération renforce ce sentiment d’appartenance à une histoire partagée.

Dès lors, le requérant satisfait à la première condition de l’article 10 de la directive puisque son lien de parenté est indépendant de sa volonté. Cette caractéristique biologique et historique est à ce point essentielle qu’il ne saurait être exigé d’une personne qu’elle y renonce pour sa sécurité. Cependant, cette seule constatation ne suffit pas à justifier l’octroi du statut de réfugié sans la démonstration d’une perception sociale extérieure au conflit.

B. L’exigence d’une perception par la société environnante

La seconde condition exige que le groupe possède une identité propre parce qu’il est « perçu comme étant différent par la société environnante » du pays. La Cour affirme que cette identité ne doit pas être appréciée de manière autonome mais nécessairement en lien avec le regard porté par la population. La perception de quelques individus ou des seuls persécuteurs ne permet pas de conclure à l’existence d’un groupe social distinct au sein de l’État. Un groupe doit être perçu comme différent par une « partie substantielle des individus » formant la société pour éviter que l’acte de persécution ne crée le groupe.

En l’espèce, une vendetta opposant deux familles pour un motif patrimonial ne génère pas nécessairement une stigmatisation ou une exclusion au niveau de la société. Les membres de la famille menacée ne sont pas placés en marge de la communauté par des normes sociales ou juridiques prévalant en Afghanistan. La perception subjective de la différence par les victimes ou par les auteurs des violences demeure insuffisante pour caractériser une identité propre et collective. La remise en cause du statut de réfugié n’exclut pas pour autant toute forme de protection internationale pour le demandeur menacé.

II. La nécessaire subsidiarité de la protection internationale

A. L’insuffisance du seul risque de violence physique

Le risque avéré de subir des actes de violence physique pouvant aller jusqu’à l’homicide ne suffit pas à obtenir automatiquement la qualité de réfugié. Le droit de l’Union exige un lien de causalité entre les motifs de persécution énumérés et l’absence de protection contre les atteintes signalées. La Cour souligne qu’un danger réel, même extrême, ne peut conduire au statut de réfugié s’il ne se rattache pas à la race ou à la religion. La protection des réfugiés ne vise pas à couvrir tous les risques de violence privée mais seulement ceux fondés sur des critères de discrimination sociale.

Ainsi, le requérant ne peut se réclamer du statut de réfugié si la menace ne provient que d’un différend successoral limité à la sphère privée. Les actes commis par des acteurs non étatiques ne sont pris en compte que si l’État ne veut pas ou ne peut pas offrir de protection. L’évaluation individuelle de la demande doit alors se porter vers d’autres dispositifs juridiques pour garantir le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

B. La possible ouverture de la protection subsidiaire

L’article 10 de la directive 2013/32 oblige les autorités nationales à examiner les conditions de la protection subsidiaire lorsque le statut de réfugié est refusé. Ce régime complète la convention de Genève en offrant un statut aux personnes courant un risque réel de subir des « atteintes graves » lors d’un renvoi. La notion d’atteinte grave comprend notamment la torture ou des traitements inhumains infligés à un demandeur dans son pays d’origine par des tiers. La protection subsidiaire couvre les menaces réelles d’être tué par un membre de sa communauté indépendamment des motifs sous-tendant les actes de violence.

Il appartient à la juridiction autrichienne de vérifier si les menaces proférées par les cousins du père constituent un risque réel et actuel pour l’intéressé. L’autorité compétente doit apprécier si le système judiciaire du pays d’origine permet de sanctionner efficacement les actes constituant une atteinte à la vie. La protection subsidiaire assure ainsi une fonction de sécurité juridique lorsque les critères plus étroits du statut de réfugié ne sont pas techniquement remplis. Le droit européen maintient un équilibre entre la rigueur de la définition du groupe social et l’impératif humanitaire de protection contre la mort.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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