Par un arrêt en date du 27 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sixième chambre, s’est prononcée sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La question centrale portait sur la correcte et complète transposition de la directive 90/219/CEE relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés. Ce litige offrait à la Cour l’opportunité de préciser les exigences qualitatives et matérielles qui pèsent sur les États membres dans l’exercice de leur obligation de transposition du droit communautaire dérivé.
En l’espèce, la Commission a initié une procédure d’infraction au motif que l’État défendeur n’avait pas correctement transposé plusieurs dispositions de la directive précitée. Les griefs soulevés concernaient notamment l’établissement de plans d’urgence, l’information du public, le régime de confidentialité des informations notifiées et les obligations de communication entre États membres. De surcroît, la Commission reprochait une absence totale de transposition pour certaines installations relevant du ministère de la Défense. L’État membre, pour sa part, soutenait que sa législation interne, notamment à travers les pouvoirs généraux conférés à ses autorités administratives, permettait d’assurer une application effective de la directive, rendant superflue l’édiction de mesures spécifiques pour chaque obligation. Le débat juridique s’est donc cristallisé autour du degré de précision et de clarté requis pour qu’une mesure nationale puisse être considérée comme une transposition adéquate.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait ainsi à déterminer si le renvoi à des pratiques administratives ou à des pouvoirs généraux non expressément encadrés suffisait à satisfaire l’obligation de transposition d’une directive, ou si, au contraire, celle-ci exigeait la création d’un cadre juridique national précis, clair et contraignant garantissant la pleine application des dispositions européennes.
La Cour de justice a répondu par une condamnation partielle de l’État membre. Elle a jugé que le simple pouvoir discrétionnaire des autorités nationales ou le recours à des principes généraux non formalisés ne garantissaient pas une application pleine et entière de la directive. Selon la Cour, la transposition exige l’adoption de dispositions nationales suffisamment précises pour créer une situation juridique claire et permettre aux justiciables de connaître l’étendue de leurs droits et obligations. La Cour a néanmoins rejeté certains griefs, notamment ceux relatifs aux obligations de coopération interétatique, dont elle a considéré qu’ils ne nécessitaient pas en principe de transposition formelle en droit interne. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle la Cour contrôle la qualité de la transposition (I), tout en reconnaissant certaines limites à cette obligation formelle (II).
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I. L’exigence d’une transposition effective par des mesures nationales claires et contraignantes
La Cour rappelle avec force que l’obligation de transposition ne saurait se satisfaire d’une simple conformité de fait, mais impose l’établissement d’un cadre juridique formel et précis. Cette exigence se manifeste tant à l’égard de l’obligation pour les autorités nationales d’évaluer les risques (A) qu’en matière de protection des droits à l’information et à la confidentialité (B).
A. L’insuffisance d’une simple faculté administrative pour assurer l’établissement des plans d’urgence
Le premier manquement sanctionné par la Cour concerne l’article 14, sous a), de la directive, qui impose aux autorités compétentes de s’assurer, « si nécessaire », qu’un plan d’urgence est établi. L’État membre arguait que ses autorités préfectorales disposaient du pouvoir d’imposer de tels plans par des prescriptions générales ou spéciales, ce qui suffisait à remplir l’objectif de la directive. La Cour rejette cette argumentation en soulignant que le texte européen ne se contente pas d’une simple possibilité d’action. Elle interprète la condition « si nécessaire » comme instaurant une véritable obligation pour les autorités nationales d’évaluer, au cas par cas, la nécessité d’un plan d’urgence en fonction des risques spécifiques de chaque installation.
La Cour estime que la transposition effective de cette disposition suppose que la réglementation nationale impose auxdites autorités une obligation précise en ce sens. Or, le droit national en cause se limitait à octroyer un pouvoir discrétionnaire, sans contraindre l’administration à procéder à cette évaluation préalable. En jugeant ainsi, la Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle « afin de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, les États membres doivent prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné ». La simple faculté laissée à l’administration, sans obligation claire d’agir, ne présente pas les garanties de sécurité juridique et d’effectivité requises par le droit de l’Union.
B. La nécessité de garanties explicites pour le droit à l’information et le régime de confidentialité
Le raisonnement de la Cour se prolonge sur le terrain des droits des tiers et des notifiants, où l’exigence de clarté et de précision est tout aussi fondamentale. La Cour constate d’abord un manquement concernant l’obligation de rendre accessibles au public les informations sur les mesures de sécurité. Elle juge que « la possibilité de consulter des documents contenant des informations hétérogènes exigeant ainsi une recherche pour les plans d’urgence […] ne saurait être regardée comme assurant une transposition effective de cette disposition ». L’accessibilité doit être directe et ne pas dépendre d’une démarche complexe de la part du public.
Ensuite, s’agissant de l’article 19 de la directive, qui permet au notifiant de demander un traitement confidentiel pour certaines informations moyennant une « justification vérifiable », l’État défendeur soutenait qu’une telle justification allait de soi. La Cour écarte cet argument, considérant qu’un principe implicite ne suffit pas. Elle affirme qu’il est « indispensable que le droit national en cause garantisse effectivement la pleine application de la directive, que la situation juridique découlant de ce droit soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et obligations ». L’absence de mention explicite de l’obligation de justification et de la procédure de consultation du notifiant par l’autorité compétente constitue donc un manquement. Cette solution est une application directe du principe de sécurité juridique, qui s’oppose à une transposition reposant sur des déductions ou des pratiques administratives non codifiées.
Si la Cour se montre donc stricte sur la qualité de la législation de transposition, elle précise également que cette obligation n’est pas absolue et connaît des limites, notamment lorsque les dispositions de la directive ne visent pas à créer de droits ou d’obligations dans l’ordre juridique interne.
II. La délimitation des contours de l’obligation de transposition
L’arrêt ne se limite pas à une condamnation de l’État membre ; il apporte également des éclaircissements importants sur les limites de l’obligation de transposition. Ces limites sont de nature temporelle, liées à l’évolution du droit de l’Union (A), mais aussi matérielles, concernant les dispositions à caractère purement institutionnel (B).
A. L’irrecevabilité du grief portant sur une obligation modifiée avant l’échéance du délai de l’avis motivé
La Commission reprochait à l’État membre de ne pas avoir correctement transposé l’article 14, sous b), premier alinéa, première phrase, de la directive, relatif à l’information des personnes susceptibles d’être affectées par un accident. La Cour, cependant, observe que cette disposition avait été modifiée par une directive ultérieure, la directive 98/81/CE, dont le délai de transposition était échu avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé adressé à l’État membre dans la présente affaire.
Suivant une jurisprudence bien établie, la Cour rappelle que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre, telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Au moment pertinent, l’obligation juridique pesant sur l’État membre n’était plus celle issue de la directive 90/219 initiale, mais celle découlant de sa version modifiée. Par conséquent, le grief de la Commission, portant sur une obligation légale qui n’était plus en vigueur, est déclaré irrecevable. Cette solution, fondée sur une logique procédurale rigoureuse, souligne l’importance du facteur temporel dans le contentieux du manquement et protège les États membres contre des poursuites fondées sur un état du droit obsolète.
B. L’absence d’obligation de transposer les dispositions régissant les relations interinstitutionnelles
La Cour rejette également les griefs relatifs aux articles 14, sous b), second alinéa, 15, paragraphe 2, et 16, paragraphe 1, de la directive. Ces dispositions concernaient l’information et la consultation entre l’État membre mis en cause et les autres États membres ou la Commission en cas d’accident. La Commission soutenait que l’absence d’un cadre national minimal pour organiser ces échanges constituait un manquement.
La Cour adopte une position nuancée. Elle énonce qu’une « disposition qui ne concerne que les relations entre les États membres et la Commission ne doit pas, en principe, être transposée ». De telles dispositions n’ont généralement pas pour objet de conférer des droits ou d’imposer des obligations aux particuliers et leur transposition dans l’ordre juridique national n’est donc pas nécessaire à leur effectivité. La Cour précise toutefois que la Commission conserve la faculté de démontrer que, dans un cas particulier, le respect de la directive requiert l’adoption de mesures spécifiques en droit interne. En l’espèce, elle constate que la Commission s’est contentée d’affirmer la nécessité d’un tel cadre « sans avoir démontré que le respect de ces dispositions nécessite l’adoption de mesures de transposition spécifiques ». Le fardeau de la preuve reposant sur la Commission, et celle-ci n’y ayant pas satisfait, le grief est écarté. La Cour trace ainsi une frontière claire entre les normes qui doivent impérativement trouver un écho précis en droit national et celles dont la mise en œuvre relève de l’organisation interne de l’État dans ses relations avec ses partenaires européens.