La Cour de justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre à Luxembourg, a rendu le 27 novembre 2012 un arrêt fondamental concernant le régime linguistique des concours. La question juridique traitée porte sur la légalité de restreindre la publication des avis de recrutement et les langues de travail lors des épreuves de sélection. Dans cette affaire, un État membre a agi en qualité de requérant contre une institution pour obtenir l’annulation de plusieurs avis de concours généraux. L’office de recrutement avait publié ces textes de manière intégrale uniquement en allemand, en anglais et en français, au mépris du multilinguisme intégral. Le requérant soutenait que cette pratique créait une discrimination fondée sur la langue et violait les dispositions du règlement portant fixation du régime linguistique.
Saisi en première instance, le Tribunal a rejeté les recours par un arrêt du 13 septembre 2010 en invoquant l’autonomie fonctionnelle des institutions européennes. Les juges du fond estimaient que le régime linguistique commun n’était pas applicable aux relations internes entre l’administration et ses fonctionnaires ou futurs agents. Le demandeur au pourvoi conteste cette interprétation et affirme que les candidats à un concours externe restent des citoyens extérieurs à la fonction publique. Il fait valoir que la loi spéciale du concours impose une publicité égale et non discriminatoire pour garantir l’accès aux carrières de l’Union. Le litige oppose ainsi une vision restrictive de l’auto-organisation administrative au principe fondamental d’égalité de traitement entre les différentes langues officielles.
Le problème de droit soumis à la Cour est de savoir si une institution peut légitimement limiter la publication des avis de concours et les épreuves de recrutement à trois langues. La Cour de justice censure le raisonnement du Tribunal et affirme que « les avis de concours litigieux auraient dû être publiés intégralement dans toutes les langues officielles ». Elle juge que le désavantage subi par les candidats ne maîtrisant pas les langues choisies constitue une discrimination directe non justifiée par l’intérêt du service. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord le rappel impératif du régime linguistique commun, avant d’examiner l’encadrement des limitations au principe de non-discrimination.
I. Le rappel impératif du régime linguistique de l’Union
A. L’exigence de publication intégrale des avis de concours
La Cour affirme que les avis de concours généraux doivent être publiés au Journal officiel dans l’intégralité des langues officielles de l’Union européenne. Elle rappelle que le Journal officiel paraît dans toutes les langues de travail sans qu’une exception ne soit prévue par le statut des fonctionnaires. Le juge souligne que « les avis de concours litigieux auraient dû être publiés intégralement dans toutes les langues officielles » pour garantir une information équitable. La publication ultérieure d’amendements succincts dans toutes les versions linguistiques ne saurait remédier au manquement initial de l’administration lors de la publicité. Un candidat potentiel dont la langue maternelle n’est pas l’une des langues retenues subit un préjudice dans la préparation de sa propre candidature. Ce désavantage constitue une différence de traitement interdite par le principe de non-discrimination en raison de la langue au sein de l’espace européen.
B. L’application nécessaire du régime commun aux candidats
La décision rejette fermement la thèse d’une autonomie fonctionnelle des institutions qui permettrait d’écarter l’application du règlement n°1 lors des procédures de recrutement. Le Tribunal avait jugé que les relations entre l’administration et ses agents échappaient au régime linguistique général prévu pour les relations avec l’extérieur. La Cour précise qu’aucun texte ne permet de conclure que ces rapports sont totalement exclus du champ d’application des règles linguistiques de l’Union. Elle considère que les candidats à un concours externe demeurent des citoyens relevant de la juridiction des États membres avant leur éventuelle nomination. L’absence de dispositions réglementaires spéciales dans le règlement intérieur des institutions rend obligatoire le respect des garanties offertes par le droit commun. Le juge réaffirme ainsi que le multilinguisme intégral s’impose à l’office de sélection pour assurer la transparence et la légitimité des épreuves.
L’annulation de la décision attaquée repose également sur l’absence de fondement objectif aux restrictions imposées lors du déroulement même de la procédure de sélection.
II. L’encadrement strict des limitations aux principes de non-discrimination
A. La censure du défaut de justification objective du trilinguisme
La Cour de justice censure la limitation arbitraire du choix de la deuxième langue du concours aux seules langues allemande, anglaise et française. Elle constate que l’institution n’a pas produit de critères clairs, objectifs et prévisibles pour justifier cette restriction lors de l’adoption des avis. Le juge affirme qu’il incombe à l’administration de démontrer que ce choix répond à des exigences internes réelles et non à de simples pratiques. Les avis de concours litigieux ne contenaient aucune motivation permettant aux candidats de comprendre le lien entre les fonctions à exercer et les langues imposées. L’affirmation du premier juge selon laquelle ce choix était constant dans la pratique administrative est rejetée faute de preuve matérielle d’un besoin impérieux. La Cour souligne que « l’intérêt du service doit être objectivement justifié » pour permettre un contrôle effectif de la légalité de la mesure discriminatoire.
B. La conciliation entre l’intérêt du service et la proportionnalité
Toute mesure restrictive doit respecter le principe de proportionnalité en étant apte à réaliser l’objectif visé sans aller au-delà du nécessaire. Le recrutement doit viser l’excellence professionnelle des agents en garantissant aux candidats les meilleures conditions pour démontrer leurs propres capacités et compétences techniques. La Cour estime qu’autoriser l’usage de n’importe quelle langue officielle permet d’identifier plus efficacement les fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de rendement. Elle précise à cet égard que « le niveau de connaissance linguistique exigé s’avère proportionné aux besoins réels du service » lorsqu’il est justifié. Les institutions peuvent exiger l’apprentissage de langues de travail supplémentaires après le recrutement pour répondre aux nécessités de la communication interne quotidienne. Le juge impose donc une mise en balance entre l’efficacité opérationnelle des services et le droit fondamental des citoyens à une égalité linguistique.