Par un arrêt dont la portée est significative, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les conséquences du défaut de transposition d’une directive par un État membre. En l’espèce, une procédure en manquement fut engagée à l’encontre d’un État membre au motif que celui-ci n’avait pas pris l’ensemble des dispositions nationales requises pour se conformer à une directive visant à modifier le droit de l’Union en matière d’aménagement du temps de travail. La directive en cause étendait le champ d’application des règles de protection à des secteurs et activités qui en étaient auparavant exclus. Ayant constaté l’inertie de l’État après l’expiration du délai de transposition, la procédure précontentieuse, incluant une lettre de mise en demeure puis un avis motivé, a été mise en œuvre. Face à la persistance du manquement, la Cour de justice a été saisie. Il lui était donc demandé si l’abstention d’un État membre à adopter les mesures de transposition d’une directive dans les délais impartis constitue un manquement à ses obligations découlant des traités. La Cour répond par l’affirmative en déclarant qu’« en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires […] pour se conformer à la directive […], le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent ». Cette solution, classique dans son principe, réaffirme la rigueur des obligations pesant sur les États membres, justifiant d’analyser la caractérisation du manquement étatique (I), avant d’en examiner les effets juridiques induits (II).
I. La caractérisation d’un manquement par omission
L’arrêt met en lumière la nature objective du manquement résultant de l’obligation de transposition (A) et l’inefficacité des arguments de droit interne pour justifier une telle défaillance (B).
A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition
Le manquement constaté par la Cour de justice trouve son origine dans la méconnaissance de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ce texte dispose que la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La transposition constitue donc une obligation de résultat précise qui doit être exécutée dans un délai contraignant. Le fait pour un État de s’abstenir de prendre les mesures nécessaires équivaut à un refus de se conformer à l’objectif fixé par le législateur de l’Union. La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’effectivité du droit de l’Union dépend de sa mise en œuvre complète et correcte au sein des ordres juridiques nationaux. Le manquement est ainsi constitué par la seule constatation objective du non-respect du délai, indépendamment de toute intention fautive de la part de l’État défaillant.
B. L’indifférence des circonstances de droit interne
La Cour de justice a constamment jugé qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union. Dans la présente affaire, le fait que la transposition ait été partiellement réalisée, notamment pour une catégorie spécifique de professionnels, ne saurait exonérer l’État de sa responsabilité pour les autres secteurs visés par la directive. Le raisonnement de la Cour est absolu : l’obligation de transposition est indivisible et doit couvrir l’intégralité du champ d’application de l’acte de l’Union. Toute exception ou retard, même limité, est constitutif d’un manquement. Cette approche rigoriste est indispensable pour garantir une application uniforme du droit de l’Union et préserver l’égalité des citoyens et des opérateurs économiques devant la loi européenne.
II. La portée de la déclaration de manquement
La condamnation prononcée par la Cour de justice revêt une nature principalement déclaratoire (A), mais elle est susceptible d’engendrer des conséquences significatives pour les justiciables (B).
A. La nature déclaratoire du jugement en manquement
L’arrêt en manquement a pour principal objet de constater officiellement qu’un État membre a violé ses obligations. Il s’agit d’un jugement déclaratoire qui ne contient, en lui-même, aucune mesure d’exécution forcée ni de sanction pécuniaire. Cependant, aux termes de l’article 260, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’État membre dont le manquement a été constaté est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. Si l’État persiste dans sa défaillance, il s’expose à une nouvelle procédure pouvant aboutir, cette fois, au prononcé d’une astreinte ou d’une somme forfaitaire. La valeur de la décision réside donc dans la pression juridique et politique qu’elle exerce sur l’État concerné pour qu’il mette son droit interne en conformité avec le droit de l’Union.
B. Les conséquences indirectes au profit des justiciables
Au-delà de sa portée dans les relations entre l’Union et l’État membre, la constatation du manquement n’est pas dépourvue d’effets pour les particuliers. Lorsque les dispositions d’une directive non transposée sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, un justiciable peut s’en prévaloir à l’encontre de l’État défaillant devant les juridictions nationales. Cet « effet direct vertical » permet de pallier la carence de l’État et de garantir l’application de la protection voulue par la directive, notamment en matière de temps de travail. En outre, la jurisprudence de la Cour a établi qu’un État membre est tenu de réparer les dommages causés aux particuliers par la violation du droit de l’Union qui lui est imputable, y compris par le défaut de transposition d’une directive. Le présent arrêt, en objectivant le manquement, ouvre donc potentiellement la voie à des actions en responsabilité contre l’État.