La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 27 octobre 2011, se prononce sur les modalités de comparaison entre la valeur normale et le prix à l’exportation. Ce litige s’inscrit dans le cadre d’une procédure antidumping visant des importations de mécanismes à levier originaires d’un État ne disposant pas d’une économie de marché. Une société établie dans ce pays tiers exportait sa production vers l’Union par l’intermédiaire de deux entités liées situées dans une zone à économie de marché.
À la suite d’une enquête, les institutions de l’Union ont institué un droit antidumping définitif en calculant la marge de dumping selon une méthode contestée par l’exportateur. La requérante a introduit un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes afin d’obtenir l’annulation partielle du règlement définitif. Le Tribunal a rejeté ce recours par un arrêt du 23 septembre 2009, confirmant la validité de l’ajustement opéré sur le prix à l’exportation.
La société requérante a formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant une violation du règlement antidumping de base. Elle soutenait que la valeur normale et le prix à l’exportation auraient dû être comparés au stade de la fourniture du produit au premier client indépendant. Le problème juridique posé à la Cour concerne la légalité d’un ajustement déduisant les frais de vente d’un opérateur intermédiaire pour rétablir la symétrie de la comparaison.
La Cour de justice rejette le pourvoi en validant le raisonnement des institutions et du Tribunal quant à l’ajustement opéré pour assurer une comparaison équitable. La solution retenue s’articule autour de la légitimité de l’ajustement pour assurer la comparabilité des prix et de l’étendue du pouvoir d’appréciation institutionnel.
**I. La légitimité de l’ajustement pour assurer la comparabilité des prix**
**A. L’autonomie des règles de détermination des valeurs de référence**
La Cour rappelle d’emblée que « la détermination de la valeur normale et celle du prix à l’exportation obéissent à des règles distinctes ». Cette distinction structurelle implique que les frais de vente ne reçoivent pas nécessairement un traitement identique lors du calcul de ces deux composantes de la marge. Les institutions peuvent valablement exclure certains frais de la valeur normale tout en les déduisant du prix à l’exportation selon les circonstances factuelles.
Il convient de relever que d’éventuelles différences entre ces deux valeurs peuvent être prises en considération uniquement par le mécanisme des ajustements. La Cour souligne que les frais de vente, les dépenses administratives et les autres frais généraux ne sont pas obligatoirement traités de la même manière. Cette approche garantit la flexibilité nécessaire aux enquêteurs face aux structures commerciales variées des exportateurs étrangers.
**B. Le rétablissement de la symétrie commerciale par l’ajustement**
L’ajustement prévu par la réglementation vise à garantir une « comparaison équitable » faite impérativement au même stade commercial pour des ventes proches. En l’espèce, la valeur normale avait été construite au niveau départ usine en excluant les frais de vente directe par nature. Le prix à l’exportation devait donc subir une déduction équivalente pour refléter ce même niveau de commercialisation initial.
La Cour juge que cet ajustement « a rendu comparables, au même stade de commercialisation, la valeur normale et le prix à l’exportation ». Cette symétrie est essentielle pour déterminer l’existence réelle d’une pratique de dumping sans fausser les calculs par des frais intermédiaires. La prise en compte de l’absence de ventes directes de la requérante à des clients indépendants justifie ainsi techniquement l’opération de déduction.
**II. L’étendue du pouvoir d’appréciation institutionnel en économie non marchande**
**A. L’inapplicabilité du principe du prix au premier client indépendant**
La requérante invoquait une jurisprudence antérieure pour exiger que la valeur normale corresponde au prix de vente pratiqué par le distributeur sur le marché national. La Cour écarte cet argument car cette jurisprudence concernait exclusivement un pays disposant d’une économie de marché au moment de l’enquête initiale. Dans le cadre d’un pays sans économie de marché, les institutions disposent de méthodes de calcul spécifiques et plus autonomes.
Le juge précise qu’il ne ressort pas du règlement que la valeur normale « doive toujours correspondre à la valeur normale à laquelle le produit est fourni au premier client indépendant ». Une telle exigence empiéterait indûment sur le pouvoir d’appréciation des institutions concernant la détermination de la valeur normale analogue. Cette souplesse permet d’éviter la prise en considération de prix qui ne résultent pas du jeu normal des forces du marché.
**B. La validation de la base raisonnable pour le calcul de la valeur normale**
Les institutions peuvent déterminer la valeur normale sur une « toute autre base raisonnable » lorsque les données d’un pays analogue font défaut ou sont incomplètes. Cette prérogative leur permet de définir le stade commercial pertinent sans être liées par les structures de distribution complexes choisies par l’entreprise exportatrice. La Cour confirme ainsi la légalité d’une construction de valeur fondée sur les données de l’industrie communautaire dûment ajustées.
En validant l’ajustement au titre des commissions, la Cour consacre la primauté de l’objectif de neutralité économique sur les modalités comptables internes de l’entreprise. L’interprétation retenue préserve l’efficacité des instruments de défense commerciale face à des circuits de vente conçus pour masquer la réalité des prix. Ce pouvoir d’appréciation demeure toutefois soumis au contrôle juridictionnel limité à l’erreur manifeste ou au détournement de pouvoir.