Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne, en sa huitième chambre, a été amenée à interpréter la nomenclature combinée du tarif douanier commun. L’affaire concernait le classement tarifaire de viande de chameau congelée, importée sur le territoire de l’Union. La société importatrice, après avoir déclaré la marchandise sous une sous-position tarifaire générale, a sollicité le remboursement des droits à l’importation acquittés, estimant que la viande relevait en réalité de la sous-position plus favorable applicable aux « autres viandes de gibier ». Cette demande fut initialement rejetée par l’administration douanière nationale au motif que le chameau ne constitue pas une espèce habituellement chassée. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice de clarifier l’interprétation de la notion de « gibier ». La question de droit posée était de savoir si la viande d’animaux d’une espèce généralement considérée comme domestique, mais qui ont vécu à l’état sauvage et ont été abattus à la chasse, doit être classée comme viande de gibier au sens du droit douanier de l’Union. En réponse, la Cour a jugé que le critère déterminant n’est pas l’espèce de l’animal, mais bien ses conditions de vie réelles et les circonstances de sa capture. Ainsi, une telle viande doit être qualifiée de « gibier » dès lors qu’il est établi que les animaux dont elle provient vivaient à l’état sauvage et ont fait l’objet de la chasse. Cette solution, qui privilégie une approche factuelle pour la qualification douanière, emporte des conséquences notables quant à la définition du gibier et à la charge de la preuve pour les opérateurs économiques.
I. La clarification du critère de qualification de « gibier »
La Cour de justice, pour déterminer le classement tarifaire de la viande litigieuse, a précisé la méthode d’interprétation de la nomenclature combinée en s’appuyant sur un critère factuel plutôt que sur une liste prédéfinie d’espèces. Elle a ainsi rejeté une conception restrictive de la notion de gibier pour consacrer une définition reposant sur l’état sauvage effectif de l’animal.
A. Le rejet d’une interprétation restrictive fondée sur l’espèce
L’administration douanière nationale soutenait une lecture restrictive, arguant que seuls les animaux « habituellement chassés » pouvaient être qualifiés de gibier, excluant de fait le chameau. La Cour écarte ce raisonnement en analysant la portée des notes explicatives de la nomenclature combinée. Elle observe que si ces notes précisent que la viande d’animaux habituellement chassés reste classée comme gibier même s’ils ont été élevés en captivité, « il ne résulte toutefois pas de cette précision que seuls la viande et les abats d’animaux qui, habituellement, font l’objet de la chasse peuvent être classés dans cette sous-position ». Par cette analyse, la Cour refuse de limiter la catégorie du gibier aux seules espèces traditionnellement associées à la chasse, ouvrant la voie à une appréciation au cas par cas. Cette méthode préserve la finalité de la nomenclature, qui est de classer les produits selon leurs caractéristiques objectives et non selon des réputations ou des usages.
B. La consécration de deux conditions cumulatives : l’état sauvage et la chasse
En s’écartant de la notion d’espèce, la Cour réaffirme une jurisprudence antérieure pour définir positivement le gibier. Se référant à un arrêt de 1973 rendu à propos de la viande de renne, elle rappelle que « le terme ‘gibier’, dans son sens ordinaire, vise les catégories d’animaux qui vivent à l’état sauvage et font l’objet de la chasse ». Le critère de classement pertinent est donc double : il faut d’une part que l’animal ait vécu à l’état sauvage, et d’autre part qu’il ait été capturé par la chasse. La solution est énoncée avec clarté : « le critère à prendre en considération réside ainsi dans le point de savoir si la viande dont le classement est en cause provient d’animaux qui vivaient à l’état sauvage et qui ont fait l’objet de la chasse ». Cette définition fonctionnelle permet de résoudre les cas d’animaux, comme le chameau ou le renne, dont certaines populations sont domestiquées tandis que d’autres sont retournées à l’état sauvage. L’origine de la viande prévaut sur la nature de l’espèce.
II. La portée pratique de la solution retenue
En établissant un critère de qualification fondé sur des faits, la Cour de justice renforce la sécurité juridique tout en faisant peser sur l’opérateur économique la responsabilité de prouver les caractéristiques du produit qu’il importe. Cette approche pragmatique a des implications directes sur la charge de la preuve et sur la prévisibilité du classement douanier.
A. La charge probatoire incombant à l’opérateur économique
La décision implique nécessairement que la preuve du caractère sauvage de l’animal et de sa chasse repose sur l’importateur qui revendique le classement en tant que gibier. La Cour rappelle que les autorités douanières « peuvent légitimement exiger des preuves concluantes du fait que présentent le caractère de gibier des animaux dont la viande est déclarée par l’importateur comme relevant de la sous-position relative aux autres viandes de gibier ». Dans l’affaire d’espèce, la juridiction de renvoi disposait d’un certificat vétérinaire attestant que la viande provenait d’animaux sauvages abattus. Cet élément, bien que non décisif à lui seul, constitue un commencement de preuve que le juge national est invité à apprécier. La solution incite ainsi les opérateurs à documenter précisément l’origine et les conditions d’obtention de leurs marchandises pour bénéficier d’un classement tarifaire favorable.
B. Une contribution à la sécurité juridique par une méthode d’interprétation unifiée
Bien que la solution puisse sembler casuistique, elle participe en réalité à la sécurité juridique en fournissant une méthode d’interprétation claire et transposable. Plutôt que de dépendre de listes d’espèces qui seraient inévitablement incomplètes et sujettes à débat, le critère de l’état sauvage effectif offre un principe directeur stable. Ce principe s’inscrit dans la logique fondamentale du droit douanier, qui veut que le classement soit déterminé par les « caractéristiques et propriétés objectives » de la marchandise. La Cour confirme que le mode de vie de l’animal est une de ces propriétés objectives, tout aussi pertinente que la composition physique du produit. La portée de cet arrêt dépasse donc le seul cas de la viande de chameau pour s’appliquer à toute situation où la distinction entre un animal domestique et un animal sauvage est pertinente pour le classement douanier.