Par un arrêt en date du 27 septembre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les critères de classement tarifaire des caméscopes au sein de la nomenclature combinée. En l’espèce, deux sociétés avaient importé en Allemagne des caméscopes numériques qui ne permettaient, au moment de leur dédouanement, que l’enregistrement de sources internes, telles que les images captées par leur propre objectif. Les importateurs les avaient donc déclarés sous la sous-position tarifaire correspondante, soumise à un droit de douane de 4,9 %. Cependant, les autorités douanières ont procédé à un reclassement des marchandises dans une autre sous-position, applicable aux appareils capables d’enregistrer des signaux provenant de sources externes, entraînant un droit de douane de 14 %. Ce reclassement était motivé par le fait que la fonction d’enregistrement externe, bien que non active, pouvait être débloquée par l’utilisateur final au moyen d’une manipulation logicielle ou d’une combinaison de touches, sans modification matérielle de l’appareil. Saisi des litiges, le Finanzgericht Düsseldorf a adressé à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle. Il s’agissait donc de déterminer si un appareil, dépourvu d’une fonctionnalité active au moment de son dédouanement, doit être classé selon ses caractéristiques apparentes ou en considération de ses potentialités latentes pouvant être activées postérieurement par l’utilisateur. La Cour a jugé qu’un tel classement dans la sous-position la plus taxée n’est possible que si la fonction d’enregistrement externe « est active au moment du dédouanement ou si […] ladite fonction peut être activée postérieurement à ce moment par une manipulation aisée de l’appareil par un utilisateur ne disposant pas de compétences particulières, sans que le caméscope subisse de modification matérielle ». La Cour ajoute que le fonctionnement de l’appareil après activation doit être analogue à celui d’un appareil nativement équipé et doit être autonome.
La solution retenue par la Cour affirme un critère de classement fondé sur la potentialité fonctionnelle de la marchandise (I), tout en en définissant strictement les limites pour préserver la sécurité juridique (II).
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I. L’affirmation d’un critère de classement fondé sur la potentialité fonctionnelle de la marchandise
La Cour de justice étend la notion de caractéristiques objectives d’un produit en dépassant la seule fonctionnalité active au moment du dédouanement (A) pour y inclure une potentialité latente, dont l’existence est toutefois soumise à des conditions strictes (B).
A. Le dépassement de la seule caractéristique active au dédouanement
Le classement tarifaire des marchandises obéit à un principe fondamental de sécurité juridique, selon lequel il doit être recherché dans les « caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la nomenclature combinée », et ce, au moment de leur présentation en douane. En règle générale, seules les fonctions immédiatement disponibles et vérifiables sur le produit devraient donc être prises en considération. Or, dans la présente affaire, la Cour admet qu’une caractéristique non active puisse déterminer le classement d’un produit. Elle juge ainsi que l’absence de fonctionnalité immédiate ne constitue pas un obstacle insurmontable au classement dans la catégorie supérieure, dès lors que le produit recèle en lui-même le potentiel nécessaire à l’exercice de cette fonction.
Cette approche s’écarte d’une interprétation strictement littérale de l’état de la marchandise au moment de son importation. La Cour considère que la caractéristique essentielle de l’article, au sens de la règle générale d’interprétation 2 a), peut résider dans une capacité dormante. L’intention du fabricant ou de l’importateur de ne pas mettre en avant cette possibilité est jugée sans incidence, la Cour se fondant exclusivement sur les propriétés intrinsèques de l’appareil. Le critère n’est donc plus uniquement ce que le produit fait, mais ce qu’il est objectivement capable de faire après une intervention minimale de l’utilisateur.
B. La prise en compte d’une fonctionnalité latente sous conditions strictes
Si la Cour admet de prendre en compte une fonction potentielle, elle en encadre rigoureusement l’appréciation pour éviter toute incertitude. La solution repose sur une distinction subtile entre une simple activation et une modification substantielle. La Cour pose ainsi une condition centrale : la fonction doit pouvoir être activée « par une manipulation aisée de l’appareil par un utilisateur ne disposant pas de compétences particulières, sans que le caméscope subisse de modification matérielle ». Cette double exigence permet de tracer une frontière claire entre une potentialité inhérente et une transformation du produit.
La notion de « manipulation aisée » exclut les interventions complexes qui nécessiteraient un savoir-faire technique avancé ou des outils spécifiques. De même, l’exigence d’une absence de « compétences particulières » renvoie à une manipulation à la portée du consommateur moyen. Enfin, l’absence de « modification matérielle » signifie que l’activation doit se faire par des moyens purement logiciels ou par une séquence de commandes, sans ajout ni remplacement de composants physiques. Ces conditions cumulatives visent à garantir que la fonction latente est bien une caractéristique essentielle et quasi complète du produit tel qu’il est importé.
Au-delà de ces conditions d’activation, la Cour précise également les exigences relatives au fonctionnement ultérieur de l’appareil, ce qui définit la portée et les limites de son appréciation.
II. La portée et les limites de l’appréciation des caractéristiques objectives
La Cour consolide la sécurité juridique en assortissant sa solution de conditions de fonctionnement cumulatives (A) tout en conférant un rôle déterminant au juge national pour leur vérification concrète (B).
A. Le renforcement de la sécurité juridique par des conditions de fonctionnement
Pour qu’un caméscope soit classé dans la sous-position la plus onéreuse en raison d’une fonction activable, la Cour ajoute deux conditions relatives à la performance de l’appareil une fois la manipulation effectuée. D’une part, il est nécessaire que « le caméscope ait un fonctionnement analogue à celui d’un autre caméscope dont la fonction […] est active au moment du dédouanement ». D’autre part, il est impératif qu’il « ait un fonctionnement autonome ». Ces exigences garantissent que la fonction activée n’est pas une simple curiosité technique de portée limitée, mais qu’elle confère bien à l’appareil les mêmes capacités qu’un produit conçu nativement avec cette fonctionnalité.
Le critère du fonctionnement analogue assure une équivalence de traitement entre des produits qui, au final, offrent des prestations identiques à l’utilisateur. Celui du fonctionnement autonome, qui implique que l’appareil ne dépende pas de matériels ou de logiciels externes comme un ordinateur pour opérer, confirme que la fonction est pleinement intégrée. En posant ces conditions, la Cour s’assure que la potentialité n’est pas une fiction juridique mais une réalité fonctionnelle, évitant ainsi que des appareils aux capacités dégradées ou dépendantes ne soient taxés comme des produits pleinement opérationnels.
B. Le rôle prépondérant du juge national dans la vérification in concreto
La Cour de justice établit les principes d’interprétation du droit douanier mais renvoie l’application pratique de ces critères au juge national. Il lui appartient en effet « d’apprécier si ces conditions sont remplies ». Cette répartition des compétences est classique dans le cadre du renvoi préjudiciel. Toutefois, elle revêt ici une importance particulière, car l’issue du litige dépendra d’une appréciation factuelle délicate : qu’est-ce qu’une « manipulation aisée » ou un « utilisateur ne disposant pas de compétences particulières » ? Ces notions, volontairement souples, devront être interprétées au cas par cas par les juridictions nationales.
Le juge national devra donc mener une analyse concrète, potentiellement appuyée par des expertises techniques, pour déterminer le degré de complexité de l’activation. La Cour précise également que « l’existence de ces conditions doit pouvoir être vérifiée au moment du dédouanement ». Cette exigence soulève une difficulté pratique pour les administrations douanières, qui doivent pouvoir évaluer la potentialité d’un produit sans procéder elles-mêmes à des manipulations complexes. La portée de l’arrêt réside ainsi dans un équilibre entre une approche économique réaliste du produit et la nécessité de maintenir des critères de classement objectifs et vérifiables lors des contrôles.