Par l’arrêt soumis à l’analyse, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences du non-respect par un État membre de ses obligations découlant d’une directive. En l’espèce, la Commission européenne a constaté que le Grand-Duché de Luxembourg n’avait pas pris les mesures nationales requises pour la transposition de la directive 2003/98/CE, qui concerne la réutilisation des informations du secteur public. Le délai de transposition fixé par cet acte de droit dérivé étant expiré, l’institution gardienne des traités a initié une procédure en manquement. Après une phase précontentieuse infructueuse, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate formellement l’infraction du Luxembourg à ses obligations européennes. Le problème de droit posé à la Cour était donc de déterminer si l’absence d’adoption des dispositions de transposition d’une directive dans le délai imparti constitue un manquement d’un État membre à ses obligations au titre du droit de l’Union. La Cour de justice répond par l’affirmative en déclarant que le Grand-Duché de Luxembourg a effectivement failli à ses engagements. La solution, bien que classique, réaffirme la force contraignante du droit de l’Union et le rôle central de la Cour dans la garantie de son application uniforme.
L’analyse de la décision révèle une application rigoureuse et bien établie des règles gouvernant le recours en manquement (I), dont la portée, loin d’être purement théorique, vise à assurer l’effectivité du système juridique de l’Union (II).
I. La constatation orthodoxe d’un manquement d’État
La décision de la Cour s’inscrit dans une jurisprudence constante relative tant à l’office du juge dans le contentieux en manquement (A) qu’à la nature de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres (B).
A. L’office du juge de l’Union dans le contentieux du manquement
La procédure en manquement, prévue à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, permet à la Commission de faire contrôler le respect par les États membres de leurs obligations. Le rôle de la Cour de justice dans ce cadre est strictement objectif. Elle se borne à vérifier si, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’État mis en cause a remédié à la situation ou si le manquement persiste. Les justifications internes, qu’elles soient d’ordre politique, administratif ou technique, sont indifférentes à la constatation de l’infraction. Le simple fait matériel de ne pas avoir atteint le résultat prescrit par le droit de l’Union suffit à caractériser le manquement. La Cour n’examine donc pas les raisons de l’inaction de l’État, mais seulement son résultat. Cette approche garantit une application stricte et uniforme du droit de l’Union, empêchant les États de se prévaloir de difficultés nationales pour se soustraire à leurs engagements.
B. L’obligation de transposition des directives : une exigence fondamentale
Le manquement constaté en l’espèce découle de la nature même de la directive, un acte qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Conformément à l’article 288 du Traité, les États disposent d’une marge de manœuvre quant à la forme et aux moyens pour intégrer les objectifs de la directive dans leur ordre juridique interne. Cette liberté ne saurait cependant remettre en cause le caractère obligatoire du délai de transposition. En déclarant « qu’en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2003/98/CE […], le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent », la Cour rappelle cette exigence impérieuse. L’effectivité de la directive dépend entièrement de sa transposition correcte et en temps voulu. Un retard ou une absence de transposition prive l’acte de son effet utile et crée une rupture d’égalité entre les États et leurs ressortissants.
La simplicité apparente de cette solution masque des enjeux fondamentaux pour l’ordre juridique de l’Union. Il convient donc d’en examiner la portée réelle.
II. La portée d’une solution classique mais essentielle
Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, cet arrêt réaffirme la nécessité de garantir l’effectivité du droit de l’Union (A) et met en lumière les conséquences attachées à la sanction, purement déclaratoire en apparence (B).
A. La garantie de l’effectivité du droit de l’Union
Le respect des délais de transposition est une condition sine qua non de l’efficacité et de la crédibilité du droit de l’Union. Le retard d’un seul État membre dans l’application d’une directive peut compromettre la réalisation des objectifs d’harmonisation poursuivis au niveau de l’Union. Dans le cas de la directive 2003/98/CE, l’objectif était de faciliter la réutilisation des informations détenues par le secteur public afin de favoriser la croissance économique et la transparence. Le manquement du Luxembourg a ainsi retardé la mise en place d’un marché de l’information harmonisé et a potentiellement désavantagé les acteurs économiques et les citoyens par rapport à ceux d’autres États membres. Le contrôle exercé par la Cour vise donc à préserver l’intégrité du marché intérieur et à assurer que les droits conférés par les directives deviennent une réalité concrète pour tous les citoyens européens. La décision est un rappel que l’appartenance à l’Union implique une discipline commune rigoureuse.
B. Une sanction déclaratoire aux conséquences multiples
L’arrêt en manquement est de nature déclaratoire, ce qui signifie que la Cour constate l’infraction sans pouvoir annuler la législation nationale ou contraindre directement l’État à agir. Toutefois, cette déclaration n’est pas dépourvue de conséquences juridiques. D’une part, en vertu de l’article 260 du Traité, l’État membre est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour dans les plus brefs délais. S’il persiste dans son inaction, la Commission peut introduire un nouveau recours demandant l’infliction de sanctions pécuniaires, telles qu’une astreinte ou une somme forfaitaire. D’autre part, la constatation du manquement peut servir de fondement à une action en responsabilité de l’État. Les particuliers qui estiment avoir subi un préjudice du fait de la non-transposition de la directive peuvent ainsi engager une action en réparation devant les juridictions nationales, en s’appuyant sur la jurisprudence établie depuis l’arrêt Francovich.