Cour de justice de l’Union européenne, le 28 avril 2022, n°C-251/21

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié le régime des aides destinées à compenser les contraintes environnementales imposées aux propriétaires forestiers. En l’espèce, une société propriétaire d’une forêt s’est vu refuser une aide pour l’année 2015, sollicitée en compensation des limitations d’activité économique liées à la présence d’une microréserve sur ses terres. Cette microréserve, créée en dehors du réseau Natura 2000, visait à protéger une espèce d’oiseau sauvage. Le service national compétent a rejeté la demande au motif que la société était considérée comme une « entreprise en difficulté » en raison de pertes accumulées excédant la moitié de son capital social. Saisi d’un recours de la société, le tribunal administratif de district a d’abord annulé cette décision. Cependant, la cour administrative régionale a infirmé ce jugement, estimant que le paiement relevait des règles de l’Union sur les aides d’État, lesquelles excluent en principe les entreprises en difficulté. La Cour suprême de Lettonie, saisie du pourvoi, a alors interrogé la Cour de justice sur deux points essentiels. Elle a d’abord demandé si des paiements pour des microréserves créées en vue de réaliser les objectifs de la directive 2009/147 sur la conservation des oiseaux sauvages relevaient de l’article 30 du règlement n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural. Elle a ensuite cherché à savoir si l’octroi d’une telle indemnité était soumis aux restrictions visant les entreprises en difficulté, prévues par le règlement d’exemption n° 702/2014. La Cour de justice répond positivement à ces deux questions, confirmant que si l’aide est bien éligible au titre du développement rural, son octroi par le biais d’un régime d’exemption est exclu pour une entreprise en difficulté.

La solution apportée par la Cour conduit à examiner en premier lieu le champ d’application étendu des aides environnementales finançables par le Fonds européen agricole pour le développement rural (I). Par la suite, il convient d’analyser la portée de l’exclusion de certaines entreprises du bénéfice des régimes d’exemption d’aide d’État (II).

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I. L’éligibilité étendue de l’aide compensatoire au titre de la politique de développement rural

La Cour de justice adopte une interprétation large des dispositions permettant de financer les mesures de protection de la biodiversité, en admettant l’éligibilité de zones situées hors du réseau Natura 2000 (A). Elle confirme par ailleurs que la nature compensatoire de ces paiements ne les soustrait pas à la qualification d’aide d’État (B).

A. L’inclusion des microréserves forestières dans le champ du soutien européen

La Cour de justice considère qu’une aide demandée pour une microréserve située en dehors du réseau Natura 2000 relève bien du champ d’application de l’article 30 du règlement n° 1305/2013. Pour parvenir à cette conclusion, elle écarte d’emblée l’applicabilité de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement, qui vise explicitement les zones Natura 2000. Elle se concentre sur le point b) de cette même disposition, qui concerne « les autres zones naturelles protégées qui sont assorties de restrictions environnementales […] et qui contribuent à l’application des dispositions de l’article 10 de la [directive 92/43] ». La Cour interprète de manière extensive la condition relative à cette contribution. Elle rappelle que l’article 10 de la directive habitats vise à améliorer la cohérence écologique du réseau Natura 2000 en encourageant la gestion d’éléments du paysage essentiels pour les espèces sauvages. Or, ce réseau incluant des zones de protection spéciale pour les oiseaux, la Cour en déduit que les mesures améliorant sa cohérence peuvent logiquement concerner tant les habitats que les espèces d’oiseaux sauvages. Ainsi, une microréserve protégeant une espèce d’oiseau, même hors d’un site Natura 2000, contribue à la finalité écologique du réseau et peut donc ouvrir droit à l’aide prévue. Cette approche finaliste garantit que des mesures écologiquement pertinentes ne soient pas privées de financement au seul motif de leur localisation géographique stricte.

B. La qualification maintenue d’aide d’État malgré le caractère indemnitaire

La juridiction de renvoi soulevait la possibilité de considérer le paiement non comme une aide, mais comme une simple indemnisation pour une restriction au droit de propriété. La Cour écarte fermement cette distinction en rappelant que la finalité indemnitaire est la raison d’être même de la mesure. Elle cite l’article 30, paragraphe 1, du règlement n° 1305/2013, qui prévoit expressément qu’une aide est accordée afin « d’indemniser les bénéficiaires […] pour les coûts supplémentaires et la perte de revenus subis ». Le caractère indemnitaire est donc inhérent au dispositif voulu par le législateur de l’Union. La Cour ajoute que cette nature « n’est, dès lors, pas susceptible de mettre en cause leur qualification d’aides pouvant être accordées en vertu de la réglementation de l’Union relative au Feader ». De plus, elle réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle un tel caractère « n’exclut nullement que de telles aides puissent par ailleurs être qualifiées […] d’“aides d’État”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE », dès lors qu’elles sont financées par des ressources étatiques et remplissent les autres conditions de cette qualification. Cette solution préserve la cohérence du contrôle des aides d’État en empêchant que des subventions soient soustraites à son examen par un simple jeu de qualifications juridiques nationales.

Une fois l’aide qualifiée et son éligibilité de principe admise, la Cour se devait de statuer sur les conditions restrictives de son octroi.

II. L’exclusion justifiée des entreprises en difficulté du régime d’exemption

La Cour confirme que le règlement d’exemption n° 702/2014 interdit de déclarer l’aide compatible avec le marché intérieur lorsqu’elle est sollicitée par une entreprise en difficulté (A). Elle juge par ailleurs que cette exclusion est conforme aux droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union (B).

A. L’application littérale des conditions du règlement d’exemption

La Cour explique que les aides au développement rural, y compris celles cofinancées par le Feader, sont soumises aux règles de l’Union sur les aides d’État. Le règlement n° 702/2014 a précisément pour objet de déclarer certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur et de les exempter de l’obligation de notification préalable à la Commission. Toutefois, ce bénéfice est conditionné au respect de l’ensemble des exigences du règlement. Or, l’article 1er, paragraphe 6, de ce texte exclut de son champ d’application les aides aux entreprises en difficulté, sauf exceptions non pertinentes en l’espèce. La Cour constate que le critère de refus appliqué par l’autorité nationale, à savoir la perte de plus de la moitié des fonds propres, correspond à la définition de l’entreprise en difficulté donnée à l’article 2, point 14, du même règlement. La conclusion est donc inéluctable : une aide forestière demandée par une telle entreprise « ne peut pas être déclarée compatible avec le marché intérieur sur le fondement du règlement n° 702/2014 ». Cette exclusion ne signifie pas une interdiction absolue d’aide, mais simplement que l’aide en question ne bénéficie pas de la procédure simplifiée d’exemption et doit, pour être légale, faire l’objet d’une notification individuelle à la Commission et d’un examen spécifique.

B. La validation de la règle d’exclusion au regard des principes supérieurs

La juridiction de renvoi exprimait des doutes sur la validité de cette exclusion au regard du droit de propriété, de l’égalité de traitement et de la proportionnalité. La Cour rejette ces critiques en procédant à une mise en balance des intérêts. Elle précise d’abord que l’objectif de l’exclusion n’est pas de préserver les ressources de l’Union, mais de garantir que les aides aux entreprises en difficulté soient examinées selon des règles spécifiques et plus strictes, destinées à prendre en compte leur situation particulière et le risque de distorsion de concurrence. Concernant le droit de propriété, la Cour rappelle qu’il n’est pas absolu et qu’une restriction à son exercice pour un motif de protection de l’environnement n’ouvre pas automatiquement un droit à indemnisation. Quant à la différence de traitement, elle est jugée objectivement justifiée par la situation différente des entreprises en difficulté par rapport aux entreprises saines. Le risque qu’une aide serve à maintenir artificiellement en vie une entreprise non viable justifie un contrôle renforcé. Enfin, la mesure est jugée proportionnée car elle « ne fait pas obstacle à ce que ces entreprises se voient accorder une aide », à condition que celle-ci soit déclarée compatible après une analyse au cas par cas par la Commission. La Cour conforte ainsi la logique du droit des aides d’État, qui subordonne le soutien public aux entreprises fragiles à un examen approfondi de sa nécessité et de ses effets sur le marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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