Dans un arrêt du 28 avril 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa dixième chambre, a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. Ce recours portait sur la violation systématique et persistante des dispositions de la directive 2008/50/CE concernant la qualité de l’air ambiant, en particulier le dépassement des valeurs limites journalières fixées pour les particules fines PM10. Les faits à l’origine du litige concernaient le non-respect de ces seuils dans deux zones géographiques distinctes, une agglomération capitale et une zone urbaine située en outre-mer, sur une période s’étalant sur plus d’une décennie. À la suite d’une longue procédure précontentieuse initiée en 2009 par une lettre de mise en demeure et poursuivie par plusieurs avis motivés, la Commission a saisi la Cour. Elle soutenait que l’État membre avait manqué à ses obligations non seulement en dépassant les valeurs limites de pollution de manière continue, mais également en n’adoptant pas de plans d’action adéquats pour remédier à cette situation dans les plus brefs délais. La question de droit soulevée portait ainsi, d’une part, sur la caractérisation juridique d’un manquement tiré de la seule constatation objective du dépassement des seuils de pollution et, d’autre part, sur l’appréciation de l’efficacité des mesures correctrices prévues par les plans relatifs à la qualité de l’air. La Cour de justice a accueilli le recours de la Commission dans son intégralité, constatant un double manquement de l’État membre. Elle a jugé que le dépassement systématique et persistant des valeurs limites suffisait à lui seul à constituer une violation de l’obligation de résultat imposée par la directive, et que la durée excessive de la situation démontrait que les plans de qualité de l’air mis en œuvre n’étaient pas propres à garantir que la période de dépassement soit « la plus courte possible ».
I. La consécration d’une obligation de résultat stricte quant au respect des valeurs limites
La décision de la Cour réaffirme avec force le caractère impératif des normes de qualité de l’air, en jugeant que le simple dépassement des seuils établis constitue en soi un manquement (A), rendant inopérants les arguments de l’État membre relatifs aux efforts entrepris ou aux difficultés rencontrées (B).
A. La constatation objective du dépassement comme manquement autosuffisant
La Cour de justice rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la procédure en manquement repose sur une constatation objective du non-respect des obligations issues du droit de l’Union. Appliquant ce principe au domaine de la qualité de l’air, elle juge que « le fait que soit dépassée la valeur limite fixée pour les PM10 dans l’air ambiant suffit en lui–même pour que puisse être constaté un manquement ». Cette approche consacre une obligation de résultat pour les États membres, qui doivent garantir le respect des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive 2008/50. Le raisonnement de la Cour se détache de toute considération relative à la cause des dépassements ou à la bonne volonté de l’État concerné.
L’analyse se fonde exclusivement sur les données factuelles transmises par l’État membre lui-même dans ses rapports annuels, lesquelles démontraient sans équivoque la récurrence des dépassements dans les zones de Paris et de Martinique/Fort-de-France sur les périodes visées. En affirmant que ces dépassements doivent être « considérés comme persistants et systématiques, sans que la Commission soit tenue d’apporter des preuves supplémentaires à cet égard », la Cour allège la charge probatoire de la Commission dans le cadre de manquements de longue durée. La nature objective et factuelle du manquement est ainsi placée au cœur de l’analyse, la simple défaillance dans l’atteinte de l’objectif normatif suffisant à engager la responsabilité de l’État.
B. L’indifférence aux tendances d’amélioration et aux difficultés probatoires
Face au manquement constaté, l’État membre a tenté de faire valoir des arguments tendant à minimiser sa responsabilité, lesquels ont tous été écartés par la Cour. D’une part, il invoquait une tendance à la baisse structurelle des concentrations de PM10 dans la zone parisienne, signe selon lui de l’efficacité des mesures prises. La Cour rejette cette défense en rappelant qu’« un manquement peut demeurer systématique et persistant en dépit d’une éventuelle tendance partielle à la baisse », dès lors que cette tendance ne permet pas d’atteindre la conformité avec les valeurs limites. La seule trajectoire positive est donc insuffisante si l’objectif final n’est pas atteint.
D’autre part, concernant la zone de Martinique, l’État soutenait que les dépassements auraient pu être réduits en déduisant la part des poussières d’origine naturelle, comme cela avait été fait pour des années postérieures à la période du manquement. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une stricte application des règles de preuve. Elle note que l’État membre admet lui-même ne pas avoir été en mesure, à l’époque des faits, « d’appliquer la méthodologie établie par la Commission, pour prouver et déduire les dépassements imputables à des sources naturelles ». En l’absence de preuve formellement établie selon les critères de la directive, l’argument devient inopérant. Cette rigueur place l’entière responsabilité de la preuve sur l’État membre, renforçant l’effectivité du contrôle opéré par la Commission et la Cour.
II. Le contrôle de l’effectivité des plans d’action face à la persistance du dépassement
Au-delà du constat du dépassement des seuils, la Cour examine le second grief relatif à l’insuffisance des mesures correctrices. Elle précise le contenu de l’obligation d’agir pour réduire la pollution (A) avant de sanctionner l’inefficacité manifeste des plans mis en œuvre, déduite de la durée même du manquement (B).
A. L’exigence de mesures propres à garantir la période de dépassement la plus courte possible
L’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50 impose aux États membres, en cas de dépassement des valeurs limites, d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air. La Cour rappelle que ces plans ne sont pas une simple formalité ; ils doivent contenir des « mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible ». Bien que les États disposent d’une marge de manœuvre dans le choix des mesures, cette liberté est encadrée par un objectif d’efficacité et de célérité. La Cour exerce ainsi un contrôle sur le caractère adéquat des actions engagées.
Elle souligne que, si le non-respect des valeurs limites ne suffit pas, à lui seul, à prouver une violation de l’article 23, l’analyse doit se faire au cas par cas. Le contenu des plans doit être examiné pour vérifier leur conformité, notamment au regard des exigences de l’annexe XV de la directive. Cette annexe impose de fournir un calendrier de mise en œuvre et une estimation de l’amélioration de la qualité de l’air escomptée. La Cour se livre donc à une appréciation substantielle des plans d’action, évaluant si leur architecture et leur contenu sont de nature à atteindre l’objectif de retour à la conformité dans un délai minimal.
B. La sanction de l’insuffisance manifeste des plans au regard de la durée du manquement
En l’espèce, la Cour déduit l’inefficacité des mesures prises de la persistance même du problème. Elle constate que l’État membre n’a « manifestement pas adopté en temps utile des mesures appropriées » permettant de limiter la durée du dépassement. Le fait que la non-conformité ait perduré plus de neuf ans dans une zone et plus de six ans dans l’autre, après la naissance de l’obligation de prendre des mesures efficaces, constitue une preuve irréfutable de l’échec des politiques menées. La durée excessive du manquement devient ainsi le principal critère d’évaluation de l’adéquation des plans.
La Cour relève d’ailleurs que l’État membre ne conteste pas ce point et met en évidence les lacunes concrètes des plans nationaux et locaux. Certains prévoyaient des délais de mise en conformité trop longs, s’étendant jusqu’en 2025, tandis que d’autres manquaient d’informations précises sur le calendrier de réalisation des objectifs. Dans une formule particulièrement éclairante, la Cour juge qu’une telle situation « démontre par elle-même, sans qu’il soit besoin d’examiner de manière plus détaillée le contenu des plans […] que, en l’occurrence, cet État membre n’a pas mis à exécution des mesures appropriées et efficaces ». Cette approche pragmatique confère une portée considérable à l’obligation de résultat, en créant une présomption quasi irréfragable d’inefficacité des plans en cas de manquement prolongé.