Par un arrêt en date du 28 avril 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations d’enseignement, dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction roumaine.
En l’espèce, une société commerciale de droit roumain fournissait des services d’enseignement complémentaires au programme scolaire, incluant un appui pour les devoirs, des programmes éducatifs et des cours de langues. Suite à un contrôle, l’administration fiscale a estimé que la société, ayant dépassé un certain seuil de chiffre d’affaires, aurait dû s’acquitter de la taxe sur la valeur ajoutée pour ses prestations. La société a contesté cette décision, soutenant que ses activités, assimilables au programme national « École après l’école », devaient être exonérées en vertu de la législation nationale transposant la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. L’administration fiscale a rejeté cette réclamation au motif que la société n’était pas agréée spécifiquement pour fournir de tels services dans le cadre d’un partenariat avec un établissement d’enseignement, comme l’exige le droit national pour bénéficier de l’exonération. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE. La question posée à la Cour consistait donc à déterminer si un organisme de droit privé à but lucratif, exerçant des activités d’enseignement d’intérêt général sans disposer de l’agrément spécifique requis par le droit national, pouvait néanmoins être qualifié d’« organisme reconnu comme ayant des fins comparables » à un organisme de droit public et, par conséquent, bénéficier de l’exonération de la taxe.
La Cour répond par la négative en jugeant que ne relève pas de cette notion « une entité privée qui exerce des activités d’enseignement d’intérêt général […] lorsque cette entreprise ne satisfait pas, en tout état de cause, aux conditions prévues par le droit national pour pouvoir bénéficier de cette reconnaissance ».
Cette décision réaffirme la marge d’appréciation des États membres dans la mise en œuvre des exonérations fiscales (I), ce qui a pour effet de strictement encadrer l’accès à ce régime de faveur pour les organismes privés (II).
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I. La consécration de la compétence nationale pour la reconnaissance des organismes
La Cour de justice rappelle que la reconnaissance d’un organisme à des fins comparables à celles d’un organisme public relève de la compétence des États membres (A), ce qui exclut de fait une reconnaissance fondée sur des critères généraux non prévus par la législation nationale (B).
A. L’affirmation du pouvoir d’appréciation des États membres
La Cour confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA ne définit pas les modalités de reconnaissance des organismes privés. Il appartient donc « en principe, au droit national de chaque État membre d’édicter les règles selon lesquelles une telle reconnaissance peut être accordée à de tels organismes ». Les États disposent à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les conditions que doivent remplir les prestataires pour bénéficier de l’exonération.
Cette solution s’inscrit dans le respect du principe de subsidiarité en matière fiscale, reconnaissant que les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer si un organisme poursuit des objectifs d’intérêt général similaires à ceux du secteur public. La Cour se limite à contrôler que ce pouvoir d’appréciation n’est pas exercé en violation des principes du droit de l’Union, notamment le principe de neutralité fiscale. En l’espèce, le droit roumain subordonnait cette reconnaissance à la conclusion d’un partenariat avec un établissement d’enseignement, une condition que la société ne remplissait pas. La Cour valide cette approche en considérant que le non-respect des conditions nationales suffit à exclure l’organisme du bénéfice de l’exonération.
B. Le rejet des critères de reconnaissance alternatifs
La société requérante avançait que sa reconnaissance pouvait découler d’autres éléments, tels que son enregistrement au registre du commerce sous un code spécifique à l’enseignement ou la nature d’intérêt général de ses activités. La Cour rejette fermement cette argumentation. Elle précise qu’une simple autorisation administrative, comme l’attribution d’un code d’activité économique, ne vise qu’à constater la finalité commerciale légitime de l’entreprise et « ne saurait équivaloir à la reconnaissance d’une société comme un organisme ayant des fins comparables à celles d’un organisme de droit public d’éducation ».
De même, le seul fait que les activités exercées soient d’intérêt général, en contribuant à la prévention de l’abandon scolaire ou à l’amélioration des performances des élèves, est jugé insuffisant. La Cour établit ainsi une hiérarchie claire : la reconnaissance formelle selon les règles édictées par l’État membre prime sur la nature intrinsèque de l’activité. Cette approche formaliste prévient une application extensive de l’exonération qui serait contraire au principe d’interprétation stricte des dérogations au système commun de TVA.
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II. La portée de la décision : un encadrement strict du régime d’exonération
Cette solution a pour conséquence directe de renforcer la sécurité juridique pour les opérateurs économiques (A), tout en limitant la portée de l’exonération aux seuls organismes s’inscrivant dans le cadre défini par les politiques éducatives nationales (B).
A. Le renforcement de la sécurité juridique
En conférant un rôle central aux conditions fixées par le droit national, la Cour offre une grille de lecture claire et prévisible. Les organismes privés souhaitant bénéficier de l’exonération de TVA savent qu’ils doivent impérativement se conformer aux procédures d’agrément ou de reconnaissance spécifiques prévues par leur État membre. Cette approche évite que les autorités fiscales et les juridictions ne soient contraintes de procéder à une appréciation au cas par cas de la finalité d’intérêt général d’une activité, une démarche qui serait source d’incertitude et de contentieux.
La décision garantit ainsi une application uniforme du régime d’exonération au sein d’un même État membre, conformément à l’objectif des directives en matière de TVA. La solution, bien que restrictive pour l’opérateur en cause, préserve la cohérence du système fiscal et la prérogative des États membres d’organiser leur politique éducative et sociale, y compris par le biais d’incitations fiscales ciblées.
B. Une application limitée au service de la neutralité fiscale
En refusant l’exonération à une entreprise purement commerciale qui n’a pas obtenu la reconnaissance étatique, la Cour préserve également le principe de neutralité fiscale. Ce principe s’oppose à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de TVA. Cependant, la Cour considère implicitement qu’un organisme agréé par l’État et un organisme non agréé ne se trouvent pas dans une situation comparable, même si les services fournis sont matériellement identiques.
La reconnaissance officielle par l’État constitue le critère de différenciation objectif qui justifie une rupture d’égalité de traitement fiscal. La portée de l’arrêt est donc de circonscrire l’exonération aux seules structures que l’État membre a choisi d’intégrer, directement ou indirectement, à son système d’enseignement d’intérêt général. Le simple fait d’opérer sur le marché de l’éducation, même avec succès, ne suffit pas pour prétendre à un avantage fiscal dont la finalité est de soutenir des objectifs de politique publique bien définis.