Cour de justice de l’Union européenne, le 28 avril 2022, n°C-79/20

Par un arrêt rendu le 25 décembre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions significatives sur les modalités de calcul de la valeur normale dans le cadre d’une procédure antidumping. Les faits à l’origine de l’affaire concernaient un producteur-exportateur de produits plats en aciers inoxydables, établi à Taïwan, qui s’était vu imposer un droit antidumping par un règlement d’exécution de la Commission européenne. Le producteur a contesté la méthode de calcul de ce droit, notamment le refus de l’institution de déduire la valeur de la ferraille recyclée de ses coûts de production, ainsi que l’exclusion de certaines de ses ventes sur son marché intérieur du calcul de la valeur normale, au motif qu’elles n’étaient pas destinées à la consommation locale.

Saisi en première instance, le Tribunal de l’Union européenne avait rejeté le recours en annulation formé par l’entreprise contre le règlement litigieux. Le producteur-exportateur a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, articulant son argumentation autour de trois moyens principaux. Il soutenait une violation des dispositions du règlement de base relatives à la construction de la valeur normale, au calcul des coûts de production et, surtout, aux conditions d’exclusion des ventes intérieures. La question juridique centrale soumise à la Cour consistait à déterminer si, pour écarter une vente du marché intérieur du calcul de la valeur normale au motif que le produit est destiné à l’exportation, la Commission doit prouver une intention ou une connaissance subjective de cette destination dans le chef du vendeur.

La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’arrêt du Tribunal. Elle écarte une interprétation purement subjective de la notion de « produit destiné à la consommation », mais affine également l’approche objective. Elle juge que l’exclusion d’une vente intérieure requiert que la Commission établisse l’existence d’un « facteur de rattachement objectif » entre cette vente et une destination autre que la consommation sur le marché intérieur, tel qu’un système de rabais à l’exportation ou la qualité d’exportateur principal du client.

La décision de la Cour réaffirme ainsi le cadre d’analyse dont disposent les institutions pour établir la valeur normale, élément clef de la détermination d’une pratique de dumping. Elle valide la méthodologie suivie par la Commission en l’espèce, fondée sur un large pouvoir d’appréciation encadré par un contrôle juridictionnel limité (I), tout en précisant de manière inédite le critère permettant d’exclure les ventes internes, en instaurant une solution équilibrée entre l’efficacité de l’enquête et la sécurité juridique (II).

I. La consolidation du large pouvoir d’appréciation des institutions dans l’établissement de la valeur normale

La Cour de justice profite de ce litige pour confirmer la marge de manœuvre considérable reconnue à la Commission dans la conduite des enquêtes antidumping. Ce pouvoir s’exprime tant dans l’appréciation des registres comptables du producteur (A) que dans l’articulation des différentes méthodes légales de calcul de la valeur normale (B).

A. La primauté des exigences de vérification sur les méthodes comptables de l’exportateur

Le producteur-exportateur reprochait au Tribunal de ne pas avoir sanctionné le refus de la Commission de déduire la valeur de la ferraille recyclée de ses coûts de production. Il soutenait que cette approche avait artificiellement augmenté ses coûts, conduisant à qualifier à tort de non rentables une partie de ses ventes intérieures. La Cour écarte cet argument en rappelant les principes gouvernant le contrôle juridictionnel en la matière. Elle souligne que « les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques et politiques qu’elles doivent examiner ».

Le contrôle du juge se limite par conséquent à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Or, en l’espèce, la Cour constate que le producteur n’avait pas fourni les informations nécessaires permettant à la Commission de vérifier avec certitude la quantité exacte de matières premières consommées et la pertinence de la déduction demandée. Face à des données jugées incomplètes ou non fiables, la Commission était en droit de les écarter. La charge de la preuve d’une comptabilisation fidèle et vérifiable des coûts repose sur l’entreprise faisant l’objet de l’enquête. L’échec à fournir de telles preuves justifie que l’institution investigatrice adopte une approche prudente pour éviter toute distorsion dans le calcul de la marge de dumping.

B. La confirmation de la logique séquentielle du calcul de la valeur normale

Le pourvoi contestait également l’analyse du Tribunal relative à l’interaction entre les différentes dispositions régissant la détermination de la valeur normale. La Cour de justice valide entièrement le raisonnement du Tribunal, qui avait établi un lien de conséquence logique entre l’exclusion des ventes non rentables et le recours à une valeur normale construite. L’article 2, paragraphe 4, du règlement de base permet d’écarter les ventes effectuées à des prix inférieurs aux coûts de production. Lorsque ces ventes sont écartées, ou si elles sont inexistantes ou insuffisantes, l’article 2, paragraphe 3, prévoit que la valeur normale est alors « construite » sur la base du coût de production majoré d’un montant raisonnable pour les frais et le bénéfice.

La Cour confirme que le recours à la valeur construite n’est pas une option autonome mais « la conséquence directe » de l’application préalable d’autres dispositions. En l’espèce, le refus de la déduction pour la ferraille ayant augmenté le coût de production, un plus grand nombre de ventes se sont révélées non rentables au sens du paragraphe 4. C’est ce constat qui a déclenché l’application du paragraphe 3 et le calcul d’une valeur construite. Le raisonnement de la Commission, validé par le Tribunal, n’était donc entaché d’aucune erreur de droit, mais suivait rigoureusement la séquence prévue par le règlement.

II. La clarification du critère d’exclusion des ventes destinées à l’exportation

Au-delà de la confirmation de principes établis, l’apport majeur de l’arrêt réside dans l’interprétation de la notion de ventes « destinées à la consommation sur le marché intérieur ». La Cour rejette une lecture purement subjective de cette condition (A) pour lui substituer un critère innovant fondé sur la preuve d’un lien objectif entre la vente et sa destination finale (B).

A. Le rejet d’une condition fondée sur l’intentionnalité du vendeur

L’argument central du producteur-exportateur reposait sur une lecture subjective de la réglementation. Selon lui, pour exclure une vente intérieure du calcul de la valeur normale, la Commission aurait dû prouver que le vendeur avait, au moment de la transaction, l’intention ou la connaissance que les produits seraient finalement exportés. La Cour procède à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour écarter cette thèse. Sur le plan textuel, elle note que si la version anglaise du règlement (« intended for consumption ») peut suggérer une notion d’intention, la majorité des autres versions linguistiques emploient des termes plus objectifs se référant à la « destination » du produit.

Surtout, sur le plan téléologique, la Cour juge qu’une telle exigence de preuve subjective « risquerait, en pratique, de se révéler fréquemment impossible à rapporter ». Elle compromettrait l’efficacité des enquêtes antidumping, dont l’objet est de remédier à une situation économique objective – une discrimination par les prix – indépendamment des intentions du producteur. Conditionner l’analyse à un état d’esprit subjectif permettrait aux opérateurs de contourner facilement les mesures en structurant leurs ventes par l’intermédiaire de tiers, sans qu’il soit possible de prouver leur connaissance de la destination finale. Cette approche est donc jugée incompatible avec la finalité de la réglementation.

B. L’établissement d’un critère de rattachement objectif à la destination du produit

Tout en rejetant l’approche subjective, la Cour n’adopte pas pour autant une interprétation purement objective qui permettrait d’exclure une vente sur la seule base d’une exportation ultérieure par un tiers. Une telle approche porterait atteinte aux principes de prévisibilité et de sécurité juridique, en rendant le producteur responsable des agissements incontrôlables de ses clients. La Cour forge alors une voie médiane. Elle énonce que « la Commission ne peut exclure une vente intérieure de la base de calcul servant à la détermination de la valeur normale que si elle établit l’existence d’un facteur de rattachement objectif entre cette vente et une destination du produit en cause autre que la consommation intérieure ».

Ce facteur de rattachement peut être établi par des éléments de preuve concrets, qui permettent d’imputer au producteur une connaissance raisonnable de la destination probable du produit. Dans l’affaire d’espèce, la Cour relève deux indices pertinents : d’une part, l’existence d’un système de « rabais à l’exportation » accordé par le producteur à son client, qui constituait une incitation économique directe à exporter ; d’autre part, le fait que ce client réalisait une part négligeable de ses propres ventes sur le marché intérieur, étant principalement un opérateur tourné vers l’exportation. Ces circonstances objectives démontraient que les produits vendus étaient affectés à l’exportation, justifiant leur exclusion du calcul de la valeur normale. La solution équilibre ainsi la nécessité de ne pas fausser la comparaison des prix avec le besoin de protéger les attentes légitimes des opérateurs économiques.

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Hassan KOHEN
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