La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 28 avril 2022, s’est prononcée sur les modalités de reconnaissance de l’expérience professionnelle au sein de l’Union.
Un professionnel de santé, après avoir exercé ses fonctions pendant plusieurs années au Portugal, a sollicité la valorisation de son ancienneté auprès d’une administration régionale de santé espagnole. Cette autorité a refusé de comptabiliser les services effectués à l’étranger pour l’accès à un grade supérieur, limitant cette prise en compte aux seuls services de santé nationaux. Le Tribunal administratif de Valladolid a d’abord accueilli le recours de l’intéressée avant qu’un appel ne soit interjeté devant la Cour supérieure de justice de Castille-et-León. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer pour interroger le juge européen sur la conformité de cette réglementation au droit de l’Union. La question posée visait à déterminer si le refus de reconnaître l’expérience acquise dans un autre État membre constituait une entrave injustifiée à la libre circulation des travailleurs. La Cour affirme que les dispositions nationales s’opposent à une telle pratique, sauf si elle répond à un objectif d’intérêt général strictement proportionné et nécessaire. L’examen de cette décision permet d’étudier l’identification d’une restriction à la libre circulation (I) avant d’analyser le régime des justifications liées à l’organisation de la santé (II).
**I. L’identification d’une restriction à la libre circulation des travailleurs**
**A. La caractérisation d’une entrave à la mobilité professionnelle**
L’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne protège la faculté pour tout ressortissant d’exercer une activité économique dans un État membre différent de son origine. La Cour rappelle que les mesures nationales dissuadant un travailleur de quitter son pays pour exercer son droit de circuler librement constituent des restrictions à cette liberté fondamentale. L’arrêt précise qu’un travailleur ayant occupé des emplois dans plusieurs États ne doit pas être traité de façon moins favorable que celui resté dans un seul État membre. Le refus de valoriser l’ancienneté acquise à l’étranger rend la mobilité moins attrayante puisque le professionnel se voit privé d’une progression de carrière légitimement acquise par son travail. Cette réglementation est susceptible de « dissuader un travailleur d’exercer son droit à la libre circulation » en le privant de la reconnaissance de son expérience professionnelle lors de son retour.
**B. Le constat d’une discrimination indirecte fondée sur l’expérience**
Le principe d’égalité de traitement interdit les discriminations directes liées à la nationalité mais également les formes indirectes de distinction aboutissant, en fait, au même résultat préjudiciable. Une disposition nationale indistinctement applicable est jugée discriminatoire si elle affecte davantage les ressortissants des autres États membres que les travailleurs nationaux du pays d’accueil concerné. Les travailleurs migrants ont logiquement acquis leur expérience hors des frontières nationales et se trouvent donc pénalisés par un critère de reconnaissance limité aux seuls services de santé espagnols. La décision souligne que cette différence de traitement constitue une restriction interdite par le règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne. Cette pratique est prohibée « à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi » par l’administration dans le cadre de ses compétences d’organisation.
**II. L’admission conditionnelle des justifications liées à la santé publique**
**A. La reconnaissance d’un objectif légitime d’organisation des services**
Les États membres conservent la compétence pour organiser leurs services de santé et définir le niveau de protection de la santé publique qu’ils entendent assurer sur leur territoire. La juridiction admet que l’amélioration de la qualité des soins constitue un objectif d’intérêt général susceptible de justifier certaines limites aux libertés de circulation prévues par les traités. La reconnaissance de l’évolution professionnelle valorise les connaissances et l’expérience clinique pour garantir une prestation de soins conforme aux attentes d’excellence de l’organisation administrative qui emploie. Le juge européen concède aux autorités une marge d’appréciation pour lier la progression de carrière à la réalisation d’objectifs spécifiques liés à la protection de la santé. Cette organisation peut viser à garantir que les services fournis respectent les principes et les normes de qualité fixés par le système national de santé concerné par l’évolution.
**B. L’exigence d’un contrôle rigoureux de la proportionnalité**
La restriction identifiée ne peut être maintenue si elle dépasse ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique invoqué par l’administration. L’autorité compétente doit offrir à l’intéressé la possibilité de démontrer l’équivalence de ses compétences acquises à l’étranger par une comparaison entre les titres et l’expérience pertinente. La Cour écarte l’argument tiré de l’absence d’harmonisation européenne car les autorités sont tenues de « prendre en considération l’ensemble des diplômes ainsi que l’expérience pertinente de l’intéressé ». L’absence de critères généraux d’homologation entre les États membres ne saurait dispenser l’administration d’un examen individuel des mérites et des qualifications présentés par le candidat à l’avancement. Le refus automatique de prise en compte apparaît disproportionné dès lors que d’autres avantages financiers liés à l’ancienneté sont déjà accordés pour les services effectués au Portugal.