Par un arrêt du 28 février 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par la Cour de cassation italienne, a précisé les modalités de détermination de la valeur en douane pour l’application d’un droit antidumping en présence de ventes successives. En l’espèce, une société italienne avait importé de la fonte hématite originaire de Russie, acquise auprès d’un autre opérateur italien. Ce dernier avait lui-même acheté la marchandise à une société établie à Chypre. Le prix de la dernière transaction, déclaré en douane, était supérieur au prix minimal d’importation fixé par une décision de la Commission, contrairement au prix de la première vente, qui lui était inférieur.
S’estimant fondées à retenir le prix de la première vente pour liquider le droit antidumping, les autorités douanières italiennes ont procédé à un redressement. L’opérateur importateur a contesté cette décision devant le Tribunale di Bari, qui a rejeté son recours le 30 septembre 2000 au motif que la défense du marché devait s’opérer dès la première acquisition par un opérateur communautaire. La Corte d’appello di Bari a confirmé ce jugement, considérant que la réglementation antidumping serait aisément contournée si l’on ne prenait pas en compte cette première phase commerciale. Devant la Corte suprema di cassazione, l’importateur a soutenu que seule l’entrée physique de la marchandise sur le territoire douanier importait et que la valeur transactionnelle applicable était celle du prix effectivement payé lors de la vente ayant conduit à la déclaration. Le ministère public soutenait à l’inverse que le préjudice pour le marché communautaire naissait dès l’acquisition de la marchandise à un prix inférieur à celui des autres opérateurs, justifiant la prise en compte de la première vente.
La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si les autorités douanières peuvent, pour l’application d’un droit antidumping, se référer au prix d’une vente antérieure à celle sur la base de laquelle la déclaration en douane a été faite. La Cour y répond en affirmant le principe du libre choix de l’importateur quant à la transaction de référence, tout en réservant aux autorités douanières la faculté de rejeter la valeur déclarée en cas de doutes fondés sur sa véracité. Cette solution consacre ainsi la primauté de la valeur déclarée par l’opérateur (I), tout en organisant le pouvoir de contrôle et de rectification de l’administration douanière (II).
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**I. La consécration de la valeur déclarée comme assiette du droit antidumping**
La Cour de justice établit clairement que le choix de la transaction servant de base à la détermination de la valeur en douane appartient en principe à l’importateur. Cette solution repose sur une interprétation littérale des textes applicables (A), qui conduit la Cour à écarter une approche purement finaliste qui aurait remis en cause la prérogative de l’opérateur économique (B).
**A. Une interprétation littérale au service de la liberté de l’importateur**
La Cour ancre son raisonnement dans la lettre même de la législation. Elle rappelle d’abord que l’article 29 du code des douanes communautaire définit la valeur en douane comme la « valeur transactionnelle, c’est-à-dire le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du territoire douanier de la Communauté ». Or, la jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Unifert* du 6 juin 1990, avait déjà précisé qu’en cas de ventes successives, l’importateur est libre de choisir, parmi les différents prix convenus, celui qu’il entend déclarer.
Le point décisif de l’argumentation de la Cour réside dans l’analyse de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision n° 67/94 instituant le droit antidumping. Ce texte dispose que le droit est égal à la différence entre le prix minimal et la « valeur déclarée en douane ». Pour la Cour, l’ajout de l’adjectif « déclarée » n’est pas anodin ; il « met en exergue que la base pour appliquer un droit antidumping est non la valeur en douane en tant que telle, mais la valeur en douane déclarée par l’importateur ». De cette précision textuelle, la Cour déduit logiquement que la liberté de choix reconnue à l’importateur par le code des douanes s’impose également dans le cadre de la liquidation des droits antidumping. En conséquence, les autorités douanières ne disposent pas d’une faculté symétrique leur permettant de substituer d’office le prix d’une vente antérieure à celui choisi par le déclarant.
**B. Le rejet d’une approche finaliste extensive des pouvoirs de l’administration**
Face à cette interprétation textuelle, le gouvernement italien et la Commission avançaient des arguments fondés sur la finalité des règles antidumping. Selon eux, l’objectif de protection du marché communautaire contre les importations à bas prix serait compromis si les autorités ne pouvaient pas remonter la chaîne des transactions pour identifier le prix ayant réellement causé le préjudice. Ils soutenaient que le préjudice naît dès qu’un opérateur communautaire acquiert des marchandises à un prix inférieur à la normale, même si le prix de revente final est supérieur au seuil.
La Cour écarte cette argumentation en recentrant le débat sur l’objectif réel de la réglementation. Elle rappelle que les droits antidumping visent à « neutraliser la marge de dumping » et à « annuler ainsi les effets préjudiciables de l’importation des marchandises concernées dans la Communauté ». L’objectif n’est donc pas de sanctionner les bénéfices des intermédiaires, mais d’éviter un préjudice à l’industrie communautaire du fait de l’entrée effective de produits à vil prix sur le marché. Tant que le prix déclaré lors de la mise en libre pratique est conforme au prix minimal, cet objectif est, en apparence, respecté. Concernant le risque de contournement, la Cour souligne que la Commission, en choisissant d’instaurer un droit variable basé sur un prix minimal, a opté pour une mesure dont la susceptibilité à la fraude est connue. Il ne lui appartient donc pas, par une interprétation extensive, de pallier les faiblesses inhérentes à l’instrument choisi par le législateur.
Si la prérogative de l’importateur est ainsi affirmée, elle n’est pas absolue. La Cour prend soin de la tempérer par la reconnaissance d’un pouvoir de contrôle substantiel au profit des autorités douanières, destiné à garantir l’intégrité du système.
**II. Le pouvoir de contestation de la valeur déclarée comme correctif nécessaire**
Le principe de la liberté de choix de l’importateur est assorti d’une limite essentielle : la faculté pour les autorités douanières de contester la véracité de la valeur déclarée. Ce pouvoir de contrôle est encadré par des garanties procédurales strictes (A) et débouche, en cas de rejet de la valeur transactionnelle, sur l’application d’une méthode de valorisation subsidiaire spécifique (B).
**A. Un contrôle encadré par des doutes fondés et une procédure contradictoire**
La Cour reconnaît que la valeur déclarée ne s’impose pas aveuglément à l’administration. S’appuyant sur l’article 181 bis du règlement d’application du code des douanes, elle rappelle une pratique bien établie : lorsque les autorités douanières « sont fondées à douter que la valeur déclarée représente le montant total payé ou à payer », elles peuvent écarter la méthode de la valeur transactionnelle. Ces doutes ne sauraient être arbitraires et doivent reposer sur des éléments objectifs, comme en l’espèce la connaissance d’une facture antérieure mentionnant un prix significativement plus faible.
Ce pouvoir de remise en cause est cependant conditionné au respect d’une procédure contradictoire. Avant de prendre une décision définitive de rejet, les autorités doivent communiquer leurs motifs au déclarant et lui offrir « une occasion raisonnable de répondre ». Cette exigence, inhérente au système d’évaluation en douane, vise à protéger les droits de la défense de l’opérateur. Ce n’est que si les doutes persistent après cette phase d’échange, et qu’il demeure impossible d’établir le prix réellement payé pour la transaction déclarée, que la valeur transactionnelle peut être définitivement écartée. La Cour établit ainsi un équilibre entre la lutte contre la fraude et la sécurité juridique des importateurs.
**B. La référence à la vente antérieure comme moyen raisonnable de substitution**
Une fois la valeur déclarée écartée, la question de la méthode de substitution se pose. La Cour analyse les options prévues par le code des douanes. Elle écarte l’application de l’article 30, qui se réfère à la valeur de marchandises identiques ou similaires, car cette méthode est incompatible avec la nature même du dumping, qui suppose un prix inférieur au marché. Elle se tourne alors vers l’article 31, qui prévoit une méthode subsidiaire fondée sur des « moyens raisonnables » à partir des « données disponibles dans la Communauté ».
Dans ce cadre, la Cour juge que le prix d’une vente antérieure constitue une telle donnée disponible et que son utilisation est un moyen raisonnable. Elle estime que « le prix fixé dans le cadre d’une vente antérieure à celle pour laquelle la déclaration en douane a été faite peut constituer une donnée disponible dans la Communauté que l’article 31, paragraphe 1, du code des douanes communautaire permet de retenir comme base de détermination de la valeur en douane ». Pour éviter tout arbitraire, la Cour précise toutefois la marche à suivre : les autorités doivent se référer au prix « convenu dans le cadre de la vente antérieure la plus proche de celle pour laquelle a été faite la déclaration en douane et dont elles n’auraient aucune raison objective de douter de la véracité ». Cette solution pragmatique confère aux autorités un outil efficace pour contrer les montages artificiels, tout en le circonscrivant pour préserver un système d’évaluation équitable et prévisible.