Par un arrêt du 9 février 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle par le Bundesfinanzhof allemand, portant sur l’interprétation de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la libre circulation des capitaux.
En l’espèce, des contribuables résidents allemands ont perçu des dividendes de capitaux investis dans des sociétés situées dans d’autres États membres de l’Union européenne ainsi que dans des États tiers. Conformément aux conventions fiscales bilatérales, ces revenus ont fait l’objet d’une retenue à la source dans les États d’origine. Le droit fiscal allemand prévoit un mécanisme d’imputation de cet impôt étranger sur l’impôt sur le revenu dû en Allemagne, afin d’éviter une double imposition. Cependant, la méthode de calcul du plafond de cette imputation a fait naître un litige. L’administration fiscale allemande, en application de la législation nationale, a déterminé ce plafond en utilisant une formule qui, pour l’un de ses termes, ne tenait pas compte de certaines dépenses personnelles et familiales déductibles, telles que des dépenses spéciales ou des charges extraordinaires.
Les contribuables ont contesté cette méthode de calcul, arguant qu’elle réduisait indûment le montant de l’impôt étranger imputable, créant ainsi une charge fiscale supplémentaire par rapport à une situation où tous leurs revenus proviendraient d’Allemagne. Après le rejet de leur recours par le Finanzgericht Baden-Württemberg, ils ont formé un pourvoi devant le Bundesfinanzhof. Cette juridiction, doutant de la conformité de la législation nationale avec le droit de l’Union, a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si l’article 63 du Traité s’opposait à une telle réglementation. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si la méthode de calcul du plafond d’imputation, qui neutralise partiellement l’effet des déductions personnelles et familiales pour les revenus de source étrangère, constituait une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge qu’une telle réglementation nationale constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, car elle désavantage les contribuables qui investissent dans d’autres États par rapport à ceux dont les revenus sont purement nationaux. La Cour considère que cette différence de traitement n’est pas justifiée par la nécessité de préserver la répartition de la compétence fiscale entre les États membres.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur la caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux (I), dont la justification est par la suite écartée (II).
I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux
La Cour identifie une restriction en constatant d’abord le traitement fiscal défavorable appliqué aux revenus d’origine étrangère (A), avant de réaffirmer le principe de la responsabilité de l’État de résidence quant à la prise en compte de la situation personnelle du contribuable (B).
A. Le traitement fiscal défavorable des revenus de source étrangère
La juridiction de l’Union met en évidence le mécanisme discriminatoire de la législation allemande. Le calcul du plafond d’imputation de l’impôt étranger aboutit à un traitement moins favorable pour les contribuables percevant des revenus de capitaux hors d’Allemagne. La formule de calcul aboutit à réduire artificiellement le montant de l’impôt allemand théoriquement attribuable aux revenus étrangers. En effet, si les dépenses personnelles et familiales sont bien déduites pour déterminer le montant global de l’impôt dû, elles ne sont pas prises en compte dans le dénominateur de la fraction servant à calculer la part de cet impôt relative aux revenus étrangers.
La Cour constate que cette méthode « conduit toutefois, en pratique, les contribuables résidents dudit État membre qui ont perçu à l’étranger une partie de leurs revenus à ne se voir reconnaître les déductions correspondant auxdites dépenses spéciales et charges extraordinaires qu’à concurrence de leurs revenus perçus dans leur État membre de résidence ». Ce faisant, le bénéfice des déductions personnelles se trouve proportionnellement diminué à mesure que la part des revenus d’origine étrangère augmente. Une telle situation pénalise l’investissement transfrontalier et instaure une différence de traitement objective entre les contribuables selon l’origine géographique de leurs revenus, ce qui est contraire à l’objectif de l’article 63 du Traité.
B. La responsabilité de l’État de résidence dans la prise en compte de la situation personnelle
Pour asseoir son raisonnement, la Cour rappelle un principe fondamental de la fiscalité directe européenne. Il s’agit du principe selon lequel l’État de résidence est le mieux placé pour apprécier la capacité contributive globale du contribuable. C’est donc à cet État qu’il incombe en principe d’accorder les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale. La Cour énonce clairement que « c’est en principe à l’État de résidence qu’il incombe d’accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, car cet État est le mieux à même d’apprécier la capacité contributive personnelle du contribuable ».
En l’espèce, la réglementation allemande méconnaît cette obligation. En limitant l’imputation de l’impôt étranger par un calcul qui neutralise une partie des déductions personnelles, l’Allemagne renonce partiellement à son devoir de prendre en compte la situation personnelle de ses propres résidents. La restriction n’est donc pas une conséquence inévitable de la coexistence des systèmes fiscaux nationaux, mais bien le résultat d’un choix législatif de l’État de résidence. Cette approche confirme une jurisprudence constante et l’applique logiquement au cas d’un mécanisme d’imputation, montrant que la méthode utilisée pour éliminer la double imposition ne doit pas elle-même créer de discrimination.
II. Le rejet de la justification de la restriction
Face à la restriction avérée, la Cour examine et réfute la justification avancée par le gouvernement allemand tenant à la répartition du pouvoir d’imposition (A), tout en précisant la portée de sa décision face aux autres options prévues par le droit national (B).
A. L’inefficacité de l’argument tiré de la répartition du pouvoir d’imposition
Le gouvernement allemand soutenait que la limitation de l’imputation était nécessaire pour préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États. Selon cet argument, l’État de résidence ne serait pas tenu de compenser les désavantages fiscaux liés à l’imposition effectuée par l’État de la source. La Cour écarte cette justification avec fermeté. Elle estime qu’une telle justification « ne peut être invoquée par l’État de résidence d’un contribuable pour se soustraire à la responsabilité qui lui incombe en principe d’accorder au contribuable les déductions de type personnel et familial qui lui reviennent ».
De plus, la Cour souligne que permettre une prise en compte intégrale des déductions personnelles ne compromettrait pas le droit de l’Allemagne d’exercer sa compétence fiscale. Au contraire, cela assurerait simplement que les revenus perçus en Allemagne soient traités de la même manière, que le contribuable ait ou non perçu des revenus à l’étranger. La Cour estime donc que l’objectif de sauvegarde de la répartition du pouvoir d’imposition ne saurait justifier une mesure qui entrave une liberté fondamentale sans être véritablement nécessaire à la prévention de comportements abusifs ou à la protection de la cohérence du système fiscal.
B. La portée du principe de non-discrimination face aux options nationales
Enfin, la Cour examine l’argument selon lequel les contribuables disposaient d’une autre option, à savoir la déduction de l’impôt étranger de l’assiette imposable plutôt que son imputation. La Cour juge cet argument non pertinent. Elle rappelle qu’« un régime national restrictif des libertés de circulation peut demeurer incompatible avec le droit de l’Union, quand bien même son application serait facultative ». La simple existence d’une alternative conforme au droit de l’Union ne suffit pas à rendre légal un mécanisme qui, par défaut, est discriminatoire.
Cette position renforce la protection des contribuables et la primauté du droit de l’Union. Elle signifie que les États membres doivent s’assurer que le régime fiscal standard ou de droit commun est lui-même compatible avec les libertés de circulation. En jugeant que le mécanisme incompatible est celui qui est « automatiquement appliqué en l’absence de choix effectué par le contribuable », la Cour souligne que la protection des libertés fondamentales ne doit pas dépendre de la diligence ou de l’expertise fiscale des citoyens. La décision a donc une portée pratique importante, en imposant aux États membres de corriger les mécanismes d’imposition qui, même indirectement, pénalisent l’exercice de la libre circulation des capitaux.