La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 février 2013, un arrêt précisant le régime juridique des aides d’État. Cette décision traite de l’articulation entre les règles de la concurrence et les dérogations liées à la protection de la sécurité nationale. Un État membre avait octroyé des mesures de soutien financier à un chantier naval dont l’activité se partageait entre les secteurs militaire et civil. La Commission européenne a ordonné la récupération des sommes finançant la production civile, au motif qu’elles altéraient les conditions de la concurrence. L’entreprise concernée a contesté cette décision devant le Tribunal, lequel a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par la partie requérante. Un pourvoi a été formé devant la Cour de justice pour obtenir l’annulation de l’arrêt rendu par les juges de première instance. La requérante soutient que ses activités civiles sont indissociables de sa production militaire et constituent un corollaire nécessaire à sa survie. La question posée consiste à savoir si des aides finançant l’activité civile d’une entreprise mixte peuvent être soustraites au droit de l’Union. La Cour rejette le pourvoi en confirmant l’interprétation restrictive des dérogations prévues par les traités pour protéger les intérêts essentiels de l’État.
L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’affirmation d’une distinction stricte entre les domaines d’activité avant d’envisager la préservation de l’effet utile du droit européen.
I. L’affirmation d’une distinction rigoureuse entre les secteurs d’activité
A. Le rejet de la théorie de l’indivisibilité économique
Le juge souligne d’abord que « l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE vise à établir […] une stricte distinction » entre secteurs. Cette séparation s’impose même lorsqu’une entité unique poursuit simultanément des activités relevant des domaines militaire et civil de manière imbriquée. La Cour refuse ainsi de considérer une mesure d’aide comme un bloc monolithique échappant globalement au contrôle des autorités de la concurrence. Elle valide la répartition proportionnelle effectuée par la Commission entre les différentes branches d’activité de l’entreprise bénéficiaire pour identifier les montants illicites. Cette approche purement juridique de l’activité économique permet d’isoler les flux financiers qui ne bénéficient pas directement à la défense de l’État.
B. L’interprétation restrictive de l’exception de sécurité
La Cour rappelle fermement que la dérogation prévue par les traités « doit faire l’objet d’une interprétation stricte » par les juridictions européennes. Elle juge qu’une entreprise produisant du matériel mixte ne peut se soustraire aux règles communes par la simple invocation de sa pérennité industrielle. Le soutien à l’activité civile n’est pas considéré comme un moyen légitime de garantir la survie d’un appareil de production spécifiquement militaire. Par conséquent, les mesures relatives à la production d’armes « ne doivent pas altérer les conditions de concurrence » pour les produits de consommation courante. La reconnaissance d’un lien fonctionnel entre deux activités ne suffit pas à justifier l’extension d’un privilège exorbitant du droit commun.
La rigueur de cette distinction permet de maintenir l’autorité des institutions européennes sur les marchés nationaux malgré les prérogatives souveraines des États.
II. La sauvegarde de l’effet utile du droit européen de la concurrence
A. La confirmation du contrôle de la Commission européenne
Le juge affirme que l’État membre ne saurait bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire absolu par la seule invocation des intérêts de sa sécurité. La Cour confirme que la Commission examine avec l’État les conditions dans lesquelles les mesures de soutien peuvent être adaptées aux traités. Cette procédure garantit que les fonds publics ne sont pas détournés pour favoriser des entreprises nationales sous couvert de secrets militaires. Les appréciations factuelles du Tribunal sur la clé de répartition des aides sont souveraines et échappent au contrôle du juge de cassation. La décision renforce ainsi les pouvoirs de surveillance administrative sur les secteurs stratégiques autrefois protégés par une opacité juridique totale.
B. Une portée prétorienne limitant l’autonomie des États membres
Cet arrêt confirme une jurisprudence constante refusant de laisser aux États le pouvoir de déroger unilatéralement aux dispositions du traité fondateur. La Cour précise que les mesures de récupération visent à aménager les conditions de retour au droit commun sans compromettre la sécurité. La solution rendue limite les risques d’abus de droit où l’argument sécuritaire servirait de paravent à un protectionnisme économique injustifié. Elle assure une égalité de traitement entre les opérateurs économiques du marché intérieur, peu importe la nature sensible de certains produits. Cette décision souligne l’étroitesse de la voie laissée aux dérogations nationales face aux impératifs d’intégration et de transparence du marché unique.