Cour de justice de l’Union européenne, le 28 février 2013, n°C-473/10

L’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence, initiée par le droit de l’Union, repose sur la garantie d’un accès équitable et non discriminatoire à l’infrastructure. Dans un arrêt du 6 décembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de préciser les contours des obligations d’indépendance imposées aux États membres en la matière. Saisie par la Commission d’un recours en manquement à l’encontre d’un État membre, la Cour était invitée à se prononcer sur la compatibilité de la législation nationale avec les directives relatives au développement des chemins de fer. La Commission soutenait que cet État avait manqué à ses obligations en confiant des fonctions relatives à la répartition des capacités et à la tarification de l’infrastructure à des entités qui étaient également des entreprises ferroviaires. Plus précisément, la gestion du trafic en cas de perturbation ainsi que la facturation des redevances étaient assurées par les gestionnaires de l’infrastructure, lesquels opéraient aussi comme transporteurs. La Commission estimait que ces activités relevaient des fonctions essentielles qui, en vertu du droit de l’Union, doivent être exercées par un organisme indépendant. L’État membre, soutenu par d’autres États, contestait cette analyse en opérant une distinction entre l’adoption des décisions, réservée à un organisme indépendant, et leur exécution technique. Il convenait donc pour la Cour de déterminer si la gestion du trafic et la facturation constituent des fonctions essentielles de répartition et de tarification, soumises à une exigence d’indépendance stricte. Dans sa décision, la Cour de justice a rejeté les griefs relatifs à un défaut d’indépendance, estimant que ni la gestion du trafic en situation perturbée, ni la facturation des redevances ne constituaient des fonctions essentielles de répartition ou de tarification. En revanche, elle a constaté un manquement de l’État membre concernant l’absence de mesures garantissant l’équilibre financier du gestionnaire de l’infrastructure et l’établissement des redevances sur la base des coûts directs.

L’analyse de la Cour révèle une interprétation pragmatique des fonctions essentielles qui doivent être exercées en toute indépendance (I), tout en confirmant avec rigueur l’obligation pour les États de respecter les cadres financiers et méthodologiques imposés par le droit de l’Union (II).

I. Une conception restrictive des fonctions essentielles garantissant l’indépendance

La Cour a adopté une lecture stricte de la notion de fonction essentielle, tant en ce qui concerne la répartition des sillons ferroviaires que la tarification de l’infrastructure. Elle a ainsi validé une dissociation entre la prise de décision stratégique, qui exige l’indépendance, et la gestion opérationnelle qui peut en être exempte.

A. L’exclusion de la gestion du trafic du champ de la répartition des sillons

La Commission soutenait que la gestion du trafic, notamment en cas de perturbation, relevait de la fonction essentielle d’allocation des sillons, car elle impliquait des décisions affectant leur disponibilité. La Cour a écarté cette argumentation en se fondant sur une lecture littérale et téléologique des textes. Elle relève que si l’annexe de la directive 91/440/CEE « énumère en tant que fonction essentielle, devant être confiée à un organisme indépendant, l’adoption de décisions concernant la répartition des sillons, elle ne mentionne cependant aucunement la gestion du trafic ». Pour la Cour, la répartition des capacités consiste en des activités de nature administrative qui aboutissent à l’octroi d’un « droit d’utiliser des capacités déterminées de l’infrastructure sous forme de sillons ». La gestion du trafic, quant à elle, ne serait que « la mise en œuvre ou en l’exécution de telles décisions ». Cette distinction est particulièrement nette en situation de crise. Les mesures prises par le gestionnaire de l’infrastructure pour rétablir une circulation normale ne sont pas assimilées à une nouvelle répartition des capacités, mais à des « mesures ponctuelles qui doivent être adoptées dans l’urgence pour faire face à une situation particulière et assurer que les droits à la capacité […] puissent être effectivement exercés ». Cette solution pragmatique reconnaît que le gestionnaire de l’infrastructure, responsable de la sécurité et de la maintenance du réseau, est le plus à même de gérer les incidents techniques au quotidien, sans que cela ne constitue une fonction décisionnelle attentatoire à la concurrence.

Cette même logique de dissociation entre la décision et son exécution se retrouve dans l’analyse de la fonction de tarification.

B. La distinction entre la détermination de la redevance et sa facturation

Le second grief principal de la Commission portait sur la facturation des redevances d’utilisation de l’infrastructure, assurée par les gestionnaires non indépendants. La Commission y voyait une extension de la fonction de tarification, qui aurait dû être confiée à l’organisme indépendant. La Cour a de nouveau rejeté cette analyse en distinguant la « détermination » de la redevance de son « recouvrement ». Selon elle, la détermination des redevances, qui doit être indépendante, « implique que ce gestionnaire doit disposer d’une certaine marge de manœuvre lui permettant d’adopter à tout le moins des décisions comportant des choix et des appréciations ». En l’espèce, le calcul concret des montants dus était effectué par l’organisme indépendant. La facturation, dès lors qu’elle ne constitue qu’une application mécanique des règles et des tarifs fixés par cet organisme, ne relève pas de la « détermination » mais du « recouvrement », fonction que les directives autorisent expressément à confier à un gestionnaire non indépendant. La Cour considère que l’accès aux informations commerciales des concurrents, inhérent à la facturation, ne procure pas un avantage concurrentiel décisif, dès lors que le gestionnaire ne peut influer sur le processus décisionnel et que ces informations sont de toute façon connues après l’attribution des sillons.

Si la Cour a ainsi adopté une interprétation pragmatique des fonctions essentielles, elle s’est montrée bien plus stricte sur le respect des obligations financières et méthodologiques imposées par le droit de l’Union.

II. La sanction du manquement aux obligations de cadre et de méthode

La Cour a constaté le manquement de l’État membre sur deux points non contestés, rappelant ainsi le caractère impératif des règles assurant la viabilité du système ferroviaire et la transparence des coûts.

A. Le défaut d’établissement du cadre contractuel pour l’équilibre financier

La directive 2001/14/CE impose aux États membres de définir les conditions assurant, sur une période raisonnable, l’équilibre financier des comptes du gestionnaire de l’infrastructure. Elle prévoit également que des mesures d’incitation doivent encourager ce dernier à réduire ses coûts et le niveau des redevances d’accès. La législation nationale de l’État membre prévoyait bien la conclusion d’un contrat entre le ministre et le gestionnaire du réseau pour atteindre ces objectifs. Toutefois, la Cour relève le simple fait que cette obligation n’avait pas été honorée dans les délais. Elle constate sobrement que, « à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, le projet de contrat destiné à mettre en œuvre les exigences […] n’avait pas encore été adopté ». Le manquement est donc constitué par la simple carence de l’État, indépendamment de toute discussion sur le contenu qu’aurait eu un tel contrat. Cette approche formaliste réaffirme que les États membres sont tenus par une obligation de résultat en matière de transposition, laquelle inclut la mise en place effective des instruments juridiques prévus.

Au-delà de cette défaillance structurelle, la Cour a également constaté une carence sur le plan de la méthode de calcul des redevances.

B. L’absence d’une méthode de tarification fondée sur les coûts directs

Le droit de l’Union dispose que les redevances perçues pour les prestations minimales doivent être égales « au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire ». Ce principe vise à garantir que les entreprises ferroviaires ne supportent que les coûts variables générés par le passage de leurs trains, favorisant ainsi la concurrence par une tarification transparente et non discriminatoire. En l’espèce, l’État membre ne contestait pas que la méthode de calcul des redevances fondée sur les coûts directs n’était pas en vigueur à la date d’expiration du délai fixé par la Commission dans son avis motivé. La Cour se borne à constater que la législation conforme « est entrée en vigueur le 12 décembre 2010 », soit plus d’un an après l’échéance. Conformément à sa jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée à la date limite fixée dans l’avis motivé, les régularisations ultérieures étant sans pertinence pour constater la défaillance de l’État. Ce faisant, la Cour rappelle le caractère contraignant de la procédure précontentieuse et l’importance du respect des principes de tarification comme condition essentielle d’un marché ferroviaire concurrentiel.

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Hassan KOHEN
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