Cour de justice de l’Union européenne, le 28 février 2013, n°C-483/10

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 28 février 2013, statue sur un recours en manquement introduit au titre de l’article 258 du Traité. Le litige porte sur la transposition imparfaite de directives relatives au secteur ferroviaire, concernant l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure et la tarification des accès au réseau européen. L’État défendeur a maintenu un système légal limitant le rôle du gestionnaire à la simple perception de redevances fixées directement par arrêté d’une autorité ministérielle centrale. Par ailleurs, la législation nationale prévoyait des critères de priorité dans l’attribution des capacités fondés sur l’usage historique des sillons par les entreprises déjà établies sur le marché.

L’institution requérante soutient que ces dispositions violent les principes d’autonomie de gestion et de non-discrimination essentiels à l’ouverture effective de la concurrence dans les transports ferroviaires. L’action est introduite suite à une phase précontentieuse où l’État membre n’a pas apporté de réponses satisfaisantes aux griefs formulés par l’organe de contrôle de l’Union. Le problème de droit consiste à déterminer si la centralisation des pouvoirs tarifaires et de répartition au profit de l’autorité politique respecte les exigences d’indépendance prévues par le droit. La juridiction conclut au manquement en affirmant que le gestionnaire doit disposer d’une marge de manœuvre réelle pour optimiser l’infrastructure et garantir un accès équitable sans aucune discrimination. L’étude portera d’abord sur la protection de l’indépendance de gestion du gestionnaire avant d’analyser la conformité des règles de répartition des capacités de l’infrastructure ferroviaire nationale.

**I. L’affirmation de l’autonomie décisionnelle du gestionnaire de l’infrastructure**

Le gestionnaire doit exercer une compétence effective dans la fixation des tarifs pour répondre aux objectifs de performance et d’investissement fixés par la législation européenne de référence.

**A. La consécration d’une compétence tarifaire propre au gestionnaire**

La juridiction considère que « la détermination de la redevance » doit recevoir un sens large incluant une marge de manœuvre pour influencer efficacement le comportement des opérateurs ferroviaires. Un système confiant la fixation intégrale des tarifs à un ministère prive le gestionnaire d’un instrument de gestion essentiel pour assurer l’optimisation nécessaire de l’infrastructure publique. Cette solution garantit que l’entité responsable des investissements puisse influencer le marché par des signaux clairs et cohérents, conformément aux objectifs fixés par le législateur de l’Union. Toutefois, l’État défendeur contestait cette vision en arguant de la nature fiscale des redevances qui imposerait, selon son droit interne, une compétence exclusive de l’autorité législative ou réglementaire. Le juge écarte cet argument en rappelant que les États ne peuvent exciper de situations de leur ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations d’une directive.

**B. L’exigence d’un système de performance contraignant et incitatif**

La réglementation nationale est également sanctionnée car elle prévoit la simple possibilité d’introduire un système d’amélioration des performances au lieu d’imposer une structure obligatoire pour les exploitants. Le texte souligne que les États doivent mettre en œuvre un système d’amélioration constituant un ensemble cohérent pour encourager tant le gestionnaire que les entreprises à la performance. L’absence de mesures concrètes intégrées à la tarification empêche d’atteindre l’objectif de réduction des perturbations, affectant ainsi directement l’efficacité globale du transport au sein du marché intérieur. En outre, les sanctions prévues par le droit national ne s’appliquaient qu’aux transporteurs, omettant ainsi d’inciter le gestionnaire de l’infrastructure à réduire lui-même les défaillances techniques du réseau. Cette reconnaissance de l’indépendance fonctionnelle du gestionnaire constitue le préalable indispensable à la mise en œuvre de procédures de répartition conformes aux exigences de transparence et d’équité.

**II. L’encadrement strict des procédures de répartition des capacités**

La répartition des sillons doit obéir à des règles objectives et prédéfinies excluant tout pouvoir discrétionnaire de l’autorité politique ou toute pratique favorisant indûment les opérateurs historiques.

**A. La censure du pouvoir discrétionnaire ministériel d’attribution**

La Cour juge qu’un arrêté ministériel permettant de fixer des priorités selon des circonstances exceptionnelles méconnaît l’exigence que des « règles spécifiques de répartition des capacités doivent être établies ». L’octroi d’un tel pouvoir d’appréciation à une administration centrale crée une insécurité juridique pour les transporteurs et contrevient à l’indépendance fonctionnelle requise par les traités européens. Seul le gestionnaire de l’infrastructure peut légitimement accorder des priorités dans des cas strictement encadrés comme la saturation du réseau ou l’existence d’infrastructures dédiées à certains trafics. Par ailleurs, la simple existence de ce pouvoir discrétionnaire constitue une menace pour l’égalité des chances entre les entreprises, même si l’autorité ministérielle n’en a pas encore fait usage. L’encadrement de ces procédures de répartition vise à empêcher toute intervention politique susceptible de fausser le jeu de la concurrence entre les différents acteurs du secteur ferroviaire.

**B. L’illégalité du critère de priorité fondé sur l’usage historique**

L’application d’un critère fondé sur l’utilisation effective d’horaires antérieurs est déclarée illégale car elle protège indûment les avantages des utilisateurs habituels au détriment des nouveaux opérateurs. Cette pratique engendre un « blocage de l’accès aux sillons les plus attractifs » et contrevient au principe fondamental d’accès non discriminatoire au réseau pour toutes les entreprises ferroviaires. Le droit de l’Union privilégie l’utilisation efficace des capacités par des mécanismes neutres, tels que la redevance de réservation, plutôt que par la reconduction automatique de droits acquis. Enfin, l’objectif d’efficacité invoqué par l’État défendeur ne saurait justifier une mesure qui entrave l’entrée de nouveaux concurrents provenant d’autres États membres de l’Union européenne. La décision confirme ainsi que la libéralisation du secteur ferroviaire impose une rupture nette avec les pratiques favorisant les monopoles nationaux par la gestion historique des capacités.

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Hassan KOHEN
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