Cour de justice de l’Union européenne, le 28 février 2018, n°C-3/17

Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité des réglementations nationales en matière de jeux de hasard avec la libre prestation de services. En l’espèce, un litige porté devant une juridiction nationale opposait vraisemblablement un opérateur de jeux en ligne à une autorité étatique dont la législation restreignait l’organisation de tels jeux. Saisie d’un renvoi préjudiciel par cette juridiction, la Cour de justice a été invitée à interpréter l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) afin de déterminer les conditions de conformité de ces restrictions au droit de l’Union. La question centrale posée à la Cour était de savoir dans quelles limites un État membre peut déroger à la libre prestation de services pour réguler son marché des jeux de hasard, notamment au regard des justifications qu’il invoque et des procédures de sélection qu’il met en œuvre. La Cour de justice répond en posant un cadre d’analyse strict : si les restrictions peuvent être admises au nom d’objectifs d’intérêt général, leur mise en œuvre doit être cohérente, systématique, proportionnée et non discriminatoire. Elle précise notamment que les procédures d’autorisation ne sauraient avantager indûment les opérateurs nationaux et que la charge de justifier les restrictions pèse sur l’État membre. Cette décision, tout en reconnaissant la marge d’appréciation des États membres, la soumet à un contrôle juridictionnel rigoureux (I), dont les modalités procédurales et les conséquences pratiques sont clairement affirmées (II).

I. La soumission de la réglementation nationale des jeux de hasard à un contrôle de proportionnalité rigoureux

La Cour de justice encadre strictement les restrictions nationales à la libre prestation de services dans le secteur des jeux de hasard. Elle admet le principe de certains modèles réglementaires restrictifs à condition qu’ils soient justifiés (A), mais censure sans équivoque les modalités d’application qui se révèlent disproportionnées ou discriminatoires (B).

A. L’admission conditionnelle des systèmes nationaux restrictifs

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les jeux de hasard constituent un domaine où des restrictions à une liberté fondamentale peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle valide ainsi la possibilité pour un État membre de mettre en place des régimes dérogatoires au droit commun de la libre prestation de services. La Cour juge à ce titre que « l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à un système dual d’organisation du marché des jeux de hasard ». L’existence conjointe d’un monopole étatique pour certains jeux et d’un système de concessions pour d’autres n’est donc pas, en soi, contraire au droit de l’Union.

Toutefois, cette tolérance est soumise à une condition essentielle et rigoureuse. La réglementation restrictive doit poursuivre « effectivement, de manière cohérente et systématique, les objectifs invoqués par l’État membre concerné ». Il appartient donc à la juridiction nationale de vérifier que la politique restrictive, qu’il s’agisse d’un monopole ou d’un régime d’autorisations, vise réellement à protéger les consommateurs ou à prévenir la fraude, et non à protéger les revenus d’un monopole ou à favoriser des opérateurs nationaux.

B. La censure des modalités d’autorisation disproportionnées et discriminatoires

Si le principe d’une restriction est admis, ses modalités d’application font l’objet d’un contrôle de proportionnalité strict. La Cour se montre particulièrement ferme à l’égard des conditions qui excèdent ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes. Elle considère ainsi que l’article 56 TFUE s’oppose à une règle nationale en vertu de laquelle « l’octroi d’une autorisation pour l’organisation de jeux de hasard en ligne est exclusivement réservé aux opérateurs de jeux de hasard disposant d’une concession de casino situé sur le territoire national ». Une telle condition est jugée disproportionnée, la Cour estimant qu’il existe des « mesures moins restrictives » pour garantir la protection des joueurs et la lutte contre la criminalité.

De plus, la Cour insiste sur l’exigence de transparence et de non-discrimination dans les procédures d’octroi de licences. Elle sanctionne ainsi toute législation qui contient des « règles discriminatoires à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres » ou qui, bien que neutres en apparence, sont mises en œuvre de manière à rendre plus difficile la candidature des soumissionnaires étrangers. La procédure doit être impartiale et permettre un accès effectif au marché pour tout opérateur remplissant les conditions objectives fixées par l’État membre.

Au-delà des conditions de fond, la Cour de justice précise les obligations procédurales incombant aux États membres et à leurs juridictions, renforçant ainsi la protection des opérateurs économiques.

II. L’affirmation des garanties procédurales au profit des opérateurs

La décision commentée revêt une importance particulière en ce qu’elle clarifie les règles procédurales applicables au contentieux des restrictions à la libre prestation de services. Elle précise la répartition de la charge de la preuve entre l’État et l’opérateur (A), et tire les conséquences ultimes de la non-conformité d’une législation nationale au droit de l’Union (B).

A. La charge de la preuve incombant à l’État membre auteur de la restriction

La Cour énonce une règle probatoire fondamentale en matière de libertés de circulation. Elle juge qu’il « incombe à un État membre qui a mis en œuvre une réglementation restrictive de fournir les éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’objectifs propres à légitimer une entrave à une liberté fondamentale […] et la proportionnalité de celle-ci ». C’est donc à l’administration nationale de justifier ses choix réglementaires devant le juge, et non à l’opérateur de prouver le caractère injustifié de la restriction qu’il subit. En l’absence d’une telle démonstration, la juridiction nationale doit pouvoir « tirer toutes les conséquences qui découlent d’un tel défaut ».

Cette solution renforce considérablement la position des justiciables. La Cour nuance cependant ce principe en précisant qu’un État ne manque pas à son obligation du seul fait qu’il n’a pas fourni une analyse d’impact préalable au moment de l’adoption de la loi. L’essentiel est qu’il puisse produire les justifications pertinentes au cours de la procédure juridictionnelle. Par ailleurs, elle rappelle que le juge national n’est pas tenu de procéder d’office à l’examen de la proportionnalité, la charge de la preuve incombant d’abord aux parties.

B. L’inefficacité des sanctions fondées sur une réglementation non conforme

La portée pratique de la décision est scellée par son dernier motif, qui constitue une application directe du principe de primauté du droit de l’Union. La Cour affirme sans ambiguïté que « l’article 56 TFUE […] s’oppose à une sanction […] infligée en raison de la violation de la législation nationale […] dans l’hypothèse où une telle législation nationale s’avère être contraire à cet article ». En d’autres termes, une sanction administrative ou pénale ne peut être valablement prononcée contre un opérateur sur le fondement d’une loi nationale qui viole la libre prestation de services.

Cette solution confère une pleine effectivité à l’article 56 TFUE dans les ordres juridiques nationaux. Elle permet à un opérateur poursuivi pour exercice illégal de l’activité de jeux de hasard de se défendre en invoquant par voie d’exception l’incompatibilité de la loi nationale avec le droit de l’Union. Si le juge constate cette non-conformité, il a l’obligation d’écarter l’application de la loi nationale et, par conséquent, d’annuler ou de ne pas prononcer la sanction. La protection des opérateurs économiques contre des réglementations protectionnistes s’en trouve ainsi garantie au stade même de la répression.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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