Cour de justice de l’Union européenne, le 28 février 2018, n°C-577/16

Par un arrêt en date du 28 février 2018, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation du champ d’application de la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Cette décision clarifie les conditions d’assujettissement d’une installation industrielle à ce système, en particulier lorsque celle-ci ne produit pas directement les émissions liées à son activité.

En l’espèce, une société exploitant une installation de production de polycarbonate, avec une capacité supérieure au seuil fixé par la réglementation, se procurait la vapeur nécessaire à son processus industriel auprès d’une centrale thermique exploitée par une autre entreprise sur le même site. Cette dernière était, pour sa part, soumise au système d’échange de quotas. L’exploitant de l’installation de production de polycarbonate a sollicité auprès de l’autorité nationale compétente une allocation de quotas d’émission à titre gratuit pour la période 2013-2020. Cette demande fut rejetée au motif que l’activité de production de polycarbonate n’était pas explicitement couverte par la loi nationale de transposition. Saisie du litige, la juridiction administrative allemande a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si une telle activité relevait du champ d’application de la directive 2003/87.

Il était ainsi demandé à la Cour si une installation qui exerce une activité potentiellement visée à l’annexe I de la directive, mais qui ne génère pas elle-même d’émissions directes de gaz à effet de serre en important la chaleur nécessaire à sa production, doit néanmoins être incluse dans le système d’échange de quotas.

La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que « l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/87/CE […] doit être interprété en ce sens qu’une installation de production de polymères […] qui se procure la chaleur nécessaire aux fins de cette production auprès d’une installation tierce, ne relève pas du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre institué par cette directive, dès lors qu’elle ne génère pas d’émissions directes de CO2 ». Cette solution, fondée sur une lecture stricte du critère d’émission directe, mérite d’être analysée tant dans sa logique interne (I) que dans ses conséquences pour la cohérence et l’efficacité du système d’échange de quotas (II).

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I. L’émission directe comme critère déterminant de l’assujettissement au système d’échange

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation littérale des dispositions de la directive, faisant de la génération d’émissions directes une condition sine qua non de l’inclusion dans le système d’échange (A), ce qui la conduit à écarter toute prise en compte des émissions indirectes liées à la consommation de chaleur (B).

A. Une application rigoureuse de la condition d’émission

La Cour rappelle que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive, celle-ci ne s’applique qu’aux « émissions résultant des activités indiquées à l’annexe I ». Elle combine cette disposition avec la définition des « émissions » fournie à l’article 3, sous b), de la même directive, à savoir « le rejet dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, à partir de sources situées dans une installation ». De cette lecture combinée, la Cour déduit qu’une activité ne peut relever du système d’échange que si elle est à l’origine d’un rejet physique de gaz à effet de serre.

Dans le cas présent, il est constant que l’installation de production de polycarbonate ne génère pas elle-même de rejets de dioxyde de carbone, le processus de polymérisation n’étant pas émissif et la chaleur étant importée. Par conséquent, pour la Cour, la condition première d’assujettissement fait défaut. La juridiction européenne souligne que « pour déterminer si une installation […] relève du champ d’application de la directive 2003/87, il convient, tout d’abord, de vérifier, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, si cette installation exerce des activités qui génèrent de telles “émissions” ». En l’absence de telles émissions, l’analyse s’arrête, et il devient inutile de déterminer si la production de polycarbonate constitue une « production de produits chimiques organiques en vrac » au sens de l’annexe I.

B. L’exclusion des émissions indirectes du champ d’application

La Cour rejette l’argument selon lequel les émissions « indirectes », c’est-à-dire celles générées par le fournisseur de chaleur, devraient être imputées à l’installation consommatrice. Bien que des dispositions réglementaires, notamment la décision 2011/278/UE, prévoient que les quotas gratuits soient alloués au consommateur de chaleur plutôt qu’au producteur, la Cour juge que ces règles ne peuvent altérer le champ d’application de la directive elle-même.

Elle affirme en effet que « ni l’article 10 bis de cette directive ni les décisions 2011/278 et 2013/448 ne sauraient modifier le champ d’application de ladite directive ». Ces textes, qui organisent les modalités d’allocation de quotas, ne s’appliquent qu’aux installations déjà incluses dans le système en vertu de l’article 2. Les règles d’allocation ne sauraient donc servir de fondement à l’assujettissement d’une installation non émettrice. La Cour renforce son raisonnement en invoquant le risque de double comptabilisation des émissions et l’absence de mécanisme général de transfert des émissions du producteur au consommateur de chaleur, confirmant ainsi que seules les émissions directes peuvent être prises en compte.

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II. Une solution pragmatique aux incidences discutables

Si la solution retenue par la Cour de justice présente l’avantage de la clarté et de la sécurité juridique (A), elle soulève néanmoins des questions quant à sa cohérence avec l’objectif environnemental de la directive (B).

A. La consécration d’un critère d’assujettissement clair

En liant l’inclusion dans le système d’échange de quotas à la présence physique d’une source d’émission au sein de l’installation, la Cour établit une règle simple et opérationnelle. Cette approche évite les complexités liées à la traçabilité des émissions indirectes et à leur répartition entre différents consommateurs. Elle prévient également le risque de double comptabilisation, que la Cour identifie comme étant contraire à l’article 5 du règlement n° 601/2012.

La position de la Cour trouve un appui dans les règles de surveillance et de déclaration des émissions, qui stipulent que l’exploitant « n’attribue pas à l’installation importatrice les émissions qui sont associées à la production de chaleur ou d’électricité importée d’autres installations ». Cette interprétation assure une application uniforme de la directive et limite le périmètre du système aux seuls acteurs ayant un contrôle direct sur les rejets de gaz à effet de serre. De ce point de vue, la décision renforce la sécurité juridique pour les exploitants et les autorités nationales chargées de la mise en œuvre du système.

B. L’affaiblissement potentiel de l’incitation à l’efficacité énergétique

La critique principale que l’on peut adresser à cette décision réside dans ses conséquences sur les incitations économiques à la réduction des émissions. En excluant les consommateurs de chaleur du système d’échange, la Cour les prive du signal-prix du carbone et, par conséquent, de l’incitation à réduire leur consommation d’énergie ou à investir dans des procédés de production plus efficaces. La Cour reconnaît elle-même cet enjeu lorsqu’elle admet que « l’octroi de quotas d’émission à l’exploitant d’une installation de production de polymères […] puisse inciter un tel exploitant à utiliser des techniques plus efficaces ».

Cependant, elle considère que « un tel gain d’efficacité énergétique ne saurait justifier l’inclusion dans le système d’échange de quotas d’émission d’activités qui ne relèvent pas du champ d’application de la directive ». Cette position crée une distinction de traitement entre les installations intégrées, qui produisent leur propre chaleur et sont soumises au système, et les installations qui externalisent cette production. Une telle différenciation pourrait encourager des stratégies d’externalisation visant à sortir du champ d’application de la directive, ce qui semble contraire à l’objectif de réduction globale des émissions que poursuit le législateur de l’Union.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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