Cour de justice de l’Union européenne, le 28 janvier 2016, n°C-375/14

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 28 janvier 2016, précise l’étendue des libertés de circulation dans le secteur des jeux. Ce litige s’inscrit dans le cadre d’une réforme législative visant à réorganiser le système des concessions pour la collecte des paris sportifs en Italie. Une gérante de centre de transmission de données faisait l’objet de poursuites pénales pour avoir exercé une activité de collecte sans autorisation étatique préalable. La réglementation nationale imposait aux nouveaux attributaires de céder gratuitement l’usage de leurs infrastructures à l’administration à l’issue de la période de concession. Le Tribunale di Frosinone, par une décision du 9 juillet 2014, a interrogé la juridiction luxembourgeoise sur la validité de cette contrainte patrimoniale. La question portait sur l’existence d’une restriction injustifiée aux articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour juge qu’une telle disposition est contraire au droit de l’Union si elle outrepasse les nécessités de l’objectif d’intérêt général invoqué. L’analyse du juge européen s’attache d’abord à caractériser l’existence d’une entrave aux libertés fondamentales avant d’en vérifier la proportionnalité au regard des buts poursuivis.

I. La caractérisation d’une entrave aux libertés de circulation

A. L’identification d’une mesure dissuasive pour les opérateurs

La Cour rappelle que toute mesure gênant ou rendant moins attrayant l’exercice des libertés garanties constitue une restriction prohibée par les traités européens. En l’espèce, l’obligation de transfert non rémunéré des actifs constitue une charge économique de nature à décourager les candidats potentiels à la concession. Le juge souligne ainsi que « le risque pour une entreprise de devoir céder, sans contrepartie financière, l’usage de biens en sa possession est susceptible de l’empêcher de rentabiliser son investissement ». Cette spoliation potentielle affecte directement l’attractivité du marché national pour les opérateurs établis dans d’autres États membres de l’Union européenne. L’existence d’une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services est donc formellement constatée par les juges luxembourgeois. Cette qualification de restriction constitue le préalable indispensable à l’examen des motifs susceptibles de justifier une telle atteinte aux principes du marché intérieur.

B. La recevabilité d’un objectif de lutte contre la criminalité

L’État peut toutefois justifier une telle entrave par des raisons impérieuses d’intérêt général, sous réserve que la mesure soit appliquée sans aucune discrimination. Parmi ces motifs, la lutte contre la criminalité liée aux jeux de hasard demeure un objectif légitime reconnu par la jurisprudence constante de la Cour. La continuité de l’activité légale de collecte de paris vise alors à endiguer le développement d’une offre illicite parallèle sur le territoire. Cette volonté de protéger l’ordre public et les consommateurs justifie en théorie le recours à des mesures restrictives de la part des autorités nationales. La Cour admet que la cession des infrastructures puisse répondre à ce besoin impérieux en garantissant le fonctionnement ininterrompu du réseau de collecte. Toutefois, la légitimité du but poursuivi ne dispense pas l’État d’un contrôle rigoureux de la nécessité et de la mesure de son intervention.

II. Le contrôle de la nécessité de la mesure de cession gratuite

A. La disproportion manifeste du transfert gratuit lors de l’échéance contractuelle

Si la cession gratuite peut paraître proportionnée en cas de déchéance à titre de sanction, elle est difficilement justifiable lors de l’expiration naturelle du contrat. Le juge souligne que l’objectif de continuité pourrait être atteint par des mesures moins contraignantes, comme une cession forcée au prix du marché. Une telle obligation de gratuité semble donc aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la permanence du service public concerné. La Cour affirme d’ailleurs que « le caractère gratuit d’une telle cession forcée semble aller à l’encontre de l’exigence de proportionnalité » dans cette hypothèse particulière. Il appartient donc au juge national de vérifier si la valeur vénale des biens concernés ne rend pas la mesure excessivement onéreuse. Cette exigence de proportionnalité protège les investisseurs contre des atteintes injustifiées à leur patrimoine au profit exclusif de la collectivité publique.

B. L’impératif de transparence inhérent au principe de sécurité juridique

Le dispositif litigieux est également critiqué en raison de son manque de transparence, car la cession n’intervient que sur demande expresse de l’administration. Or, les conditions d’un appel d’offres doivent être formulées de manière claire, précise et univoque afin de garantir la sécurité juridique. L’absence de critères objectifs encadrant le pouvoir discrétionnaire de l’autorité publique crée une incertitude préjudiciable pour tout opérateur économique souhaitant s’implanter durablement. La Cour insiste sur le fait que les modalités de cession doivent être connues dès le lancement de la procédure de mise en concurrence. Le défaut de précision de la clause de dévolution renforce ainsi le caractère injustifié de la restriction constatée par la juridiction de l’Union. Ce constat impose aux autorités nationales une rédaction rigoureuse de leurs cahiers des charges pour satisfaire aux exigences du droit européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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