Cour de justice de l’Union européenne, le 28 janvier 2016, n°C-64/15

L’arrêt rendu sur renvoi préjudiciel par la Cour de justice de l’Union européenne apporte des clarifications déterminantes sur le régime d’exigibilité des droits d’accise applicable aux produits circulant sous un régime de suspension de droits. En l’espèce, une expédition de gazole entre deux entrepôts fiscaux situés dans des États membres différents a révélé, au moment de la livraison, une quantité manquante par rapport à celle initialement déclarée. Les autorités douanières de l’État membre de destination ont alors procédé à la taxation de cette quantité manquante, considérant qu’une irrégularité ayant entraîné une mise à la consommation avait eu lieu sur leur territoire. Saisie d’un recours contre cette imposition, et après une première décision défavorable à l’opérateur économique, la juridiction de renvoi, la Cour fédérale des finances, a interrogé la Cour de justice sur les conditions de mise en œuvre de la directive 2008/118/CE. La question centrale était de déterminer si un manquant partiel constaté à la livraison pouvait être qualifié d’irrégularité entraînant l’exigibilité de l’accise, et de préciser à la fois le moment exact où le mouvement prend fin et l’État membre compétent pour la perception de la taxe. La Cour juge que le mouvement des produits s’achève au moment où le destinataire, après déchargement complet, est en mesure de constater la quantité effectivement livrée. Par conséquent, tout manquant constaté à ce stade constitue une « irrégularité » qui doit être assimilée à une « mise à la consommation » au sens de la directive, rendant ainsi la taxe exigible, sauf si la preuve d’une destruction totale ou d’une perte irrémédiable est rapportée.

Le raisonnement de la Cour permet de préciser le fait générateur de l’exigibilité du droit d’accise (I), tout en confirmant la portée du régime de taxation applicable aux irrégularités constatées (II).

I. La clarification du fait générateur de l’exigibilité du droit d’accise

La Cour de justice définit avec précision le moment où le mouvement de produits sous régime suspensif prend fin, conditionnant ainsi la naissance de la dette fiscale. Elle consacre une conception matérielle de la fin du mouvement (A), ce qui conduit à assimiler systématiquement un manquant à une mise à la consommation taxable (B).

A. La fin du mouvement déterminée par la réception effective des produits

La Cour apporte une réponse claire à la question du moment où le mouvement en suspension de droits s’achève. Elle juge que ce mouvement prend fin « au moment où le destinataire de ces produits a constaté, au terme du déchargement complet du moyen de transport contenant les produits en cause, que des quantités de ces produits manquaient ». Cette interprétation de l’article 20, paragraphe 2, de la directive ancre la fin du régime suspensif dans une réalité matérielle et vérifiable. Le simple fait que le moyen de transport soit parvenu à destination ne suffit pas. C’est la capacité du destinataire à mesurer la quantité exacte reçue qui est déterminante.

Ce faisant, la Cour aligne le moment de l’exigibilité sur la nature même de l’accise, qui est une taxe sur la consommation assise sur la quantité de produits. Pour que la taxation soit juste et précise, elle doit se fonder sur un volume certain. La solution retenue garantit que toute opération de contrôle et de comptabilisation par l’entrepositaire agréé, effectuée « dès la fin du mouvement », puisse reposer sur des données fiables. La fin du mouvement coïncide donc avec la fin des opérations de déchargement, moment où les produits entrent matériellement et comptablement dans l’entrepôt fiscal du destinataire.

B. L’assimilation du manquant à une irrégulière mise à la consommation

La conséquence directe de cette définition de la fin du mouvement est la qualification juridique du manquant. La Cour établit qu’un produit non livré à destination est un produit qui, par définition, est sorti du régime suspensif au cours de son transport. Cette sortie constitue une « irrégularité » au sens de l’article 10, paragraphe 6, de la directive. Or, l’article 7, paragraphe 2, de cette même directive présume que toute sortie, y compris irrégulière, d’un régime de suspension de droits constitue une « mise à la consommation ».

La Cour en déduit logiquement que la simple constatation d’un manquant « implique nécessairement une telle mise à la consommation ». Cette solution présente l’avantage de la simplicité et de l’efficacité. Elle évite aux administrations fiscales d’avoir à prouver la destination finale des produits manquants. L’absence du produit à l’arrivée suffit à faire naître une présomption de mise à la consommation, déclenchant ainsi l’exigibilité de l’accise. La Cour précise en outre que cette logique prévaut même si la législation nationale de transposition n’a pas explicitement repris la condition que l’irrégularité doit avoir entraîné la mise à la consommation.

II. Le renforcement du dispositif de taxation des irrégularités

La décision de la Cour ne se limite pas à définir le fait générateur de la taxe ; elle en confirme également la portée et la rigueur. Elle réaffirme ainsi le caractère exclusif des cas d’exonération (A) et généralise l’application des présomptions de taxation aux pertes partielles (B).

A. Le caractère strict des conditions d’exonération de la taxe

L’arrêt rappelle que le régime de taxation des irrégularités ne connaît qu’une seule exception. Pour qu’un manquant ne soit pas considéré comme une mise à la consommation taxable, il faut que sa cause relève de l’article 7, paragraphe 4, de la directive. Cette disposition vise exclusivement les situations de « destruction totale ou [de] la perte irrémédiable de produits soumis à accise ». La charge de la preuve d’une telle circonstance, qui doit en principe résulter de la nature même des produits ou d’un cas de force majeure, pèse sur l’opérateur.

En dehors de cette hypothèse strictement encadrée, aucune autre justification ne peut faire échec à la taxation. En l’absence d’une telle preuve, la présomption de mise à la consommation devient irréfragable. Le système institué par la directive ne tolère donc aucune déperdition inexpliquée, même minime, et met en place un mécanisme rigoureux visant à garantir que tout produit sortant du circuit fiscal suspensif soit effectivement soumis à l’impôt. La Cour confirme ainsi que les régimes prévus aux articles 10, paragraphe 2, et 7, paragraphe 4, sont mutuellement exclusifs.

B. L’application des présomptions de taxation aux manquants partiels

Enfin, la Cour étend sans ambiguïté l’application des règles de taxation aux manquants qui ne concernent qu’une fraction de la marchandise transportée. Répondant à la première question préjudicielle, elle juge que les dispositions de la directive, et notamment son article 10, s’appliquent « non seulement lorsque toutes les quantités […] ne sont pas arrivées à leur destination, mais également aux cas où seule une partie de ces produits n’est pas arrivée à destination ».

Cette précision est fondamentale pour assurer l’intégrité du système. Elle prévient toute tentative de soustraire les pertes de faible volume à l’impôt en arguant qu’elles ne remettent pas en cause l’intégrité globale du mouvement. Qu’il s’agisse d’un litre ou d’une citerne entière, la logique juridique reste la même : un produit manquant est un produit mis à la consommation. Cette solution assure une application uniforme du droit de l’Union et renforce la lutte contre la fraude, en garantissant que toute irrégularité, quelle que soit son ampleur, puisse être appréhendée par les mécanismes de taxation prévus par la directive.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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