Cour de justice de l’Union européenne, le 28 janvier 2020, n°C-122/18

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne constate un manquement d’État dans une affaire initiée par la Commission européenne au titre de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En l’espèce, il était reproché à un État membre une pratique généralisée et persistante de retards de paiement de la part de ses pouvoirs publics dans le cadre de transactions commerciales, en violation des règles établies par le droit de l’Union. La procédure a révélé que, malgré une transposition formelle de la législation européenne en droit interne, les entités publiques de cet État ne respectaient pas de manière effective les délais de paiement imposés. Le litige portait donc sur la question de savoir si une défaillance systémique dans l’application pratique d’une directive pouvait, à elle seule, caractériser un manquement de l’État à ses obligations. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que « en ne veillant pas à ce que ses pouvoirs publics respectent de manière effective les délais de paiement établis à l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2011/7/UE […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions ». La décision consacre ainsi la responsabilité de l’État du fait de la défaillance structurelle de ses entités publiques (I), renforçant par là même la protection des opérateurs économiques au sein du marché intérieur (II).

I. La consécration d’un manquement étatique pour défaillance administrative systémique

La Cour de justice retient une conception exigeante des obligations pesant sur les États membres, en considérant que le manquement est constitué non seulement par la non-transposition d’une directive, mais également par son application pratique défaillante (A), dès lors que cette dernière revêt un caractère généralisé et persistant (B).

A. L’obligation de garantir l’application effective du droit de l’Union

La solution de la Cour rappelle que les obligations découlant d’une directive ne se limitent pas à une simple transcription normative en droit interne. Les États membres sont tenus de garantir la pleine effectivité, ou l’effet utile, des règles qu’ils adoptent. En l’occurrence, la directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales vise à imposer une discipline de paiement aux opérateurs économiques, et tout particulièrement aux pouvoirs publics, afin de préserver la trésorerie des entreprises. L’article 4, paragraphes 3 et 4, de ce texte fixe des délais de paiement stricts, généralement de trente jours, pour les pouvoirs publics.

En jugeant que l’État membre a manqué à ses obligations « en ne veillant pas » au respect de ces délais, la Cour souligne la nature d’une obligation de résultat. Cette obligation de résultat implique que la simple transposition formelle de la directive dans l’ordre juridique national est insuffisante. L’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses entités, y compris les autorités régionales et locales, se conforment concrètement aux exigences du droit de l’Union. La responsabilité de l’État est donc engagée du fait de l’action ou de l’inaction de l’ensemble de ses démembrements administratifs.

B. La caractérisation d’une pratique généralisée et persistante

Le manquement constaté par la Cour ne sanctionne pas des retards de paiement isolés ou exceptionnels. La condamnation repose sur la démonstration, apportée par la Commission européenne, d’une pratique administrative structurelle. La Cour se fonde sur le caractère généralisé et durable des retards de paiement pour établir la violation. C’est cette dimension systémique qui transforme une série de défaillances administratives individuelles en un manquement imputable à l’État membre lui-même en tant que sujet de droit de l’Union.

Ce faisant, la Cour exerce un contrôle concret sur la manière dont le droit de l’Union est mis en œuvre sur le territoire des États membres. Elle ne se contente pas d’un examen abstrait de la législation nationale de transposition. Elle vérifie si, dans les faits, les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union sont atteints. Cette approche pragmatique est essentielle pour assurer une application uniforme et effective du droit de l’Union, et pour garantir que les droits que les particuliers tirent de ce droit ne restent pas théoriques. La constatation du manquement repose donc sur des preuves factuelles d’une défaillance administrative à grande échelle.

Cette qualification rigoureuse du manquement par la Cour de justice n’est pas sans conséquence sur la protection des créanciers et les obligations futures de l’État concerné.

II. La portée de la condamnation au service de la protection des créanciers

La décision commentée présente une valeur considérable pour les opérateurs économiques qui contractent avec des entités publiques (A). Elle constitue également un avertissement pour l’État condamné, dont l’inaction future pourrait entraîner des sanctions financières (B).

A. Le renforcement des droits des opérateurs économiques

Sur le plan de la valeur, cet arrêt constitue une garantie importante pour les entreprises, et notamment les petites et moyennes entreprises, qui sont souvent les plus vulnérables aux retards de paiement de la part des pouvoirs publics. En condamnant une pratique administrative généralisée, la Cour envoie un signal fort : la santé financière des entreprises créancières est un objectif fondamental du marché intérieur qui ne saurait être compromis par la négligence administrative. La décision réaffirme que les règles de la directive 2011/7/UE ne sont pas de simples recommandations, mais des obligations juridiques contraignantes.

Cette jurisprudence consolide la position juridique des créanciers. Face à un retard de paiement d’une entité publique, un créancier pourra non seulement se prévaloir de la législation nationale, mais aussi invoquer la violation du droit de l’Union telle que constatée par la Cour. L’arrêt peut ainsi faciliter les recours indemnitaires que les entreprises lésées pourraient introduire devant les juridictions nationales, en vertu du principe de la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union. La faute de l’État est en effet établie de manière irréfutable par l’arrêt en manquement.

B. Une sanction déclaratoire aux conséquences potentiellement financières

Concernant sa portée, un arrêt en manquement rendu sur le fondement de l’article 258 TFUE a un caractère principalement déclaratoire. La Cour constate la violation et il incombe à l’État membre de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt. L’État est ainsi tenu de mettre fin sans délai au manquement constaté, ce qui suppose l’adoption de mesures correctrices efficaces pour assurer le respect des délais de paiement par l’ensemble de ses pouvoirs publics.

Toutefois, si l’État membre ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut introduire un nouveau recours au titre de l’article 260 TFUE. Dans ce cadre, la Cour de justice peut infliger des sanctions pécuniaires, sous la forme d’une somme forfaitaire et/ou d’une astreinte journalière. La portée de la décision commentée est donc potentiellement dissuasive. Elle constitue une première étape qui, en cas de persistance du manquement, peut conduire à une condamnation financière substantielle, incitant fortement l’État à réformer ses pratiques administratives pour se conformer à ses obligations européennes.

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Hassan KOHEN
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