Par un arrêt rendu en formation de cinquième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de l’article 14 du protocole sur les privilèges et immunités. La décision clarifie les règles de détermination du domicile fiscal pour le conjoint d’un fonctionnaire ou agent de l’Union. En l’espèce, une ressortissante d’un État membre s’était établie dans un autre État membre en raison de l’entrée de son époux au service d’une institution de l’Union. N’exerçant pas d’activité professionnelle propre dans l’État de résidence, elle continuait de percevoir des revenus patrimoniaux dans son État d’origine.
Les autorités fiscales de l’État d’origine ont considéré que, en application du protocole, l’intéressée y avait conservé son domicile fiscal et restait donc soumise à une obligation fiscale illimitée. Cette dernière a contesté une telle analyse, arguant que la législation interne de son État d’origine, si elle avait été seule applicable, aurait conduit à la considérer comme une non-résidente et à ne la soumettre qu’à une obligation fiscale limitée à compter de la quatrième année suivant son départ. Saisie du litige, la juridiction administrative suprême de cet État membre a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si le protocole imposait de maintenir le domicile fiscal dans l’État d’origine, ou si les dispositions de droit interne pouvaient prévaloir lorsqu’elles se révélaient plus favorables. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si la règle de maintien du domicile fiscal prévue par l’article 14 du protocole s’applique de manière autonome et impérative au conjoint inactif d’un agent de l’Union, y compris lorsque son application aboutit à une situation fiscale moins avantageuse que celle qui résulterait du seul droit national.
En réponse, la Cour affirme que le protocole doit être interprété en ce sens que le conjoint d’un agent de l’Union, qui établit sa résidence dans un autre État membre uniquement en raison des fonctions de cet agent et qui n’exerce pas d’activité professionnelle propre, est réputé avoir conservé son domicile fiscal dans l’État membre d’origine. La solution consacre ainsi la nature autonome de la fiction juridique du domicile fiscal prévue par le protocole, laquelle s’impose indépendamment des règles de droit interne. L’arrêt confirme la prééminence d’une règle spéciale dérogatoire dont il convient d’expliciter le sens (I), avant d’en apprécier la portée et la justification systémique (II).
I. L’affirmation d’une règle de domiciliation fiscale autonome et extensive
La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture stricte du protocole, réaffirmant son application au conjoint de l’agent (A) et écartant par conséquent toute possibilité d’opter pour un régime de droit interne qui serait plus favorable (B).
A. L’application confirmée de la fiction légale au conjoint sans activité professionnelle
Le raisonnement de la Cour s’articule autour de l’objet même du protocole, qui vise à organiser une répartition claire des compétences fiscales entre les États membres et l’Union. L’article 13 exempte les traitements versés par l’Union de tout impôt national, tandis que l’article 14 précise le sort des autres revenus. Ce dernier article établit une fiction juridique selon laquelle les fonctionnaires et agents « sont considérés, tant dans l’État membre de leur résidence que dans l’État du domicile fiscal, comme ayant conservé leur domicile dans ce dernier État ». L’arrêt rappelle que cette règle a pour but d’éviter que le fonctionnaire ne puisse choisir son domicile fiscal, ce qui compromettrait la stabilité de la répartition des pouvoirs d’imposition.
La Cour étend sans ambiguïté cette logique au conjoint. Elle souligne que « les dispositions dudit protocole en matière fiscale s’appliquent également au conjoint du fonctionnaire ou de l’agent de l’Union dans l’hypothèse où ce conjoint n’exerce pas d’activité professionnelle propre ». La situation du conjoint est donc directement liée à celle de l’agent. Le maintien du domicile fiscal n’est pas une option mais une conséquence automatique de son statut, dès lors que la condition d’inactivité professionnelle est remplie. La détermination du domicile fiscal du conjoint ne saurait dépendre de sa volonté, tout comme elle ne dépend pas de celle de l’agent lui-même.
B. Le rejet implicite de la prévalence du droit national plus favorable
La question préjudicielle soulevait une tension entre la règle du protocole et la législation interne de l’État d’origine. L’application de la seconde aurait permis à la contribuable de bénéficier d’un régime fiscal allégé, réservé aux non-résidents. La Cour écarte cette perspective en rappelant que le protocole établit un régime dérogatoire et complet. L’objectif de la règle de domiciliation fiscale n’est pas d’accorder un avantage au contribuable, mais d’assurer la continuité de la compétence fiscale de l’État d’origine sur l’ensemble des revenus qui ne sont pas taxés au profit de l’Union.
La solution retenue réaffirme la primauté et l’effet direct des dispositions du protocole, qui relève du droit primaire de l’Union. En précisant que l’État d’origine « reste compétent pour imposer tous les revenus de ladite intéressée autres que les traitements, les salaires et les émoluments versés par l’Union », la Cour confirme que la fiction du domicile fiscal est une règle de conflit de lois qui ne laisse aucune place à l’application alternative du droit interne. L’éventualité d’une situation moins favorable pour l’individu est sans pertinence au regard de la finalité de la norme, qui est d’ordre structurel.
La consécration d’une telle règle, indifférente à ses conséquences individuelles, s’explique par la logique propre au système des privilèges et immunités, dont il convient d’analyser la cohérence.
II. La primauté de la cohérence du régime dérogatoire sur la situation fiscale individuelle
La décision de la Cour se justifie par la nécessité de préserver l’intégrité du régime applicable au personnel de l’Union (A), ce qui révèle une indifférence assumée à une éventuelle aggravation de la charge fiscale qui peut en résulter pour les personnes concernées (B).
A. La justification par la prévention du choix du domicile fiscal
Le principal argument de la Cour pour justifier sa position est d’ordre fonctionnel. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « la répartition des compétences établie par l’article 14 du protocole serait mise en cause si le fonctionnaire ou l’agent avait le libre choix de son domicile fiscal ». Permettre une telle liberté reviendrait à autoriser une forme d’optimisation fiscale que le protocole a précisément pour objet d’empêcher, afin de garantir aux États membres d’origine une stabilité de leurs recettes fiscales. Le déménagement d’un de leurs ressortissants pour servir l’Union est ainsi neutralisé sur le plan fiscal.
En appliquant ce raisonnement au conjoint inactif, la Cour assure la cohérence du dispositif. Une solution contraire, qui permettrait au conjoint de se défaire de son domicile fiscal d’origine en invoquant le droit interne, créerait une brèche dans le système. Elle introduirait une disparité de traitement au sein du foyer fiscal et affaiblirait la portée de la règle applicable à l’agent lui-même. La solidarité fiscale du couple est ainsi préservée au profit de la logique d’ensemble du protocole, qui traite le foyer de l’agent comme une unité pour les besoins de la détermination du domicile.
B. La portée de l’arrêt : une indifférence à l’aggravation de la charge fiscale
L’enseignement majeur de cet arrêt réside dans sa portée. Le protocole sur les privilèges et immunités, bien que créant un statut dérogatoire, ne doit pas être analysé comme une source systématique d’avantages. Dans le cas d’espèce, son application conduit à une situation objectivement moins favorable que celle d’un citoyen ordinaire qui aurait quitté le pays dans les mêmes conditions. La Cour assume pleinement cette conséquence et ne la considère pas comme une violation du principe d’égalité de traitement.
Elle écarte l’argument en affirmant que la situation des agents de l’Union et de leur famille n’est pas comparable à celle des autres travailleurs migrants. La Cour énonce en effet que « du point de vue fiscal, les fonctionnaires et les agents de l’Union ainsi que leurs conjoints […] ne sauraient être considérés comme étant dans la même situation qu’un travailleur migrant ». Ce faisant, elle confirme le caractère *sui generis* de leur statut. La règle de l’article 14 n’est pas conçue pour protéger les individus, mais pour régir les relations entre les systèmes fiscaux. Sa finalité est d’assurer une forme de neutralité fiscale pour l’État d’origine, qui ne doit ni pâtir ni profiter du départ de ses ressortissants au service de l’Union.