L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif au contrôle des aides d’État. En l’espèce, des autorités régionales d’un État membre avaient mis en place des régimes fiscaux avantageux pour les entreprises nouvelles, sans les notifier préalablement à la Commission européenne. Ces mesures consistaient en des réductions significatives de la base imposable de l’impôt sur les sociétés, échelonnées sur plusieurs années. La Commission, ayant eu connaissance de ces dispositifs par le biais de plaintes concernant des aides individuelles, a initié une procédure d’examen formelle.
La procédure administrative a abouti à plusieurs décisions de la Commission qualifiant les régimes fiscaux litigieux d’aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun. En conséquence, la Commission a ordonné la récupération des avantages indûment octroyés auprès des entreprises bénéficiaires. Les autorités régionales concernées, ainsi que d’autres entités, ont alors saisi le Tribunal de première instance d’un recours en annulation de ces décisions. Le Tribunal a rejeté leurs recours par un arrêt du 9 septembre 2009, considérant notamment que les requérants ne pouvaient se prévaloir d’aucune confiance légitime quant à la régularité des aides. Un pourvoi a donc été formé devant la Cour de justice contre l’arrêt du Tribunal. Les requérants au pourvoi principal soutenaient que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’admettant pas que le comportement antérieur de la Commission à l’égard de régimes similaires avait pu fonder une confiance légitime. Des pourvois incidents soulevaient quant à eux la violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration en raison de la durée excessive de la procédure d’examen.
La question de droit posée à la Cour était donc double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si le comportement passé de la Commission, y compris son inaction, à l’égard de dispositifs fiscaux antérieurs pouvait créer une confiance légitime pour des autorités publiques ayant elles-mêmes manqué à leur obligation de notification. D’autre part, la Cour devait préciser si la durée de la procédure d’examen menée par la Commission et d’autres manquements procéduraux allégués pouvaient constituer une violation de principes généraux du droit de l’Union faisant obstacle à l’obligation de récupération de l’aide.
La Cour de justice a rejeté l’ensemble des pourvois. Elle a jugé qu’une autorité publique ne respectant pas l’obligation de notification d’une aide d’État ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, invoquer une confiance légitime dans la régularité de cette aide. Le silence ou le comportement de la Commission à l’égard d’autres régimes ne sauraient constituer les assurances précises requises pour fonder une telle confiance. La Cour a également estimé que la durée de la procédure d’examen n’était pas déraisonnable au regard des circonstances de l’espèce, notamment l’absence de notification et la complexité de l’affaire. La décision de la Cour réaffirme ainsi avec fermeté la discipline procédurale incombant aux États membres en matière d’aides d’État, limitant strictement la possibilité d’invoquer la confiance légitime en cas de non-notification (I). Elle confirme par ailleurs la primauté de l’obligation de récupération de l’aide sur d’autres principes généraux du droit lorsque l’illégalité initiale est imputable à l’État membre (II).
I. La consolidation du caractère exceptionnel de la confiance légitime pour les aides non notifiées
La Cour de justice profite de cet arrêt pour rappeler que l’invocation du principe de protection de la confiance légitime est soumise à des conditions très strictes en matière d’aides d’État, surtout lorsque l’obligation de notification a été méconnue. Elle refuse ainsi de reconnaître qu’une confiance légitime puisse naître du comportement antérieur de la Commission (A), tout en maintenant une interprétation restrictive des circonstances qui pourraient exceptionnellement justifier une dérogation à la récupération de l’aide (B).
A. Le rejet d’une confiance légitime fondée sur le comportement antérieur de la Commission
La Cour confirme le raisonnement du Tribunal en écartant l’argument selon lequel les autorités régionales pouvaient légitimement croire en la conformité des régimes fiscaux litigieux. Les requérants s’appuyaient sur le fait que la Commission n’avait pas agi, ou avait agi de manière jugée favorable, contre des régimes fiscaux antérieurs adoptés par ces mêmes autorités en 1988 et 1993. La Cour rappelle cependant une jurisprudence constante et rigoureuse. Le point de départ de son analyse est l’illégalité fondamentale qui entache toute aide mise à exécution sans avoir été notifiée et approuvée par la Commission. Elle énonce qu’un État membre « ne saurait, en principe, invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l’obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l’exécution d’une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l’aide ». Cette impossibilité vaut, à plus forte raison, pour les autorités publiques qui sont à l’origine de l’aide illégale.
En l’espèce, le comportement de la Commission à l’égard des régimes antérieurs ne pouvait constituer une circonstance exceptionnelle. Concernant les régimes de 1988, la Cour avait déjà jugé qu’ils avaient été déclarés incompatibles non seulement pour des raisons de liberté d’établissement mais aussi au regard des règles sur les aides d’État. Quant aux régimes de 1993, la Cour précise que « l’inaction de la Commission ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle et que son silence ne saurait être interprété comme une autorisation implicite ». Pour qu’une confiance légitime puisse naître, il faut des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de l’institution. Or, le silence ou l’examen de dispositifs distincts, même similaires, ne remplit manifestement pas ces conditions. La Cour souligne ainsi que la charge de la clarté juridique repose sur l’État membre, par le biais de la notification, et non sur une interprétation extensive du silence de la Commission.
B. L’interprétation restrictive des dérogations à l’obligation de récupération
Le second moyen du pourvoi principal, tiré de la méconnaissance des règles d’administration de la preuve, est également rejeté par la Cour, ce qui renforce l’idée d’une application stricte des conditions de la confiance légitime. Les requérants avaient demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission la production de documents internes, notamment des procès-verbaux de réunions, qui auraient pu, selon eux, attester d’une attitude favorable de la Commission à l’égard des régimes de 1993. Le Tribunal avait jugé qu’il était suffisamment éclairé par les pièces du dossier. La Cour valide cette approche. Elle considère que la demande des requérants n’était pas suffisamment précise et que, même si le commissaire en charge avait tenu les propos allégués, cela ne serait pas de nature à constituer la circonstance exceptionnelle requise.
Cette position illustre que la Cour se concentre sur la qualification juridique des faits plutôt que sur les détails factuels des délibérations internes de la Commission. Pour qu’une confiance légitime soit reconnue, il ne suffit pas de déceler une certaine bienveillance ou une hésitation de la part des services de la Commission. Il est nécessaire d’obtenir un acte formel ou une assurance explicite qui ne laisse aucune place au doute. En refusant d’ordonner la production de preuves supplémentaires, la Cour signale que la recherche d’indices d’une possible approbation implicite est une voie sans issue lorsque la procédure de notification, seule garante de la sécurité juridique, a été sciemment ignorée. La portée de l’arrêt est claire : la discipline procédurale en matière d’aides d’État constitue le rempart principal contre les distorsions de concurrence, et les principes généraux du droit ne peuvent servir de prétexte pour contourner cette exigence fondamentale.
II. La primauté de l’obligation de récupération sur les autres principes généraux du droit
Les pourvois incidents soulevaient d’autres principes généraux du droit, tels que la sécurité juridique, la bonne administration et l’égalité de traitement, pour contester l’obligation de récupération. La Cour les écarte également, démontrant que la restauration de la situation concurrentielle antérieure l’emporte sur les irrégularités procédurales alléguées à l’encontre de la Commission. Elle se penche d’abord sur l’argument tiré de la durée de la procédure d’examen (A), avant de rejeter les autres griefs fondés sur la bonne administration et l’égalité de traitement (B).
A. L’appréciation de la durée de la procédure au regard de la sécurité juridique
Les requérants au pourvoi incident arguaient que la durée de la procédure d’examen préliminaire, qui s’était étendue sur trente-neuf mois, était déraisonnable et violait le principe de sécurité juridique. La Cour rejette cette argumentation en s’appuyant sur la spécificité des aides non notifiées. Elle rappelle que le délai de deux mois, issu de la jurisprudence *Lorenz*, ne s’applique qu’aux aides qui ont été dûment notifiées. En l’absence de notification, la Commission n’est pas tenue par une telle contrainte temporelle. Si elle doit agir dans un délai raisonnable, celui-ci doit être apprécié au regard des circonstances concrètes.
La Cour relève que la Commission n’a eu connaissance des régimes fiscaux litigieux que « progressivement, en procédant à l’examen des plaintes contre ces aides individuelles et au traitement en parallèle de celles-ci et desdits régimes ». Le point de départ du délai raisonnable n’est donc pas la première plainte, mais le moment où l’institution dispose des informations suffisantes pour agir. De plus, la Cour prend en compte la complexité de l’analyse juridique et factuelle requise. En refusant de sanctionner la Commission pour la durée de son examen, la Cour fait peser les conséquences de l’opacité sur les autorités qui en sont à l’origine. La sécurité juridique que les requérants invoquent est précisément celle que le mécanisme de notification vise à garantir. Il serait paradoxal que des autorités ayant créé une insécurité juridique par leur manquement puissent ensuite s’en prévaloir contre l’action de la Commission.
B. Le refus de paralyser la récupération au nom de la bonne administration et de l’égalité de traitement
Les autres arguments des pourvois incidents sont traités avec une sévérité similaire. L’absence de publication par la Commission d’un avertissement au Journal officiel, comme le prévoyait une communication de 1983, est jugée sans incidence sur l’obligation de récupération. La Cour estime que l’insécurité juridique découle de l’absence de notification de l’aide par l’État membre, et non d’une omission de publication par la Commission. Cette solution réaffirme que la responsabilité première de la transparence et du respect du droit de l’Union incombe aux autorités nationales et régionales.
De même, le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement est rejeté. Les requérants comparaient leur situation à d’autres cas où la Commission avait renoncé à la récupération en raison de circonstances particulières. Le Tribunal avait jugé les situations non comparables, une analyse que la Cour valide. Elle relève que dans les précédents invoqués, la Commission avait par exemple constaté expressément l’absence d’aide pour des mesures analogues ou que la durée de la procédure n’était aucunement imputable à l’État membre. Or, en l’espèce, les circonstances étaient « tout à fait différentes ». Cet arrêt démontre ainsi que l’obligation de récupérer une aide illégale et incompatible est le corollaire quasi automatique de la décision de la Commission. Seules des situations exceptionnelles, dûment prouvées et parfaitement comparables, pourraient y faire échec, un seuil que les requérants n’ont pas réussi à atteindre.