Cour de justice de l’Union européenne, le 28 juillet 2011, n°C-554/09

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 juillet 2011, une décision préjudicielle essentielle relative à la législation sociale dans les transports routiers. Un commerçant de boissons utilisait un camion de plus de sept tonnes pour livrer sa clientèle et collecter des emballages vides sans utiliser d’appareil de contrôle. Lors d’un contrôle, il fut constaté qu’il n’avait pas inséré de feuille d’enregistrement et ne pouvait présenter les relevés des jours précédents. L’Amtsgericht de Stuttgart a condamné le conducteur, le 17 mars 2009, à une amende pour infraction au règlement européen sur les temps de conduite. Saisie d’un recours, l’Oberlandesgericht de Stuttgart a interrogé la Cour sur l’interprétation de la notion de matériel permettant de bénéficier d’une dérogation. La question portait sur le point de savoir si le transport d’emballages vides par un commerçant entre dans le champ d’application de cette exception. La Cour répond que la notion de matériel ne recouvre pas les emballages destinés à être simplement transportés sans subir de transformation ultérieure.

I. L’exclusion des emballages de la catégorie fonctionnelle du matériel

A. Le critère finaliste lié à l’utilisation active des biens

La Cour précise que le matériel doit être compris comme couvrant les biens requis pour l’exercice du métier du conducteur lors de son trajet. Le juge européen considère que « le matériel est destiné à être utilisé ou est requis pour créer, modifier ou transformer autre chose ». Cette définition fonctionnelle suppose que l’objet transporté soit un instrument nécessaire à la réalisation d’un travail spécifique autre que le simple transport. En l’espèce, les bouteilles vides transportées par le commerçant ne sont ni travaillées, ni transformées, ni ajoutées à un produit final par l’intéressé. Ces emballages ne constituent ainsi pas des appareils ou des instruments nécessaires pour fabriquer un produit quelconque dans le cadre de l’activité principale.

B. La distinction conceptuelle entre matériel et marchandise

L’interprétation de la Cour vise à maintenir une séparation claire entre les objets servant à l’activité et les marchandises faisant l’objet du transport. Le juge souligne que le matériel « n’est pas destiné à être simplement transporté pour sa propre livraison, vente ou élimination » par l’utilisateur du véhicule. Si la notion de matériel englobait tous les biens à caractère professionnel, la distinction avec la notion de marchandise utilisée par le règlement disparaîtrait. Une lecture trop large rendrait les exceptions spécifiques prévues par le législateur de l’Union, comme celles liées à la collecte du lait, totalement sans objet. Les biens marchands proprement dits restent donc exclus de cette dérogation afin de limiter l’application du texte aux seules nécessités techniques de certaines professions.

II. La primauté des objectifs de sécurité routière et d’harmonisation sociale

A. La protection impérative des conditions de travail du personnel

La dérogation aux règles sur les temps de conduite doit rester d’interprétation stricte pour ne pas vider le règlement de sa substance protectrice. La Cour affirme qu’une extension de cette exception « porterait atteinte aux objectifs de ce règlement, à savoir l’amélioration des conditions de travail du personnel ». Une interprétation extensive permettrait à un grand nombre de conducteurs de travailler pendant de longues heures sans bénéficier des repos obligatoires prévus par la loi. La sécurité routière dépend directement de la limitation de la fatigue des chauffeurs professionnels circulant sur le territoire des États membres de l’Union. Le maintien d’un cadre rigoureux assure ainsi la protection de l’ensemble des usagers de la route contre les risques liés à l’épuisement des conducteurs.

B. L’exigence de prévisibilité pour l’application uniforme du droit

Le législateur européen a souhaité établir un ensemble de règles claires et simples pour faciliter le contrôle par les autorités publiques de chaque État. Le juge relève qu’une incertitude sur la définition du matériel « pourrait faire naître des difficultés d’interprétation, d’application, d’exécution et de contrôle desdites règles ». La sécurité juridique impose que les transporteurs connaissent précisément l’étendue de leurs obligations sociales avant d’entamer leurs missions quotidiennes de livraison ou de collecte. Une application effective et uniforme des prescriptions relatives aux durées de conduite garantit également une concurrence saine entre les différents acteurs économiques du secteur. La solution retenue confirme ainsi la volonté de ne pas sacrifier l’ordre public social au profit de considérations de rentabilité commerciale purement subjectives.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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