La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 juillet 2016, une décision fondamentale concernant la qualification juridique des opérations de remblaiement des carrières.
Le 16 mars 2010, un exploitant sollicite l’agrandissement d’une carrière en prévoyant le comblement des zones exploitées par des déchets autres que ceux issus de l’extraction. Le service régional des activités extractives autorise ce projet le 21 septembre 2011 sous réserve du respect scrupuleux des modalités de réhabilitation environnementale initialement programmées par le pétitionnaire. Un litige naît toutefois entre l’exploitant et l’administration provinciale sur la procédure administrative applicable, cette dernière refusant le bénéfice du régime simplifié propre aux opérations de valorisation. Le 15 novembre 2012, les services de police environnementale imposent la procédure d’autorisation normale au motif que le comblement constitue une élimination de déchets par mise en décharge.
Le tribunal administratif régional des Pouilles infirme cette décision administrative en considérant que l’opération projetée peut consister en une valorisation malgré les dispositions restrictives du droit national. Saisi en appel par l’autorité publique, le Conseil d’État italien décide de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 10 de la directive 2006/21. La question préjudicielle vise à déterminer si le comblement d’un trou d’excavation par des déchets non extractifs relève systématiquement du régime de la mise en décharge prévu par la directive 1999/31. La juridiction européenne estime que ce régime strict ne s’applique pas lorsque l’opération remplit les critères cumulatifs d’une véritable valorisation des ressources par substitution de matières premières.
L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord les critères de distinction entre valorisation et élimination, avant d’examiner les conséquences juridiques quant au régime européen applicable à ces opérations.
I. La consécration du critère de substitution des ressources naturelles
A. La finalité fonctionnelle de l’opération de traitement
La Cour précise que la distinction entre valorisation et élimination repose sur l’objectif principal de l’opération, lequel doit tendre vers une utilité réelle pour l’économie globale. Elle rappelle que « la caractéristique essentielle d’une opération de valorisation de déchets réside dans le fait que son objectif principal est que les déchets puissent remplir une fonction utile ». Cette utilité se manifeste concrètement par le remplacement de matières premières naturelles qui auraient dû être extraites ou acquises pour réaliser les travaux de réhabilitation de la carrière. L’intention de l’exploitant de préserver les ressources naturelles devient alors le curseur déterminant pour écarter la qualification d’élimination au profit de celle de valorisation de matière.
Le juge européen souligne également que la préservation des ressources ne doit pas constituer un simple effet secondaire fortuit d’une activité visant principalement à se débarrasser de résidus encombrants. En effet, « lorsque l’économie de matières premières n’est qu’un effet secondaire d’une opération dont la finalité principale est l’élimination des déchets, elle ne saurait être qualifiée de valorisation ». Cette précision jurisprudentielle protège le système juridique contre les risques de détournement de procédure où des décharges illégales seraient camouflées sous l’apparence de projets de réhabilitation paysagère. La preuve de la substitution effective est donc la pierre angulaire de la qualification juridique retenue par les autorités nationales lors du contrôle des projets.
B. L’exigence de conformité technique et environnementale des matériaux
La qualification de valorisation est strictement subordonnée à l’adéquation des déchets utilisés avec les besoins techniques du comblement et les impératifs de protection de la santé publique. La Cour affirme que le comblement ne constitue une valorisation que si, « selon l’état le plus récent des connaissances scientifiques et techniques, les déchets utilisés sont appropriés à cet effet ». Cette exigence garantit que l’opération ne génère pas de nuisances supérieures à celles qui résulteraient de l’utilisation de matériaux naturels extraits spécifiquement pour le remblaiement du site. Le respect de la hiérarchie des déchets impose ainsi une vigilance particulière sur la nature physico-chimique des substances introduites dans le sol.
Le juge écarte explicitement certains types de résidus du champ de la valorisation pour le comblement des trous d’excavation en raison de leur dangerosité potentielle pour les milieux souterrains. Il énonce clairement que « des déchets non inertes ainsi que des déchets dangereux ne sont pas appropriés pour des travaux d’aménagement ou de réhabilitation et de remblai ». L’utilisation de telles substances relèverait nécessairement du régime de l’élimination car elle entraînerait des effets néfastes pour l’environnement contredisant l’objectif de gestion durable des flux. Cette double condition de substitution et d’innocuité structure désormais le cadre d’analyse des juridictions nationales pour identifier le droit applicable à chaque situation d’espèce.
II. L’exclusion du régime de la mise en décharge pour les actes de valorisation
A. L’interprétation téléologique de la directive sur les déchets extractifs
La Cour rejette une lecture littérale et isolée de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/21 qui semblerait soumettre tout déchet non extractif au régime des décharges. Elle observe que cette disposition doit être interprétée en tenant compte de l’économie générale de la législation européenne afin d’assurer une application uniforme dans tous les États membres. Le juge relève que « la directive 1999/31 ne s’applique qu’aux déchets éliminés et non à ceux qui ont fait l’objet d’une valorisation », quel que soit leur lieu de dépôt. Soumettre une opération de valorisation aux contraintes techniques et administratives d’une décharge créerait une charge injustifiée pour les exploitants engagés dans une démarche de recyclage.
L’analyse souligne que l’article 10, paragraphe 2, prévoit seulement que la directive 1999/31 « continue de s’appliquer » aux déchets autres que ceux d’extraction utilisés pour combler les trous. Cette formulation implique nécessairement que les conditions de fond de la directive sur les décharges soient réunies, notamment la présence d’une opération d’élimination par dépôt définitif. En l’absence d’une telle volonté d’éliminer, le texte spécial ne saurait étendre artificiellement le champ d’application du texte général à des activités de remise en état constructives. La Cour préserve ainsi la cohérence du droit de l’environnement en évitant des chevauchements normatifs qui pourraient décourager les pratiques vertueuses de réemploi des matières secondaires.
B. L’articulation nécessaire avec la hiérarchie générale des modes de traitement
La solution dégagée par la juridiction européenne renforce la primauté de la valorisation sur l’élimination conformément aux objectifs fixés par la directive-cadre 2008/98 relative aux déchets. En permettant l’application de procédures simplifiées pour le comblement des carrières, la Cour encourage les États membres à favoriser les solutions produisant le meilleur résultat global pour l’environnement. Elle rappelle qu’il n’est pas envisageable de classer une activité comme valorisation « si cette classification ne correspond pas à l’incidence environnementale réelle de l’opération » au regard des risques polluants. Cette approche pragmatique permet d’ajuster le niveau de contrôle administratif à la réalité du risque environnemental présenté par chaque projet de réhabilitation de site minier.
Il appartient désormais au juge national de vérifier souverainement si le projet de comblement aurait été réalisé même en l’absence de déchets extérieurs par l’achat de matériaux neufs. La Cour suggère que « le fait que l’exploitant acquiert ces déchets contre un paiement au profit du producteur peut indiquer que l’opération a comme objectif principal la valorisation ». Ce faisceau d’indices économiques et techniques offre une méthode d’analyse robuste pour distinguer les véritables efforts de réhabilitation des simples stratégies d’évitement des taxes sur l’élimination. Par cet arrêt, le juge de l’Union européenne stabilise durablement le régime juridique du remblaiement en l’inscrivant pleinement dans la logique circulaire de la gestion des déchets.