Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité du régime de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations de services des avocats avec les droits fondamentaux de l’Union, ainsi que sur le champ d’application d’une exonération en matière sociale. En l’espèce, une juridiction nationale a saisi la Cour de plusieurs questions relatives à l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des honoraires d’avocat, y compris lorsque ces derniers interviennent au titre d’un régime national d’aide juridictionnelle. Le litige à l’origine de ces questions opposait vraisemblablement un ou plusieurs membres d’une profession juridique aux autorités fiscales nationales. Les requérants au principal soutenaient que l’application de cette taxe aux services juridiques portait atteinte au droit d’accès à la justice et que les prestations fournies dans le cadre de l’aide juridictionnelle devaient, en tout état de cause, être exonérées au titre des activités d’intérêt général à caractère social. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur la validité de la directive 2006/112/CE au regard de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur la pertinence de la convention d’Aarhus pour apprécier cette validité et, enfin, sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de ladite directive. La Cour de justice a estimé que l’assujettissement des services d’avocats à la taxe sur la valeur ajoutée n’était pas contraire au droit à un recours effectif, que la convention d’Aarhus ne pouvait être invoquée pour contester la validité de la directive et que les prestations des avocats au titre de l’aide juridictionnelle n’entraient pas dans le champ de l’exonération prévue pour les activités à caractère social.
L’analyse de la Cour confirme ainsi le principe de l’assujettissement des prestations juridiques à la taxe sur la valeur ajoutée en le jugeant compatible avec les droits fondamentaux (I), tout en retenant une conception restrictive du champ des exonérations fiscales en matière d’aide sociale (II).
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I. L’assujettissement à la TVA des prestations d’avocat confirmé au regard des droits fondamentaux
La Cour de justice valide l’application de la taxe sur la valeur ajoutée aux services juridiques en confirmant leur nature d’activité économique (A) et en écartant que cette fiscalité constitue une entrave disproportionnée au droit d’accès à la justice (B).
A. La qualification persistante des services juridiques en tant qu’activité économique
La solution de la Cour de justice repose sur une application orthodoxe des principes régissant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. Les prestations de services fournies par les avocats, effectuées à titre onéreux, constituent une activité économique au sens de la directive 2006/112. Le champ d’application de cette taxe est défini de manière très large afin d’englober toutes les opérations de nature économique, garantissant ainsi la neutralité et l’universalité de l’impôt. La Cour ne fait ici que rappeler une jurisprudence constante selon laquelle la nature de l’activité, et non son objectif social ou son éventuelle réglementation, détermine son assujettissement à la taxe.
En soumettant les services des avocats à ce régime, la Cour réaffirme que la profession d’avocat, bien qu’investie d’une mission d’intérêt général tenant à la défense des justiciables, n’échappe pas par nature au champ de la fiscalité indirecte. Cette approche s’inscrit dans une logique de cohérence du marché intérieur où les distorsions de concurrence doivent être limitées. Exonérer une profession entière ou une partie de ses activités créerait une rupture d’égalité par rapport à d’autres prestataires de services intellectuels et contreviendrait à l’objectif d’une base d’imposition la plus large possible. La Cour ne s’attarde donc pas sur la spécificité de la profession, mais sur la nature objective de la prestation fournie.
B. La mise à l’écart de l’atteinte au droit d’accès à la justice
La Cour a examiné la validité de la directive au regard de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, qui garantit le droit à un recours effectif et l’accès à un tribunal impartial. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le point de savoir si le coût supplémentaire induit par la taxe sur la valeur ajoutée pouvait constituer un obstacle pour le justiciable. La Cour répond par la négative, estimant que l’examen « n’a révélé aucun élément de nature à affecter [la] validité » des dispositions de la directive. Ce faisant, elle considère que l’application d’une taxe d’un taux normal ne constitue pas, en soi, une mesure rendant l’accès à la justice excessivement difficile.
Cette position s’explique par le fait que les États membres disposent d’autres mécanismes pour garantir l’effectivité de ce droit, au premier rang desquels figurent les régimes d’aide juridictionnelle. L’existence de tels dispositifs, qui permettent une prise en charge totale ou partielle des frais de justice pour les personnes disposant de faibles ressources, est considérée comme un contrepoids suffisant. La Cour rejette également la pertinence de la convention d’Aarhus, considérant qu’elle « ne peut être invoquée aux fins de l’appréciation de la validité » de la directive TVA. Cette convention, relative à l’accès à la justice en matière d’environnement, a un champ d’application spécifique et ne saurait servir de fondement pour contester une règle de fiscalité générale de l’Union.
L’affirmation du principe de l’imposition des services juridiques étant ainsi établie, restait à déterminer si les prestations réalisées dans le cadre de l’aide juridictionnelle pouvaient bénéficier d’une exonération spécifique, ce que la Cour a fermement exclu.
II. L’interprétation stricte du champ des exonérations de TVA en matière d’aide sociale
La Cour de justice refuse d’étendre aux prestations des avocats le bénéfice de l’exonération prévue pour certaines activités sociales (A), consacrant une solution qui préserve la cohérence du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (B).
A. Le refus de qualifier l’aide juridictionnelle d’activité d’intérêt général à caractère social
L’un des arguments centraux soumis à la Cour était de savoir si les prestations effectuées par les avocats au profit des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle pouvaient être exonérées en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112. Cette disposition exonère les « prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales », lorsqu’elles sont effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État membre concerné. La Cour conclut sans ambiguïté que les prestations en cause « ne sont pas exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée ».
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’en tient à une interprétation stricte des exonérations, lesquelles constituent des dérogations au principe général de l’imposition de toute prestation de services effectuée à titre onéreux. Elle estime que, si l’aide juridictionnelle poursuit bien un objectif social en facilitant l’accès à la justice, les services rendus par les avocats dans ce cadre ne se confondent pas avec les prestations d’aide et de sécurité sociales visées par la directive. Celles-ci concernent des risques spécifiques tels que la maladie, la vieillesse ou le chômage, et ne sauraient être étendues à la défense en justice, qui relève d’une autre logique. La nature de la prestation de l’avocat reste un service juridique spécialisé, et non une prestation d’assistance sociale directe.
B. La portée d’une solution protectrice du système commun de la TVA
La décision de la Cour de justice revêt une portée significative pour la préservation de l’intégrité du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. En refusant d’assimiler l’aide juridictionnelle à une activité d’aide sociale au sens de l’article 132, la Cour évite un élargissement potentiellement incontrôlé du champ des exonérations. Une solution contraire aurait pu créer un précédent, incitant d’autres professions réglementées concourant à des missions d’intérêt général à revendiquer un traitement fiscal similaire, ce qui aurait menacé la base d’imposition de la taxe et sa neutralité.
Cette solution pragmatique confirme que la finalité sociale d’une activité ne suffit pas à la faire bénéficier d’une exonération fiscale, sauf si elle entre précisément dans l’une des catégories limitativement énumérées par la directive. La Cour renforce ainsi la prééminence des objectifs structurels de la fiscalité de l’Union sur des considérations nationales, même lorsque celles-ci sont liées à la garantie de droits fondamentaux. Il appartient aux États membres, dans le respect de leurs obligations, de configurer leurs systèmes d’aide juridictionnelle pour en assurer l’effectivité, y compris en tenant compte de la charge fiscale, sans pour autant pouvoir se soustraire aux règles communes de la taxe sur la valeur ajoutée.