Cour de justice de l’Union européenne, le 28 juin 2007, n°C-466/03

Par un arrêt du 28 juin 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de la directive 69/335/CEE relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société à responsabilité limitée avait procédé à une augmentation de son capital social par un apport en nature. Cet apport consistait en la totalité des parts sociales d’une autre société, détenues par l’associé unique de la première. Conformément au droit national applicable, le transfert de ces parts sociales a fait l’objet d’un acte authentique dressé par un notaire ayant le statut de fonctionnaire. Pour cette formalité, des émoluments notariaux calculés proportionnellement à la valeur des parts transférées ont été réclamés à la société bénéficiaire de l’apport.

La société a contesté le paiement de ces émoluments, arguant de leur incompatibilité avec le droit communautaire. Après un premier recours rejeté, l’affaire fut portée devant une juridiction supérieure qui décida de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si de tels émoluments tombaient sous le coup de l’interdiction posée à l’article 10, sous c), de la directive 69/335. Une question complémentaire a par la suite été posée pour tenir compte d’une modification législative nationale changeant les modalités de perception de ces émoluments par le notaire fonctionnaire. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à savoir si des émoluments perçus par un notaire fonctionnaire pour l’authentification d’un transfert de parts sociales réalisé dans le cadre d’une augmentation de capital, dont le montant est proportionnel à la valeur de l’opération et dont une partie est reversée à l’État, constituent une imposition interdite par la directive 69/335.

La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que l’article 10, sous c), de la directive « s’oppose à la perception des émoluments notariaux pour l’authentification d’un transfert de parts sociales dans une société, effectué en tant qu’apport dans le cadre d’une augmentation du capital social d’une société de capitaux, et ce dans un système caractérisé par le fait que les notaires sont des fonctionnaires et que les émoluments sont, au moins en partie, versés à l’État pour supporter des dépenses publiques ». La solution de la Cour repose sur une conception large de la notion d’imposition prohibée par la directive (I), accompagnée d’une interprétation restrictive des dérogations possibles (II).

I. L’extension du champ des impositions prohibées à certaines formalités notariées

La Cour qualifie d’abord les émoluments litigieux d’imposition au sens de la directive en raison de leur lien avec l’État (A), avant de les rattacher à une formalité préalable prohibée par l’article 10 de ce même texte (B).

A. La qualification d’imposition en dépit des modalités de perception

La Cour fonde sa qualification d’imposition sur deux critères principaux : le statut de fonctionnaire du notaire et le versement, même partiel, des sommes perçues à l’État. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité d’une jurisprudence établie qui privilégie une approche fonctionnelle. Le fait que les notaires soient des fonctionnaires de l’État et que les émoluments servent à « supporter des dépenses publiques » suffit à établir la nature fiscale de la perception.

La Cour précise que les évolutions du droit national n’affectent pas cette analyse. Ni la circonstance que le notaire soit devenu le créancier direct des émoluments, ni le caractère « relativement modéré » de la part reversée à l’État ne sont jugés pertinents. La Cour énonce en effet que le montant spécifique de la part transférée à l’État « n’a, a priori, pas d’incidence sur la qualification des émoluments comme ‘imposition’ ». Cette position confirme que dès lors qu’un prélèvement obligatoire finance, même de façon marginale, le budget public, il est susceptible de recevoir la qualification d’imposition au sens de la directive, indépendamment de son affectation précise ou de l’identité du percepteur initial.

B. Le rattachement de l’authentification à une formalité préalable prohibée

Une fois la nature d’imposition établie, la Cour examine si les émoluments relèvent de l’interdiction de l’article 10, sous c), de la directive. Ce texte prohibe toute imposition perçue « pour l’immatriculation ou pour toute autre formalité préalable à l’exercice d’une activité, à laquelle une société […] peut être soumise en raison de sa forme juridique ». La Cour interprète cette disposition de manière extensive, y incluant les formalités nécessaires à la poursuite de l’activité sociale.

En l’espèce, l’authentification du transfert des parts sociales est une condition légale de la réalisation de l’apport en nature, lequel est l’objet même de l’augmentation de capital. La Cour en déduit que cette authentification « doit être considérée comme une formalité qui conditionne l’exercice et la poursuite de l’activité de la société de capitaux en question ». L’opération n’est pas un acte de gestion courante mais une formalité essentielle liée à la structure du capital de la société, instrument par excellence du rassemblement de capitaux visé par la directive. Par conséquent, une imposition frappant une telle formalité obligatoire constitue une entrave prohibée.

II. L’interprétation restrictive des dérogations admises par la directive

La Cour examine ensuite si les émoluments litigieux peuvent être sauvés par l’une des dérogations prévues à l’article 12 de la directive. Elle écarte successivement la qualification de taxe sur la transmission de valeurs mobilières (A) et celle de droit ayant un caractère rémunératoire (B).

A. Le rejet de la qualification de taxe sur la transmission de valeurs mobilières

L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive autorise les États membres à percevoir des « taxes sur la transmission des valeurs mobilières ». Le gouvernement défendeur soutenait implicitement que les émoluments pouvaient relever de cette catégorie. La Cour rejette cette analyse par un raisonnement fondé sur le principe de l’interprétation stricte des exceptions.

Elle considère que cette dérogation « ne saurait être comprise comme s’étendant à des impositions autres que des ‘taxes sur la transmission des valeurs mobilières’ au sens propre de ces termes ». Les émoluments en cause, perçus en contrepartie d’un acte notarié d’authentification, ne constituent pas une taxe sur la transmission elle-même, mais une rétribution pour une formalité juridique. La Cour distingue ainsi la taxation d’une opération économique de la taxation d’une formalité qui la conditionne, même si les deux sont étroitement liées. Cette distinction préserve l’effet utile de l’interdiction posée à l’article 10.

B. L’exclusion du caractère rémunératoire du droit perçu

La Cour se penche enfin sur la dérogation de l’article 12, paragraphe 1, sous e), qui permet la perception de « droits ayant un caractère rémunératoire ». Selon une jurisprudence constante, de tels droits ne sont licites que si leur montant est calculé sur la base du coût du service rendu. Une rétribution dont le montant est déconnecté de ce coût doit être regardée comme une imposition interdite.

Or, en l’espèce, le montant des émoluments « augmente directement en proportion de la valeur des parts sociales transférées » sans qu’aucune limite ne soit prévue. Un tel mode de calcul est, par nature, sans rapport avec le coût réel du service d’authentification fourni par le notaire. La Cour juge qu’un droit dont le montant est proportionnel à la valeur de l’opération sous-jacente « ne saurait, par sa nature même, constituer un ‘droit ayant un caractère rémunératoire’ ». Elle refuse ainsi d’admettre qu’un barème proportionnel non plafonné puisse correspondre à une juste rémunération du service, scellant le sort des émoluments litigieux et confirmant une conception stricte de la notion de rémunération pour service rendu.

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